Intervention de Anne Courrèges

Réunion du jeudi 19 juillet 2018 à 9h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine :

Je vous remercie de ces questions qui vont me permettre de préciser certains propos.

Le législateur a déjà prévu une reconnaissance symbolique en décidant, en 2011, de faire également de la Journée nationale du 22 juin une journée de reconnaissance envers les donneurs. Celle-ci se traduit par un certain nombre d'actions sur le terrain, notamment, il faut l'avouer, pour les donneurs décédés, comme la pose de plaques commémoratives ou la plantation d'arbres.

Pour le donneur vivant, le législateur s'est attaché à éviter que l'acte de prélèvement et la générosité se retournent contre lui. Il s'est d'abord agi de faire en sorte qu'en vertu du principe de neutralité financière, le donneur ne soit pas financièrement pénalisé par son acte de don. Le principe de neutralité financière conduit à prendre en charge tous les actes de soin directement liés au prélèvement. Cela va des actes de consultation aux frais de garde d'enfant pour les chargés de famille sans autre solution, en passant par des indemnités journalières. C'est cela que le législateur a voulu organiser avec force. Des difficultés pratiques peuvent apparaître, souvent liées à la méconnaissance des règles du principe de neutralité financière, ce qui nous a conduits à élaborer un guide à destination des directions financières des établissements de santé, afin de faire connaître ces règles dans toute leur subtilité, leur nuance.

Au-delà des délais de remboursement, nous avons rencontré la problématique des patients ultramarins qui doivent se rendre en métropole. Les billets d'avion, les frais d'hébergement peuvent représenter des sommes importantes. Comment éviter qu'ils soient contraints de faire des avances de frais, notamment s'ils n'en ont pas les moyens financiers ? Dans un certain nombre d'hypothèses bien identifiées, le remboursement a posteriori peut constituer une difficulté, tout comme les délais de remboursement.

Il faut être attentif au principe de neutralité financière comme au suivi des donneurs. C'est l'objet d'un groupe de travail réunissant des représentants des professionnels de santé et d'associations concernées, car le législateur a affirmé avec force la nécessité d'un suivi annuel des donneurs vivants. La problématique que nous rencontrons est que la cohorte progresse et que les donneurs, initialement retenus pour leur bonne santé, ne se sentent pas malades et sont parfois eux-mêmes insuffisamment attentifs à leur suivi. Se mêlent ainsi des considérations d'ordre juridique et des considérations d'ordre pratique et organisationnel. C'est bien pour cela je dis que l'on marche toujours sur deux pieds dans ce domaine.

La question du « bon Samaritain » vous sera soumise, car elle est posée par un certain nombre d'associations de professionnels. On parle de « bon Samaritain », de donneur « altruiste », de donneur « solidaire », de donneur « sans lien affectif », c'est-à-dire d'une personne qui envisage de faire don d'un rein sans aucun lien de proximité, de façon totalement altruiste et désintéressée. Cela se pratique dans certains pays. La question n'est pas simple. Même si toutes les garanties nécessaires quant à l'état de santé du donneur et à son suivi sont apportées, le don de rein reste invasif et mobilisateur. Il nécessite d'importants garde-fous afin de vérifier la motivation du donneur et parce que les dons altruistes de cette nature sont les plus susceptibles de conduire à des problématiques de pressions et de trafics. Vérifier que le don est réellement altruiste est une nécessité. Cela doit être questionné et réfléchi. À cet égard, le rapport est assez prudent. Nous utilisons la formule providentielle du juriste « en tout état de cause ». Si vous souhaitiez vous engager dans cette voie, il faudrait prévoir des garanties spécifiques, compte tenu de la nature très particulière de ce don. Il s'agit de donner un rein et non une cellule !

Les réticences au don d'organe sont multiples. Le travail de clarification réalisé récemment met l'accent sur le refus du défunt. Un des causes était souvent l'état de sidération des familles. La question se pose souvent, hélas, dans des situations dramatiques, imprévues, douloureuses, difficiles. La façon dont la question du don d'organe est posée peut susciter une deuxième souffrance. Il nous revient des coordinations des équipes de terrain que cette clarification ainsi que les règles de bonne pratique qui ont bien décomposé chaque étape ont apporté une nette amélioration au travail des coordinations.

