Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 17 juillet 2018 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères sur les défis de l'Union européenne :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je veux tout d'abord vous dire le plaisir que j'ai de participer à notre rendez-vous mensuel. Cette réunion devait se tenir la semaine dernière, mais j'ai été obligé de la reporter car j'ai dû suppléer le chef de l'État au sommet de l'Union européenne et des Balkans à Londres, puis participer au sommet de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).

Nous avons décidé de concentrer notre discussion sur l'Union européenne, mais ce sujet m'amènera à aborder de nombreuses questions que je vais tenter de passer brièvement en revue dans mon propos liminaire.

Vous le constatez, l'Europe doit livrer bataille sur une scène internationale en plein bouleversement, où nombre de repères se brouillent. Face aux menaces qui pèsent sur le système international, la nécessité de garantir l'existence d'un pôle européen uni et stable me semble plus forte que jamais. Il y va de la préservation de notre sécurité et de l'ensemble de nos intérêts, mais aussi de la pérennité d'une stabilité politique globale dont l'histoire nous a enseigné le prix. Simultanément, l'Europe est en proie à une grave crise interne, de nature à la fois politique et économique, qui nourrit les populismes, lesquels l'alimentent en retour. Ravivée, dans l'actualité la plus récente, par d'âpres débats sur la question des migrants, cette crise semble avoir atteint dernièrement un nouveau palier. Mais, si la situation dans laquelle se trouve l'Union est sérieuse et exige d'être considérée avec lucidité, elle ne doit pas éclipser les efforts déjà consentis par notre pays pour relancer la dynamique européenne et conjurer le spectre d'un délitement de l'Europe et d'un renoncement au projet européen. À cet égard, notre mobilisation – celle du chef de l'État, du Gouvernement, la mienne – est totale.

L'Europe est, depuis le début, au coeur du projet politique conçu par le Président de la République, qui a osé porter un discours fort sur l'Union européenne pendant la campagne présidentielle. Au repli et à la fermeture des extrêmes, il a opposé l'ambition d'une Europe refondée, plus démocratique, plus unie et plus souveraine. Cette ambition a su convaincre, mais il faut sans cesse la rappeler pour convaincre encore. En tout cas, nous ne cesserons d'agir pour en faire une réalité tangible. Telle est ma mission, et je l'accomplis avec le soutien de Nathalie Loiseau, que vous avez l'occasion d'entendre régulièrement. L'enjeu est de taille. C'est pourquoi nous devons tout faire pour réussir.

Je commencerai par rappeler rapidement les termes du projet de refondation européenne présenté par le Président de la République, car ils constituent la charte du Gouvernement dans ce domaine. L'Europe souveraine, que le Président de la République a appelée de ses voeux le 26 septembre dernier à la Sorbonne, repose en définitive sur trois piliers : l'unité de l'Europe, la protection de ses citoyens et de ses intérêts et, enfin, ce que j'appelle la capacité de projection de l'Union européenne, c'est-à-dire sa capacité à agir comme un acteur global, à peser réellement sur les dossiers internationaux et à diffuser son modèle et ses valeurs.

De ce triptyque découlent trois impératifs. Premièrement, il faut prendre en compte les aspirations des peuples, qui sont dépositaires de la souveraineté européenne. Deuxièmement, il faut renouer avec le souci de protection inhérent au projet européen, y compris dans ses politiques les plus anciennes et les plus emblématiques. L'Europe qui protège, c'est une Europe qui non seulement vient en aide à ceux qui en éprouvent le besoin, mais qui affirme également ses intérêts économiques et qui défend son autonomie stratégique. Enfin, troisièmement, il faut construire une Europe capable d'agir comme une puissance globale. Cet impératif, qui est sans doute encore plus prégnant aujourd'hui qu'hier et qu'au moment du discours de la Sorbonne, implique de réguler la mondialisation selon nos propres normes, d'oeuvrer en faveur du développement et d'être le fer de lance de la lutte contre le changement climatique.

Cette Europe démocratique, cette Europe qui protège et qui prend son destin en mains, cette Europe capable de défendre ses intérêts et d'assumer un rapport de force, l'actualité, y compris la plus récente, ne cesse de nous en rappeler la nécessité.

