Les discordances entre besoins croissants et possibilités de greffe est différenciée selon les organes. La discordance la plus marquée concerne la greffe rénale. L'âge des patients, comme celui des donneurs, a augmenté, et avec lui le nombre de comorbidités. La complexité des dossiers à examiner ajoute à cette difficulté. Pour certains organes, nous constatons des contre-indications temporaires, c'est-à-dire des périodes où une transplantation ne peut être réalisée à cause d'une autre maladie qui l'empêche. Ces maladies n'apparaissent pas toujours après plusieurs années d'attente, mais parfois dès la fin du bilan, voire pendant le bilan. Le taux de contre-indications varie entre 8 % et 48 %. Il convient de l'avoir à l'esprit en comparant nos propres données. J'ai bien entendu la réserve d'Anne Courrèges sur les comparaisons internationales, mais les données publiées à l'international portent toujours sur des listes actives, c'est-à-dire des listes excluant les patients en contre-indication. En France, l'Agence publie les deux chiffres.
Il convient aussi de prendre en compte l'évolution scientifique. Ainsi, les progrès considérables réalisés en termes d'antiviraux dans la prise en charge de l'hépatite C entraînent une nette diminution, et entraîneront sans doute à terme une extinction, de l'indication de la greffe du foie, laquelle est en partie remplacée par des indications dans les carcinomes hépatocellulaires, les cancers primitifs du foie.
De même, en matière de greffe pulmonaire, des progrès considérables ont été réalisés dans la réanimation des donneurs et la réhabilitation des organes, de sorte qu'un équilibre est en cours. L'année dernière, pour la première fois, nous avons enregistré moins de nouveaux inscrits que de greffes réalisées. Tous les progrès annexes, comme les filières de prise en charge des mucoviscidoses, ont transformé le pronostic de la maladie. Naguère première indication de greffe pulmonaire en France, elle est devenue l'an dernier la troisième indication.
Concernant la greffe rénale, M. Touraine est bien placé pour savoir que la prise en charge précoce des patients par les néphrologues est un élément clé. Or il existe de fortes disparités dans le nombre de néphrologues pour mille patients dialysés d'une région à une autre. Donc, c'est aussi un type d'approche à privilégier pour stabiliser le nombre de greffes et éviter l'augmentation incontrôlée des besoins.
S'agissant du donneur vivant, comme l'a dit Anne Courrèges, nous avons essentiellement travaillé sur deux axes, le premier étant l'information des patients. Après plusieurs campagnes spécifiques, nous en ferons cette année une plus orientée vers les médecins généralistes, qui n'étaient pas la cible initiale, mais qui ont aussi leur place en qualité de conseil de patients et de donneurs potentiels. Nous essaierons également d'entretenir la confiance, qui peut être facilement ébranlée. La presse a publié des articles suggérant des trafics dans certains pays. Deux publications internationales qui ont fait beaucoup de bruit montraient un léger risque, à long terme, d'insuffisance rénale chez des donneurs, dans des modèles qui ne sont pas le modèle français. Il importe donc que l'Agence dispose de données françaises de suivi de la qualité, telles que prévues par le législateur et le système français sur le très long terme, soit plus de quinze ans. Or le suivi des donneurs à très long terme n'est pas facile à mettre en place, nous ne sommes pas encore totalement performants, car il faut suivre le patient et lui donner la capacité d'être suivi au bon moment, sans en faire un malade, ce qu'il n'est pas par définition. Nous avons créé un groupe de travail, composé également de représentants de la Société francophone de néphrologie dialyse et transplantation (SFNDT) et de la Société francophone de transplantation (SFT), qui cherche à conforter le suivi en rétablissant la confiance, y compris auprès des professionnels de tous niveaux, comme les infirmières de dialyse. C'est par ces actions de terrain que nous atteindrons l'objectif ambitieux de doubler le nombre de donneurs vivants. Ce nombre avait fortement augmenté entre 2011 et 2015, mais il marque un plateau depuis deux ans.
Quant à l'identification des freins organisationnels, je constate en permanence sur le terrain que des équipes rencontrent des difficultés d'accès aux blocs et aux consultations, sachant que des pistes sérieuses existent. Le statut des infirmières de coordination, qui sont clairement des auxiliaires indispensables aux services de néphrologie pour faciliter la prise en charge au sein de cette filière et être à l'écoute des patients, a été créé mais n'existe pas réellement. L'évolution de la réflexion sur les pratiques avancées représente peut-être une opportunité, mais il faut aussi réaffirmer clairement que la greffe est une priorité nationale. Nous passons actuellement beaucoup de temps à soutenir des équipes de transplantation qui, historiquement, étaient autonomes et dont nous nous contentions d'évaluer leurs résultats. Aujourd'hui, des équipes nous demandent de l'aide. Nous sommes à leur disposition, mais ce soutien est très consommateur de temps et il faut avoir les moyens de répondre à leurs demandes.