Plusieurs facteurs peuvent intervenir. Pour certains, sensibles à l'idée d'une atteinte à l'intégrité du corps, les garanties apportées quant à la restauration ne sont pas considérées comme suffisantes. Il existe aussi des réticences de nature culturelle, qui ne sont pas nécessairement fondées mais qui sont liées à des représentations. On entend parfois dire : « Ma religion me l'interdit ». En réalité, toutes les religions monothéistes sont favorables au don d'organe compte tenu de sa finalité et dès lors, bien évidemment, que des garanties sont apportées quant au consentement et au respect des règles éthiques. D'autres disent qu'ils voudraient bien, mais qu'ils ont peur de faire souffrir leurs proches. À cela s'ajoute du non-dit, notamment la difficulté pour les certains de se projeter dans leur propre mort. Entrer dans la logique du don d'organe, c'est accepter de se projeter dans sa propre mort.

De nombreux facteurs devant être pris en compte, la communication doit jouer sur plusieurs leviers, jouer à la fois sur la communication de proximité et celle, plus générale, des grandes campagnes nationales. Il faut parfois utiliser la médiation, car la parole institutionnelle n'est pas toujours la plus apte à lever certains freins psychologiques. Des personnes ayant suivi le même parcours que vous ou appartenant à votre communauté peuvent être plus à même d'en parler. La difficulté est de parvenir à actionner les leviers appropriés, car chaque réponse est assez personnelle et individuelle.

J'ajoute qu'en l'état actuel du droit il nous est impossible de consulter le registre national des refus pour en connaître les raisons. Nous y inscrivons les gens, mais nous ne pouvons pas l'utiliser comme source d'étude. Une étude sur le sujet a été lancée par le groupe de recherche Famiréa. Mais il s'agit davantage de recherche universitaire, clinique ou empirique, car nous n'avons pas la possibilité d'examiner si un profil se dégage du registre national des refus ou de lire les courriers rédigés par ceux qui ressentent le besoin d'expliquer leur démarche.

Un des facteurs est la méfiance à l'encontre du système de soins, des acteurs institutionnels ou de ce que certains appellent la socialisation ou l'étatisation des corps. Nous pouvons difficilement contrer ce genre d'opposition, mais cette méfiance à l'encontre du système de soins existe et nous interpelle collectivement d'autant plus que notre activité repose sur la confiance.

Ma remarque relative aux mineurs ne portait pas sur la transplantation d'organes, mais sur les cellules souches hématopoïétiques – donc sur la moelle osseuse, et dans des hypothèses de dérogations très encadrées. Le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques sur un mineur est actuellement interdit. Des possibilités de dérogation ont été ouvertes pour les frères et soeurs, les cousins, etc., mais la situation parents-enfants n'a pas été prévue, parce qu'elle n'était pas techniquement possible. Or le développement des greffes haplo-identiques remet la question à l'ordre du jour. Elle nous a d'ores et déjà été posée par des praticiens confrontés à une situation dans laquelle le seul donneur « compatible », ou « semi-compatible », pour un parent était un enfant mineur. Il s'agissait d'un jeune âgé de dix-sept ans et trois mois, mais il était impossible, compte tenu de l'état du receveur, d'attendre les neuf mois restants. Nous posons des questions, nous n'apportons pas de réponses. En tout cas, il faudra prévoir des garde-fous pour s'assurer que l'enfant ne subit aucune pression, est libre de son choix et que ses intérêts sont protégés par rapport à ceux des parents. Des systèmes bien organisés existent déjà, auxquels il faudra recourir.

Enfin, concernant les xénogreffes ou la bio-impression – on parle communément de greffes dans les médias alors que ce n'en sont pas –, je cède la parole au professeur Bastien, qui est un passionné du sujet.

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