La recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines – lesquelles donnent quantitativement lieu à davantage d'études – ont fortement mobilisé le législateur en 2011. C'était naturel, car le statut de l'embryon in vitro est éminemment d'ordre législatif. En 2011, le choix avait été fait de confirmer l'interdiction de telles recherches et de rendre permanente la possibilité de dérogations, très encadrées, sous certaines conditions. Depuis, il y a eu deux interventions du législateur.
En 2013, le législateur a choisi, par une initiative sénatoriale, de dire que nous serions désormais dans un régime d'autorisation de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines, mais autorisation encadrée par sous certaines conditions et un système d'autorisation par l'Agence de la biomédecine suivant un processus très rigoureux et exigeant.
En 2016, avec la loi de modernisation de notre système de santé, et cela me permettra de clarifier un point, la modification n'a pas porté sur le régime de la recherche scientifique sur l'embryon mais celui de la recherche clinique. Dans la recherche scientifique sur l'embryon, il n'y aura pas de gestation in fine ; une fois la recherche finie, l'embryon est détruit, la question étant de savoir s'il doit être détruit à sept jours ou à quatorze jours. Il existait en 2011 un régime hérité des recherches sur l'embryon, qui est de la recherche clinique, visant soit à développer les soins pour l'embryon lui-même, soit à améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation, qui se conclut par une gestation et la naissance d'un enfant ; et on est dans une logique d'essai clinique.
Ce n'est pas du tout le même régime que celui dont l'Agence de la biomédecine a la charge. En 2013, ce régime spécifique et particulier, relevant davantage de l'essai clinique ou de la recherche sur les personnes, a donné lieu à malentendu. Le législateur avait souhaité faire entrer ce régime de recherche dans la logique classique des essais cliniques, dans les recherches biomédicales qui relèvent de l'Agence du médicament avec avis de l'Agence de la biomédecine. Il avait donc supprimé le régime pour le transférer dans ce régime de droit commun. Le Conseil d'État, dans sa formation consultative, a réaffirmé le statut législatif de l'embryon in vitro et dit qu'il manquait un maillon législatif. La loi de 2016 a apporté ce maillon législatif pour remettre en place ce régime de recherche interventionnelle, et le confier à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) parce qu'on est dans une logique d'essai clinique. Il s'agit donc bien d'un régime différent.
Celui dont je vous parle concerne la recherche scientifique sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Cette recherche est en train de produire ses fruits. Menée par très peu d'équipes, elle est exigeante et longue. Il faut dix ans pour envisager les premières publications, dix à quinze ans pour arriver aux premiers essais cliniques. Peu d'équipes en France sont en mesure de mener des recherches de ce type. De ce fait, des équipes comprennent bien les enjeux éthiques et les exigences posées compte tenu du statut propre de l'embryon in vitro. Nous arrivons aujourd'hui aux premiers essais cliniques. Dans le monde, dix-huit essais cliniques font appel à des cellules souches embryonnaires humaines. En France, il y en a eu un, l'essai clinique du professeur Menasché sur les cardiomyocytes pour traiter l'insuffisance cardiaque sévère. Puis il a changé de protocole. Une réflexion est en cours pour un protocole sur la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) et sur les plaies ulcéreuses ou drépanocytoses. Partout dans le monde, la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines en est au stade des essais cliniques.
Parallèlement, la recherche sur l'embryon connaît un regain d'intérêt. Initialement tournée vers la dérivation de nouvelles lignées de cellules souches, elle vise aujourd'hui à comprendre le développement de l'embryon précoce et à améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation. Nous avons vu revenir des demandes d'autorisation de recherches de l'embryon ces derniers temps.
Cette recherche a été bouleversée par des évolutions technologiques ou scientifiques. Deux grands types de questions se posent, et vous sont posées. Nous nous bornons à poser les questions, à charge pour vous de les approfondir et d'y apporter les réponses que vous jugez nécessaires.
