Intervention de Anne Courrèges

Réunion du jeudi 19 juillet 2018 à 9h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine :

La dernière question est fondamentale. Je vous pose des questions, je n'apporte pas de réponses.

La réflexion éthique fait partie des enjeux. Le propre de la réflexion éthique, c'est d'être un questionnement permanent et pluridisciplinaire, qui ne doit pas être confisqué par les experts. Elle interroge l'ensemble de la société. Elle nécessite des débats approfondis au regard de la sensibilité des sujets, et afin de bien mesurer les implications de chaque mesure, non seulement par elle-même, mais aussi par ses effets de bord, ses effets domino ou « Mikado ». Il est un point dont il faut être convaincu : une technique ou une connaissance n'a pas de sens par elle-même ; elle n'a de sens que si elle est mise au service de l'humanité tout entière et au service des patients. Mais il faut en mesurer tous les enjeux éthiques, toutes les conséquences. C'est bien la difficulté qui est la vôtre. En tant que législateur, votre responsabilité est redoutable puisqu'il vous revient de trouver le point d'équilibre capable de concilier l'ensemble des intérêts en présence et d'apporter une réponse qui fait le système éthique « à la française ». Il est l'un des plus aboutis en Europe et dans le monde, il est source de fierté. En tout cas, à l'Agence de la biomédecine, nous sommes fiers de représenter les valeurs de la loi de bioéthique et d'en être sinon le « bras armé », du moins l'opérateur.

Nous vous fournissons des éléments d'explication et d'appréciation, mais nous ne pourrons vous apporter l'ensemble des éléments. D'où l'importance que vous procédiez à des auditions multiples et variées pour entendre de très nombreux points de vue. C'est ce que traduit la composition du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ou de notre conseil d'orientation, instance éthique, qui comprend d'ailleurs huit parlementaires. La confrontation des points de vue et la discussion conduisent sinon à des consensus, du moins à partager, ce qui est déjà beaucoup. Je vous remercie de cette question qui m'a permis d'apporter cette précision, à mes yeux, fondamentale.

Concernant la modification du génome, je tiens à préciser, car c'est fondamental, que nous parlons des cellules germinales. Pour les cellules somatiques, il n'y a pas de question. D'ores et déjà, des protocoles de recherches ont été autorisés. Ce n'est pas de même nature. C'est bien la problématique de la possible transmission à la descendance par les cellules germinales qui pose question.

Après une absence de demandes de recherche sur l'embryon pendant quelques années, nous en avons de nouveau reçu depuis 2013, mais elles ne portaient pas sur la dérivation des lignées. Rien n'interdit toutefois de poser des questions dans ce domaine. C'est à suivre.

Les neurosciences sont un vaste sujet. En 2011, le législateur, dans sa grande sagesse, a souhaité confier à l'Agence de la biomédecine une mission d'information et de veille sur les neurosciences. Mais il se trouve que nous n'avions pas en interne les compétences nécessaires pour exercer cette activité très éloignée de nos métiers habituels, et que nous n'avions pas d'expertise ni la capacité de l'acquérir dans le contexte de l'époque. Cela nous a conduits à mettre en place un comité de pilotage, composé d'experts extérieurs que nous hébergeons et qui rendent annuellement un rapport sur un sujet considéré comme émergent en matière de neurosciences. L'homme « augmenté » fait partie de ses sujets d'étude. Notre rapport d'activité joint en annexe – nous renvoyons désormais par un lien vers le site internet par mesure d'économie – cette étude faite tous les ans ou tous les deux ans, suivant la charge de travail du comité, pour éclairer un des aspects des neurosciences. Nous n'avons abordé l'intelligence artificielle que sous le mode de chacun des opérateurs, ce qui nous a conduits à être auditionnés par l'OPECST au sujet des scores, lesquels font appel à des algorithmes, mais comme n'importe quel acteur, sans aucune spécificité.

S'agissant des tests génétiques et de la génétique, je serai moins concise, car c'est un sujet très sensible dont les développements posent beaucoup de questions.