Depuis le discours de la Sorbonne, un certain nombre d'acquis ont été obtenus, qu'il ne faut pas négliger. Ainsi, la mise en oeuvre du projet des consultations citoyennes est désormais une réalité dans l'ensemble des États membres. Nos concitoyens et l'ensemble des Européens sont invités à se rassembler pour débattre de l'avenir commun que nous voulons inventer. En France, plus de 420 consultations ont été labellisées, et cela se poursuivra à l'automne. S'agissant de la défense européenne, l'adoption d'un fonds européen ad hoc qui permettra de financer, dès 2019, le développement de la recherche et de capacités militaires communes, jusqu'à la mise en oeuvre d'un prototype, est un progrès très significatif. Par ailleurs, les universités européennes, dont la création a été proposée dans le discours de la Sorbonne, commencent à s'organiser et, d'ici à 2024, une vingtaine d'entre elles devraient voir le jour. Sur la question du travail détaché, la détermination et la ténacité du Président de la République ont permis d'aboutir à des améliorations significatives de la directive sur la base du principe : à travail égal, traitement égal sur le même lieu de travail. Enfin, lors du sommet de Göteborg, en novembre dernier, le socle européen des droits sociaux que le Président de la République avait appelé de ses voeux dans son discours de la Sorbonne a été proclamé ; il comprend le principe d'un salaire minimum et des éléments de convergence sociale. Certains progrès ont donc été accomplis, mais l'enjeu principal réside dans le choix que feront les Européens lors des échéances de mai prochain.

Les crises que l'Europe traverse confirment la nécessité de poursuivre dans cette voie, même si elles en compliquent l'exécution. Depuis plus d'une décennie, l'Europe traverse en effet des turbulences majeures. Une crise politique de légitimité, d'abord : l'Union est trop souvent incapable de rendre ses décisions intelligibles. Une crise de confiance, ensuite, au moment où les fruits de l'effort collectif et la croissance ne semblent pas également partagés. Dans la plupart des États membres, on a vu la même rhétorique se déployer : sous prétexte des difficultés que rencontre la construction européenne, on oppose au projet de l'Union une représentation chimérique de la souveraineté nationale, fondée sur l'isolement et le repli. Cette opposition entre populisme et partisans de l'Europe est devenue, en définitive, un clivage politique majeur sur l'ensemble du continent.

L'unité européenne est ainsi en question, face à des forces centrifuges qui minent le continent et dont la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne est l'illustration la plus saillante. Face à ce revers, l'Europe doit démontrer son unité et sa cohésion. Depuis le 19 juin 2017, la négociation est enclenchée sous la conduite de Michel Barnier, qui a reçu des vingt-sept États membres et de la Commission européenne un mandat clair à la suite du référendum de juin 2016. Mais, alors que l'échéance du retrait – le 29 mars 2019 – approche dangereusement, plusieurs chantiers importants – vous l'avez indiqué, madame la présidente – sont encore devant nous.

Je pense tout d'abord à l'accord de retrait. Au-delà des sujets sur lesquels nous avons trouvé un accord – le règlement financier et le droit des citoyens –, certaines questions importantes demeurent, telles que celle du rôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans la mise en oeuvre de l'accord, ou celle de la frontière irlandaise. Sur ce sujet crucial, le Royaume-Uni a fait une proposition qui comporte trop de faiblesses et porterait atteinte au marché intérieur de l'Union européenne. Par ailleurs, nous avons défini, à vingt-sept, la nature de la relation future que nous souhaitons établir avec le Royaume-Uni. L'Union propose la conclusion d'un accord de libre-échange ainsi que d'autres partenariats, notamment en matière de sécurité intérieure, de politique étrangère et de défense, qui devront être actés au terme de la négociation.

La semaine dernière, le gouvernement britannique a été remanié après la démission de David Davis et de Boris Johnson, qui ont été remplacés respectivement par Dominic Raab et Jeremy Hunt. Nous en prenons acte. J'ai déjà eu l'occasion de rencontrer mon nouvel homologue, Jeremy Hunt, mais le nom du négociateur compte moins que la position que défendra le Royaume-Uni lors de la session de négociations en cours. Ces démissions, comme vous le savez, sont intervenues à la suite d'un séminaire gouvernemental qui s'était tenu le vendredi précédent à Chequers, lors duquel la Première ministre, Theresa May, avait fait des propositions qui ont été précisées dans un Livre blanc paru le 12 juillet.

Sur le contenu de celui-ci, madame la présidente, je ne peux pas encore vous livrer la position définitive de la France, car nous sommes en train de l'examiner, notamment en relation avec le négociateur, Michel Barnier, à la lumière des principes fixés par le Conseil, à savoir l'intégrité du marché unique, l'indivisibilité des quatre libertés de circulation – des capitaux, des services, des biens et des personnes – et la pleine autonomie de décision de l'Union. En tout état de cause, on peut constater un « bougé » de la part de Theresa May, d'un Brexit dur vers un Brexit doux. Ce Livre blanc est un document de travail qui mérite la considération mais, a priori, le compte n'y est pas encore. Il s'agit de savoir, tout d'abord, comment l'ensemble des Vingt-Sept et le négociateur vont l'interpréter, notamment au regard du mandat de négociation, et, ensuite, si d'autres « bougés » sont possibles ou s'il s'agit d'une position définitive.