Des questions relèvent de l'application de la loi, telle qu'elle existe aujourd'hui. Elles concernent notamment les conditions d'autorisation, la façon dont est pensée l'articulation avec les cellules souches pluripotentes induites (IPS), qui sont des cellules adultes qui ont été reprogrammées et qu'on a forcées à redevenir pluripotentes, c'est-à-dire d'un stade où elles étaient différenciées, revenir à un stade où elles pourraient se redifférencier en d'autres cellules. Il n'y a eu qu'un seul essai clinique, et encore a-t-on dû en changer totalement la méthodologie. Les IPS n'en sont qu'au début et de nombreuses questions se posent encore quant à leur stabilité, et quant à la présence d'un « effet mémoire » après qu'elles ont été forcées à se reprogrammer. Aujourd'hui, tous les chercheurs nous disent que la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines et la recherche sur les IPS ne sont pas alternatives ni opposées, mais complémentaires. Ils souhaitent mener les recherches de façon parallèle, d'abord parce que les cellules souches embryonnaires humaines sont le gold standard, la référence et que les performances de IPS ne peuvent s'apprécier qu'en s'y référant. En fait, les équipes font des allers et retours. Elles commencent parfois avec des IPS et, constatant que cela ne fonctionne pas bien, reviennent vers les cellules souches embryonnaires humaines, ou, inversement, commencent avec les cellules souches embryonnaires pour bien définir leur processus de différenciation, puis partent vers les IPS. C'est le message que nous ont transmis l'ensemble des équipes de recherche.
Par ailleurs, certains se demandent, et l'on trouve trace de ce questionnement dans l'étude du Conseil d'État, s'il faut maintenir le même régime d'autorisation sur la recherche sur l'embryon et sur les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines, parce que les enjeux éthiques ne sont pas exactement les mêmes. Dans les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines, l'embryon a déjà été détruit au moment de la dérivation, de sorte que la question de l'atteinte de l'embryon ne se pose pas de la même façon. De plus, cette recherche se fait sur des lignées qui ont déjà été dérivées, et l'on ne dérive plus aujourd'hui de lignées. Ce sont donc des lignées qui ont été dérivées à la fin des années 1990 pour l'essentiel. Les cellules souches ne pouvant pas reconstituer un embryon, il est impossible de revenir en arrière. Les questions éthiques ne sont pas tout à fait les mêmes.
Se pose aussi la question du périmètre des autorisations. Puisqu'on s'oriente vers l'essai clinique vont se poser des questions qui relèvent davantage du processus industriel, telles que les milieux de culture, les contrôles qualité, etc. Ces questions relèvent plus d'une logique « industrielle » – je n'aime pas trop ce terme – que de recherche scientifique pure. Doivent-elles entrer dans le régime d'autorisation, et comment ? Le régime d'autorisation doit-il être adapté pour tenir compte de la nature et de la finalité particulières de ces recherches ?
S'agissant des principes qui avaient été définis en 2011, nous évoquions la question du transgénique. La loi a posé un certain nombre d'interdits en 2011 dans un contexte scientifique assez théorique. Aujourd'hui, ces concepts sont réinterrogés par un certain nombre d'études. Je pourrai citer notamment une étude sur l'ADN mitochondrial et les dysfonctionnements liés aux maladies mitochondriales. Cela pose des questions de cette nature.
Se pose aussi la question du devenir des embryons donnés à la recherche.
Ces questions se posent d'ores et déjà par rapport aux conditions d'application de la loi, elles se posent aux équipes de recherche et nous sont remontées ou que nous avons été amenés à nous poser au regard des demandes d'autorisation qui nous ont été soumises.
Puis il y a des questions nouvelles, en raison de l'évolution des sciences et des connaissances dans ce domaine. Quatre sont développées dans le rapport. J'en citerai deux.
