Monsieur le président, c'est un plaisir d'être devant vous aujourd'hui. L'information du Parlement figure dans nos missions légales. Cette mission nous tient particulièrement à coeur. Aujourd'hui comme pour la suite des travaux, nous sommes bien évidemment entièrement à votre disposition.
La révision de la loi de bioéthique est un enjeu démocratique majeur. Vous le savez, puisque vous êtes en première ligne sur ce grand temps de la vie démocratique. Par définition, l'Agence de la biomédecine ne peut se désintéresser de cet exercice. Créée par la loi de bioéthique, l'essentiel de ses activités est régi par cette loi. Nous le faisons dans le cadre de notre rôle institutionnel sur lequel je reviendrai brièvement.
L'Agence nationale de la biomédecine est un établissement public sous tutelle. Cela signifie, et vous êtes bien placés pour le savoir, que nous ne faisons pas la loi mais que nous l'appliquons. De ce fait, nous sommes tenus à un devoir de réserve. En particulier, nous n'avons pas à prendre parti dans les débats de société. Nous avons un rôle d'expert. Nous sommes là pour vous apporter, comme nous le faisons auprès du Gouvernement, une expertise pluridisciplinaire – juridique, médicale, scientifique, informatique – nourrie de notre rôle opérationnel et de notre contact permanent avec tous les acteurs du terrain, professionnels de santé, associations ou autre acteurs institutionnels, et une expertise spécialisée.
J'insiste sur ce dernier point car, même si nous embrassons un champ très large, nous n'embrassons pas tout le champ potentiel de la loi de bioéthique. En tant qu'établissement public, nous avons un objet spécialisé. Notre champ de compétence couvre les prélèvements et greffes d'organes et de tissus, les cellules souches hématopoïétiques issues de la moelle osseuse, l'assistance médicale à la procréation, le diagnostic préimplantatoire, le diagnostic prénatal, la génétique constitutionnelle, c'est-à-dire les caractéristiques propres de l'individu, ainsi que la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Sur les autres champs, nous n'avons pas d'expertise particulière à faire valoir. Je pense, par exemple, au sujet de l'intelligence artificielle qui va vous occuper beaucoup.
Notre rôle d'éclairage s'exerce par des auditions comme celle d'aujourd'hui, mais aussi par la remise de rapports. Vous avez évoqué le rapport sur l'application de la loi de bioéthique. En réalité, nous avons mis trois rapports à la disposition des parlementaires mais aussi de nos concitoyens, y compris dans la perspective des états généraux dont la phase publique vient de s'achever.
Nous avons d'abord émis le rapport d'information au Parlement et au Gouvernement (RIPG) sur l'état des connaissances et des sciences. Ce document, assez ardu et dense sur le plan médical et scientifique, fait le point des connaissances et des grands sujets sur lesquels travaillent et réfléchissent les chercheurs – au sens large, car il peut s'agir d'innovations technologiques, comme des machines à perfusion pour des organes pulmonaires ou cardiaques.
Nous avons mis à disposition un deuxième document, que vous avez mis en ligne et qui figure sur nos sites internet, faisant le bilan de l'encadrement juridique international en matière de bioéthique. Il s'agit de la présentation des grandes règles suivies par nos grands voisins. Certes, comparaison n'est pas raison, mais ce document fournit des points de repère et de référence sur ce qui se passe à l'étranger, soit pour s'en inspirer, soit pour s'en écarter, et permet d'apprécier comment s'inscrit le modèle français par rapport à d'autres pays.
Le troisième document, à mon sens le plus intéressant pour vos travaux, est le rapport sur l'application de la loi de bioéthique ,qui, comme vous venez de le rappeler, monsieur le président, a pour vocation de rappeler les grandes règles dans les différents champs de compétence de l'Agence, de dire comment elles s'appliquent sur le terrain et les difficultés que nous avons rencontrées ou qui nous ont été remontées par nos partenaires, et de proposer, dans chacune des thématiques de l'Agence, quelques pistes de réflexion.