Quoi qu'il en soit, le temps presse, car l'accord de retrait doit être conclu, si possible, lors du Conseil européen du mois d'octobre, en raison des contraintes liées au calendrier du Parlement européen. Il faut donc faire le maximum pour aboutir à une clarification de cet accord, faute de quoi prévaudra la perspective d'une sortie sans accord. Ce n'est pas ce que nous souhaitons. Certes, cela bouge, mais cela bouge lentement et tardivement. Peut-être cela bougera-t-il encore. En tout cas, nous considérons ce Livre blanc comme une base de travail qui, dans l'état actuel des choses, n'est a priori pas satisfaisante.

J'en viens à l'Italie. Les élections du 4 mars dernier ont porté au pouvoir une coalition populiste rassemblant la Ligue et le Mouvement Cinq Etoiles. Le gouvernement conduit par le président Conte est entré en fonction le 1er juin. Le discours du nouveau président du Conseil a rassuré ses partenaires, dans la mesure où il a dissipé leurs inquiétudes en confirmant l'ancrage de la péninsule dans l'Union européenne et la zone euro. Néanmoins, il n'a pas apporté les précisions attendues sur le financement, le calendrier et les contours des mesures annoncées. Or, les premières mesures du nouveau ministre de l'intérieur laissent entrevoir une orientation très préoccupante. Nous estimons qu'il faut parler avec les Italiens. Le Président de la République s'est ainsi entretenu à plusieurs reprises avec M. Conte et j'ai moi-même rencontré mon homologue italien. Nous souhaitons mettre la relation bilatérale forte qui existe entre les deux membres fondateurs au service de l'Union européenne ; l'enjeu est d'arrimer Rome à nos côtés pour confirmer l'engagement européen de l'Italie.

À côté des dissensions politiques que je viens d'évoquer, le second défi tient à la montée des projets « illibéraux », qui remettent en cause certaines des valeurs fondamentales et certains des principes de fonctionnement essentiels du projet européen. En Pologne, tout d'abord, où le parti Droit et Justice, au pouvoir depuis 2015, a mis en oeuvre une réforme du système judiciaire aboutissant notamment à une moindre effectivité du contrôle de constitutionnalité des lois et à un renforcement de l'influence du pouvoir politique sur les instances judiciaires. Ces évolutions portent atteinte à la séparation des pouvoirs, à l'indépendance de la justice et au droit à un recours juridictionnel effectif, qui figurent parmi les engagements de l'Union européenne. Conformément à la procédure de l'article 7 du traité de l'Union européenne, la Commission a donc présenté, le 20 décembre dernier, une proposition motivée visant à demander au Conseil de se prononcer sur l'existence d'un risque clair de violation grave de l'État de droit en Pologne. Le recours à cette procédure a permis de renouer un dialogue entre la Commission et les autorités polonaises, sans que celles-ci aient, pour l'heure, fait des concessions à même de dissiper nos inquiétudes.

On constate la même dérive en Hongrie, où les préoccupations touchant l'État de droit résultent de plusieurs réformes menées par le gouvernement de Viktor Orbán, qui a réduit de manière substantielle les vecteurs d'expression de l'opposition. La Commission européenne a donc ouvert des procédures d'infraction et le Parlement européen a adopté, le 17 mai dernier, une résolution appelant au déclenchement de la procédure prévue à l'article 7 du traité sur l'Union européenne. Cette procédure va suivre son cours.

Je mentionnerai également l'évolution de la Roumanie, dont on parle moins mais qui est également préoccupante. Je pense en particulier à la destitution récente de Laura Kövesi, procureure anticorruption – avec qui je me suis longuement entretenu lors de mon récent déplacement en Roumanie –, qui n'a pu être empêchée par le président Klaus Iohannis. Cette destitution ne manque pas de susciter des interrogations quant à l'avenir.

Face à cette situation, la Commission a émis une proposition visant à mettre en place une conditionnalité financière liée au respect de l'État de droit. Puisque le bénéfice des financements de l'Union est l'expression de la solidarité européenne, il importe que celle-ci soit considérée comme indissociable du respect de ses valeurs fondamentales.