Le premier est celle du ciseau moléculaire CRISPR-Cas9. Nous ne sommes pas dans l'hypothèse de faire de la gestation, donc l'interdiction de transmission à la descendance reste valide. Mais peut-on modifier le génome sur un embryon dans le cadre d'une recherche scientifique pure, ne serait-ce que pour vérifier l'innocuité et l'efficacité de la technique, s'assurer qu'elle n'a pas d'effets de bord et qu'elle permet de cibler aussi bien qu'on le dit ? Le législateur va devoir clarifier la question. L'étude du Conseil d'État laisse penser qu'aujourd'hui, en l'état actuel du droit, il serait possible de faire de la recherche scientifique pure sur l'embryon pour inactiver l'expression d'un gène, mais pas pour rajouter ou modifier un gène. Ce serait en moins mais pas en plus. Ces distinctions interrogent aussi. Il y a un besoin de clarification qui vous a été posé aussi par l'Académie de médecine et le comité d'éthique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), de savoir ce qu'on peut faire ou ce qu'on ne peut pas faire dans ce domaine.
L'autre exemple est celui de la durée de culture des embryons. Je disais qu'à l'issue de la recherche, les embryons sont détruits. La question est de savoir au bout de quel délai maximum on est amené à détruire les embryons. En 2001, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu un avis disant que la durée de culture de l'embryon devait être de sept jours, car c'est la durée avant implantation. Au-delà, on passe de l'in vitro à l'in vivo. Je signale qu'en 2001, la recherche sur l'embryon était non seulement interdite mais inexistante en France. Nous étions dans un contexte scientifique où, de toute façon, il était impossible de cultiver l'embryon au-delà de sept jours. Cette réflexion a aujourd'hui dix-sept ans, elle s'est faite dans un contexte éthique et scientifique très différent. Ce n'est pas nécessairement la référence développée dans d'autres pays, où la référence est à treize jours, répondant au concept de bienfaisance-malfaisance. En effet, au bout de treize jours, c'est l'affirmation de l'individu : on ne peut plus faire des jumeaux, c'est l'individualisation. C'est aussi le moment où intervient le développement du tube neural, ce qui renvoie au concept de bienfaisance-malfaisance. Le standard international est plutôt à treize jours.
Quand la question s'est posée en 2001, on ne savait pas cultiver l'embryon au-delà de sept jours. Depuis, deux équipes dans le monde ont publié et ont été capables d'aller jusqu'à treize jours et ont même dit qu'elles auraient pu aller au-delà – difficilement, certes, car elles reconnaissaient que des phénomènes de dégradation étaient en cours, mais elles pensaient, en perfectionnant leurs techniques, pouvoir aller au-delà. Dans les pays qui étaient à treize jours s'est posée la question de savoir si le délai de treize jours restait valable. Cela a conduit certains chercheurs en France à poser, d'ores et déjà, la question de savoir si la limite des sept jours, qui ne figure que dans un avis publié en 2001, reste d'actualité ou doit être réinterrogée, puisqu'il est possible d'aller à treize jours, notamment pour dévoiler ce que l'on appelle la « boîte noire » du développement embryonnaire et savoir ce qui se passe entre sept et treize jours, pour mieux comprendre le développement de certaines maladies, pour étudier ce qui peut compromettre la réussite des techniques d'assistance médicale à la procréation. D'après les chercheures, il y a un certain nombre de connaissances théoriques que l'on peut a priori retirer de cette période comprise entre sept et treize jours, d'où l'intérêt des chercheurs dans le monde, et d'où le fait que certaines équipes en France sont susceptibles de se poser la question.
À ce jour, l'Agence de la biomédecine et son conseil d'orientation, son instance éthique qui donne un avis sur chaque projet de recherche, n'ont pas eu à se prononcer. Je ne vous cache pas que nous avons des raisons de penser qu'il n'est pas exclu qu'un projet de recherche nous soit prochainement soumis et que nous ayons à nous prononcer sur cette question. La question qui se pose est de savoir si c'est à l'Agence de la biomédecine de trancher des questions de cette nature – sous le contrôle, in fine, du juge puisqu'à la fin le juge sera amené à donner la réponse – ou plutôt au législateur, compte tenu des enjeux éthiques qui y sont associés.
Telles sont les questions qui sont aujourd'hui posées au législateur sur les cellules souches embryonnaires.