Commençons logiquement par la transplantation, le domaine d'activité le plus ancien de l'Agence. Les premières greffes datent des années 1950, même si ce sont les traitements immunosuppresseurs qui ont permis à la transplantation de prendre toute sa place dans notre paysage.
C'est au travers de l'activité de transplantation que se sont structurées les lois de bioéthique. Les grands principes fondateurs des lois de bioéthique ont été pensés, réfléchis au travers de l'activité de transplantation. Le don éthique à la française, ce don anonyme gratuit et librement consenti, est directement issu du secteur de la transplantation et de la réflexion sur le don d'organe. À partir de ce domaine a été confortée l'idée que la bioéthique ne devait pas être conçue en rupture avec les valeurs de la société. Ce n'est pas parce que ce sont des activités innovantes qu'elles seraient en rupture ; elles sont au contraire en lien étroit avec les valeurs fondamentales de la société, notamment avec les principes républicains et notre devise républicaine. Depuis la loi Caillavet, et plus encore avec les lois de bioéthique qui se sont succédé, l'idée de fraternité et de solidarité qui figure dans notre devise républicaine et dans nos principes républicains peut aller au-delà du décès des personnes. D'où l'idée du consentement présumé qui est au coeur du système du don d'organe en France.
Dans ce domaine, les interventions du législateur ont été déjà nombreuses. Dès 1994, le sujet a été traité dans la perspective de restaurer la confiance dans le système de transplantation, promouvoir le don d'organe et commencer à l'encadrer et le réguler via la création de ce qui s'appelait à l'époque l'Établissement français des greffes. En 2004, le législateur transforme l'Établissement français des greffes en Agence de la biomédecine pour élargir la mission de régulation et affirmer la priorité donnée à l'activité de prélèvement et de greffe dans notre pays. En 2011, le législateur traite à nouveau de la question de la transplantation. Afin de réaffirmer cette priorité nationale, il insiste sur la reconnaissance au donneur – j'y insiste, car c'est un précieux levier d'action et de mobilisation sur le terrain. Mais parce que la principale exigence éthique, c'est de remédier à la pénurie, les besoins augmentant plus vite que l'activité et la greffe étant victime de son succès, le grand apport de la loi de 2011 a été la volonté de développer toutes les sources de greffon. À cet égard, le travail réalisé par le législateur en 2011 sur le don du vivant a apporté une impulsion décisive par l'élargissement du cercle des donneurs et la mise en place du programme de dons croisés.
En 2016, le législateur va continuer à s'intéresser au sujet en introduisant deux dispositions dans la loi de modernisation de notre système de santé. La première est le transfert à l'Agence de la biomédecine de la biovigilance des organes, tissus et cellules, qui relevait jusqu'alors de l'Agence du médicament. L'attention est ainsi portée par le législateur sur la qualité et la sécurité des soins, qui est l'autre volet de la confiance et de l'exigence éthique qui encadre l'activité de transplantation. La seconde, et l'un d'entre vous est particulièrement bien placé pour le savoir, vise à conforter les règles en matière de consentement présumé et surtout à les clarifier en cas de refus de prélèvement. Un travail de concertation pour définir tous les actes réglementaires a été entrepris, qu'il s'agisse du décret ou des règles de bonnes pratiques.
Ce sont les deux dernières interventions du législateur en ce domaine, mais il apparaît clairement qu'il a déjà beaucoup investi. Il n'est pas étonnant que ce sujet ne soit pas celui qui a retenu le plus l'attention des états généraux de la bioéthique ou des médias, car il est bien connu, que le législateur est intervenu au fil de l'émergence des besoins. Cela ne signifie pas qu'il n'y a plus place à son intervention, mais les besoins relèvent plutôt de la simplification, la clarification, l'harmonisation et la consolidation de ce qui a été entrepris jusqu'ici.
En 2011, le législateur s'était penché sur ce que certains appellent le « statut » du donneur vivant, en s'attachant à faire en sorte que toutes les garanties soient apportées au donneur, qui fait un magnifique geste altruiste en acceptant de donner l'un de ses reins ou une partie de son foie à un de ses proches : plein respect du principe de neutralité financière, limitation d'avance de frais, délais de remboursement aussi réduits que possible, absence de plafond opposable pour les remboursements pris en charge par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Ces garanties sont à la fois la marque de la reconnaissance de la nation et une reconnaissance de la beauté et de l'altruisme de ce geste.
Toutefois, comme je l'expliquais dans mon propos introductif plus général, le programme du don croisé peine à démarrer. Nous avons fortement mobilisé les professionnels de santé et noué des partenariats avec des pays étrangers, notamment la Suisse, pour obtenir plus de paires. Un nombre suffisant de paires et de possibilités d'appariements étant nécessaire au développement de ce programme, une réflexion est à mener sur un éventuel assouplissement des conditions fixées par la loi. En 2011, le législateur, à juste titre soucieux d'assortir de garde-fous ce programme nouveau, avait souhaité en limiter l'application entre deux paires et de façon simultanée. Cette simultanéité de deux paires est déjà un défi logistique, sans parler de la phase de transport en amont. Pour ceux qui sont déjà entrés dans des blocs, c'est assez redoutable à organiser ! Ne pourrait-on envisager d'aller au-delà de deux paires ? Sans renoncer à l'idée d'un délai rapproché, il existe sans doute une marge de discussion entre la stricte simultanéité et un délai rapproché. Certes, il convient d'éviter que l'un des couples se retire du programme après avoir récupéré le greffon, mais cela s'organise par des délais rapprochés et un niveau élevé d'engagement, de sélection et de vérification de la motivation. Des garde-fous peuvent se mettre en place. Cela ouvrirait la possibilité d'amorcer les chaînes. L'intérêt du don croisé, c'est non seulement de répondre à ceux qui, en impasse immunologique, rencontrent des difficultés d'accès à la greffe, mais aussi de créer des chaînes afin que davantage de personnes bénéficient de ce programme. Cela suppose de disposer de plus de paires mais aussi d'autoriser les délais rapprochés, et non plus simultanés, car plus il y a de paires, plus la simultanéité devient impossible à organiser.
Cela fait partie des grandes réflexions en cours dans le secteur de la transplantation, avec la réaffirmation de la priorité nationale donnée à cette activité. Des objectifs ambitieux nous ont été fixés, dans un contexte qui devient difficile. L'organisation des soins, la formation, la communication sont des éléments mobilisateurs, et nous avons plus que jamais besoin de l'affirmation de la priorité nationale par le législateur tant en ce qui concerne le prélèvement que la greffe.