Par ailleurs, l'Europe se déchire sur la question migratoire. En effet, dans l'actualité récente, c'est sur la question des migrations et de l'équilibre entre responsabilité et solidarité des États que les clivages les plus préoccupants se sont affirmés au sein de l'Union. Pendant plusieurs années, celle-ci a été confrontée à une crise migratoire majeure. Aujourd'hui, les flux ont drastiquement baissé ; les initiatives prises au niveau européen depuis 2015 ont porté leurs fruits. Plus d'un million de personnes étaient arrivées en Europe par les routes maritimes en 2015 ; elles ont été moins de 80 000 en 2017, et ce chiffre devrait être à peu près équivalent en 2018. C'est donc à une crise politique sur le sujet des migrations, et non à une crise migratoire proprement dite, que l'Union européenne doit faire face aujourd'hui.

Ce constat n'enlève toutefois rien au caractère durable des flux migratoires irréguliers, qu'il faut prendre en compte. L'Europe doit donc trouver, pour les maîtriser, des solutions qui soient évidemment conformes au respect de la dignité des personnes concernées, tant durant leur transit qu'à leur arrivée en Europe. Celle-ci ne peut pas prendre pour habitude de régler des situations aussi dramatiques que celles provoquées par les crises nautiques auxquelles nous avons assisté par des solutions de dernière minute. Il nous fallait donc construire un cadre permettant de travailler à l'application des principes de solidarité et de responsabilité. C'est ce qui a été fait au cours du Conseil européen des 28 et 29 juin derniers. La France a mis sur la table des négociations un plan d'action global, structuré autour de trois lignes de force. Premièrement, nous proposons, afin de protéger nos frontières extérieures, de faire de l'agence Frontex une véritable police européenne des frontières. Deuxièmement, nous voulons renforcer le travail partenarial avec les pays d'origine et de transit au moyen d'actions de coopération, de formation et de développement. Cette proposition s'inscrit dans le prolongement de ce qui avait été convenu lors du sommet du 28 août 2017 à l'Élysée et, surtout, lors du sommet de l'Union européenne et de l'Union africaine à Abidjan. Enfin, troisièmement, sur le territoire européen, nous souhaitons renforcer la convergence de nos systèmes d'asile et promouvoir une refonte en profondeur du système dit de Dublin, afin de mieux articuler les règles de responsabilité et les règles de solidarité.

Le Président de la République a obtenu que cette démarche serve de base à l'accord, et nous travaillons maintenant à donner une traduction opérationnelle aux conclusions du Conseil. Ce cadre général repose sur des principes clairs : la garantie du droit d'asile, principe intangible pour les personnes menacées, et l'absence de droit à la migration économique. Il est légitime que les pays européens régulent l'ensemble de ce phénomène d'immigration. Encore faut-il le faire dans le respect de nos principes humanistes et du droit international.

Les membres du Conseil européen se sont accordés sur la nécessité d'un renforcement de l'action extérieure menée à l'égard des pays d'origine et de transit. Il nous faut en effet dissuader, autant que possible, les migrants de prendre la mer sur les rives sud de la Méditerranée. Nous y parviendrons notamment en renforçant les capacités des garde-côtes des pays du Maghreb et en veillant à ce que les migrants ramenés à terre le soient dans des conditions dignes et conformes au principe de non-refoulement. Ce doit être le cas en particulier en Libye, où je vais d'ailleurs me rendre dans quelques jours, pour évoquer la situation politique du pays – j'y reviendrai, car l'Europe joue un rôle important en la matière – mais aussi pour nous assurer de la mise en oeuvre des dispositifs garantissant aux migrants d'être respectés et traités avec le minimum d'humanité, ce qui n'était pas le cas il y a encore peu de temps. Au demeurant, la situation ne s'est pas améliorée partout, car beaucoup de camps sauvages sont tenus par des milices qu'il convient de combattre.

Les membres du Conseil européen se sont également accordés sur le lancement de la seconde tranche, de 3 milliards d'euros, de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie et sur le ré-abondement du Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique, le fameux FFU, à hauteur de 500 millions d'euros, qui permettra de financer les nouveaux projets pour le développement que la France souhaite porter dans le cadre de sa coopération avec les pays qu'elle juge prioritaires.