Ce n'est pas parce qu'une technique est disponible qu'il faut nécessairement l'utiliser. Il convient, en tout cas, de s'interroger sur son utilité, son efficacité, son innocuité et ses conséquences. La donnée génétique est, en principe, inaltérable – je dis « en principe » puisqu'une partie de la recherche vise à la modifier. Elle dit beaucoup de vous ; je ne verse jamais dans le « tout génétique », mais elle présente la particularité d'être identifiante non seulement pour vous, mais aussi pour votre famille. Elle ne concerne pas que vous. D'où la mise en place des dispositifs, notamment le dispositif spécifique de l'information parentale. Toutes les connaissances développées en génomique montrent à quel point cette donnée est complexe. Nous sommes attentifs à l'interprétation et surtout aux limites de l'interprétation. Pour restituer une donnée génétique, il faut aussi être capable d'expliquer en quoi cela ne détermine pas tout, en quoi on ne sait pas, en quoi on sait. La susceptibilité n'est pas la prédisposition. Un gène dominant n'est pas un gène récessif.

Cela fait beaucoup d'éléments à indiquer. Cela pose de redoutables questions en termes d'information et de consentement. Le consentement vaut-il une fois pour toutes ? Au fur et à mesure de l'avancée des connaissances, à l'instant T+1, on pourrait découvrir d'autres éléments que ceux trouvés par un test génétique réalisé à l'instant T. Cela pose des questions redoutables en termes de big data, de conservation des données et d'accès aux données. C'est tout le problème des sites internet hébergés dans des pays étrangers. On ne sait pas où sont hébergées les données, qui y a accès ni pour quel usage. Je ne suis pas sûre que le modèle économique repose seulement sur la réalisation du test.

Se posent des questions fondamentales de conseil génétique. Une fois obtenue une donnée génétique, en supposant qu'on soit en mesure de l'interpréter, un accompagnement est nécessaire parce que c'est toujours une forme de vulnérabilité, et il n'est pas toujours simple de prendre connaissance et de digérer l'information. Nous ne sommes pas aujourd'hui en capacité d'obtenir le conseil indispensable. Or il est probable que les tests génétiques continueront à se développer, notamment parce que la médecine prédictive est un des axes majeurs de développement de la médecine actuelle. Nous aurons donc encore plus besoin de conseil génétique. C'est la question que nous posons dans notre rapport de l'accompagnement de ce développement du conseil génétique. Renforcer les prérogatives des conseils génétiques, s'appuyer davantage sur eux, sous la supervision d'un médecin, suppose de développer de nouvelles connaissances, de nouveaux métiers, comme la bio-informatique pour l'interprétation des données. Compte tenu des enjeux qui sont emportés, je ne suis pas sûre que cette audition suffise à vous apporter des réponses. Il importe, en tout cas, de s'intéresser à l'encadrement international au regard du développement de sites internet souvent présentés de façon anodine, qui permettent de faire tout et n'importe quoi. On vous dira de façon récréative si vous avez dans votre ascendance un Scandinave, un Indien, mais ce qu'on en tire n'est pas du tout récréatif. À cela s'ajoutent de plus en plus de découvertes incidentes.

Afin de répondre à la mission d'information qui nous a été confiée, nous avons mis en place un site internet qui est plutôt bien référencé. Mais un site internet ne suffit pas à faire de la pédagogie. Un important travail est à faire avec la presse et les médias. Nous avons tous la responsabilité de faire la pédagogie de ces sujets. En revanche, je ne suis pas sûre que nous soyons les plus pertinents pour sérier les tests et les qualifier, car cela sort vraiment de notre champ de compétence. Nous entrons là dans des questions de dispositifs divers et variés qui ne ressortent pas du tout du champ de compétence traditionnels de l'Agence.

En revanche, donner cette information parce que l'on mesure ce qu'est la génétique constitutionnelle renvoie à une autre question, qui est que cela rend plus floue la frontière entre génétique constitutionnelle et génétique somatique, donc entre les caractéristiques génétiques qui nous sont propres et, par exemple, les caractéristiques génétiques d'une tumeur – la génétique somatique. Nous parlions de médecine prédictive et de la médecine personnalisée qui se développe de plus en plus, faisant souvent appel à des « tests compagnons » visant à adapter le traitement au plus près des caractéristiques propres de chaque patient. Or ces « tests compagnons » qui visent à résoudre un problème somatique fourniront des informations constitutionnelles, sans que l'on ait nécessairement aujourd'hui, étant donné la façon dont cela est organisé, accès à toutes les garanties d'encadrement des examens des caractéristiques génétiques constitutionnelles.

Cela fait beaucoup de questions. Je ne suis pas sûre d'avoir tout éclairé en un temps aussi court.

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