Le principal enseignement de ce rapport, c'est le constat qu'au fur et à mesure de l'entrée en vigueur de leurs dispositions, et grâce à la mobilisation de l'ensemble des acteurs, les lois de bioéthique ont accompagné et encadré efficacement, dans le respect des personnes et des grands principes éthiques, le développement des connaissances et des sciences dans notre pays. De ce point de vue, la France a probablement un des systèmes législatifs et réglementaires les plus aboutis en Europe et dans le monde. Néanmoins, des difficultés existent. Aujourd'hui, les exigences éthiques visent non seulement les règles législatives mais aussi tout simplement l'organisation des soins et l'allocation des moyens. Se posent des questions d'ordre pratico-pratiques. Cet exercice doit donc se penser aussi au regard des plans ministériels élaborés pour la période 2017-2021, qui nous fixent collectivement des objectifs ambitieux pour répondre aux besoins de nos concitoyens.
Bien entendu, des questions apparaissent dans quelques domaines législatifs. Selon notre retour d'expérience, le législateur devra se questionner et éventuellement trancher sur trois grands blocs.
Le premier concerne les questions de société, très présentes dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation. Vous êtes bien placés pour le savoir. Il suffit de lire la presse pour s'en convaincre. Elles étaient aussi très présentes dans les États généraux de la bioéthique. Qu'il s'agisse de l'autoconservation sociétale des ovocytes, de l'extension du champ de l'assistance médicale à la procréation, de l'insémination post mortem ou de l'anonymat du don de gamètes, dans tous ces débats de société, l'Agence n'aura pas à prendre parti ou à se prononcer.
Le deuxième bloc concerne les ajustements qui méritent d'être questionnés face au constat qu'une disposition mise en place ne fonctionne pas aussi bien qu'on l'aurait souhaité ou pourrait fonctionner mieux. C'est le cas en matière de transplantation, avec le programme de dons croisés d'organes visant à répondre à des impasses immunologiques pour des patients ayant un accès difficile à la greffe compte tenu de leur niveau d'immunisation. Par exemple, un donneur vivant est disposé à vous donner un rein, mais il est malheureusement incompatible avec vous. Or un autre couple se trouve dans la même situation, et le donneur de l'un est compatible avec le receveur de l'autre couple. Il faut donc opérer un croisement. Mais les conditions fixées à ce jour empêchent ce programme de décoller. Des alternatives sont recherchées car, jusqu'à présent, soit le temps d'accès à la greffe est très dégradé, soit il faut recourir à des greffes ABO-incompatibles qui supposent une préparation et désensibilisation du receveur.
Un autre type d'ajustement peut tout simplement traduire une évolution des pratiques médicales. Vous le savez, la médecine est très évolutive, c'est d'ailleurs pour cela que les lois de bioéthique le sont aussi. En matière de cellules souches hématopoïétiques et de moelle osseuse, par exemple, en l'absence d'un donneur compatible dix sur dix, est aujourd'hui développée une greffe alternative, dite greffe haplo-identique. Vous êtes à moitié compatible. C'est généralement la situation des enfants et des parents. La montée en puissance de ces greffes apparentées, plus simples à organiser, mieux maîtrisées, conduit à réinterroger certaines règles posées par la loi de bioéthique, notamment en ce qui concerne les prélèvements sur mineurs.
Le troisième bloc est lié aux ruptures et aux innovations, qu'elles soient médicales, scientifiques ou technologiques. La génétique en est le domaine le plus illustratif. Vous avez sans doute beaucoup entendu parler du ciseau moléculaire CRISPR-Cas9, permettant d'opérer des modifications génomiques très ciblées, performantes, de façon relativement facile – relativement, car il s'agit malgré tout de génomique – et accessible à un certain nombre d'équipes. La connaissance des gènes ainsi que le développement du séquençage de nouvelle génération (NGS) rendent aujourd'hui presque plus simple d'examiner le génome dans son ensemble plutôt que de façon ciblée. Les études sont de plus en plus approfondies, de moins en moins coûteuses et de plus en plus performantes. C'est également la question de la culture des embryons et de sa durée. Dans ces domaines, les innovations et les ruptures scientifiques ou technologiques posent de nombreuses questions.
Ces trois grands blocs ne se répartissent pas exactement de la même façon, suivant les thématiques de l'Agence. Ainsi, la thématique de la transplantation s'inscrit plus dans des logiques d'ajustement que dans des logiques de rupture. En revanche, dans les domaines de la génétique et de la recherche sur l'embryon, il existe potentiellement des questionnements sur des évolutions majeures.
Tel est le panorama que je pouvais décrire en forme d'introduction. Pour la suite, souhaitez-vous que nous procédions à un examen par thématique ?