Les conclusions du Conseil européen évoquent également le concept de plateforme régionale de débarquement hors Europe. Nous avons, avec d'autres, émis des réserves sur la faisabilité politique et juridique d'un tel projet. Le type d'actions que nous menons au Niger ou au Tchad nous semble préférable : les centres sont ouverts et gérés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), et nous dépêchons sur place des missions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) grâce auxquelles nous pouvons relocaliser les migrants éligibles au droit d'asile, ceux qui ne le sont pas bénéficiant d'un soutien au retour fourni par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Cette collaboration entre le HCR et l'OIM est de nature, me semble-t-il, à assurer à la fois le respect du droit d'asile et la dissuasion. Il est préférable d'agir dans ce cadre-là plutôt que dans celui de plateformes de débarquement hors Europe.

Par ailleurs, les véritables responsables sont les passeurs : ce sont eux qui mettent en péril la vie des migrants en les jetant en mer dans des embarcations de fortune. Nous avons donc mené des actions pour que plusieurs de ces passeurs fassent l'objet de sanctions, lesquelles ont été adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies et l'Union européenne. Nous poursuivrons cette action, car ces sanctions sont indispensables pour éviter que ne prospèrent ceux qui s'enrichissent sur la misère des autres.

Toutefois, poursuivre les coupables de ces drames ne suffit pas : nous devons également favoriser la mise en oeuvre d'un mécanisme prévisible de gestion des débarquements en Europe. Tel est l'objet du projet de centre contrôlé qui figure dans les conclusions du Conseil. Dans ces centres établis sur le territoire de l'Union, à ses frontières extérieures, nous pourrions faire la distinction entre les réfugiés, qui ont besoin d'une protection, et les migrants irréguliers, avec un soutien accru de la part de l'Union et des États membres. Sans remettre en cause le principe de responsabilité des pays de premier accueil, cette proposition a le mérite de renforcer la solidarité européenne et la coopération. En tout cas, c'est dans ce sens que nous voulons avancer. En même temps, nous voulons appuyer les travaux de la Commission visant à faire du bureau européen d'appui en matière d'asile un véritable office européen de l'asile, conformément aux principes qu'avait énoncés le Président de la République dans son discours de la Sorbonne.

Voilà le cadre qui a été validé par l'ensemble des membres du Conseil. Il faut maintenant l'appliquer de manière opérationnelle – j'ai indiqué quelques pistes. Le rendez-vous est fixé au 20 septembre, date à laquelle se tiendra, à Salzbourg, un Conseil informel qui devra faire le point sur l'application concrète de ce cadre général. Nous sommes actuellement dans la phase où les États se positionnent – c'est le sens des déclarations que vous avez relevées, madame la présidente –, mais nous aboutirons ensuite, je l'espère, à la mise en oeuvre concrète des orientations définies par le Conseil à la fin du mois de juin.

Il nous faut relever un deuxième défi, pour répondre aux enjeux de la situation internationale : le renforcement de l'Europe de la défense. La nouvelle donne internationale, marquée par la remise en cause des instances multilatérales, la montée des tensions dans notre environnement proche et la persistance de la menace terroriste, rappelle aux Européens l'exigence d'autonomie stratégique qui doit animer notre destin commun et le projet de l'Union européenne. Je constate avec vous qu'en la matière, des progrès importants ont été accomplis au cours des derniers mois. J'ai évoqué tout à l'heure le Fonds européen de défense – 13 milliards d'euros, ce n'est pas rien. En tout cas, je puis vous dire, pour avoir été ministre de la défense pendant un certain temps, que, jamais, il y a cinq ans, on n'aurait pu imaginer parvenir à ce résultat, jamais ! En outre, a été arrêté, en décembre dernier, le principe de la coopération structurée permanente (CSP), qui doit permettre à plusieurs des membres de cette coopération de lancer en commun des projets capacitaires et opérationnels. Dix-sept projets concrets ont déjà été lancés, et de nouveaux projets seront présentés au mois de novembre. Il s'agit, là encore, d'une mutation culturelle importante, d'autant plus que ce dispositif, qui avait été lancé par la France et l'Allemagne, fin 2016, à Bratislava, réunit désormais tout le monde. Cela montre que notre préoccupation a été largement comprise.

J'ajoute que, lorsque le Président de la République a évoqué, dans son discours de la Sorbonne, le concept d'initiative européenne d'intervention – qui a pour objet d'accroître la mobilité et l'interopérabilité entre les différentes armées de l'Union européenne, d'élaborer des scénarios d'engagement mutuel et de partager le soutien aux opérations –, il avait été, là encore, assez peu entendu. Or, aujourd'hui, huit autres pays soutiennent cette initiative européenne d'intervention, qui permet de développer une culture militaire commune, une habitude de la planification et des réflexes d'intervention communs. Cela va dans le bon sens, celui de l'affirmation de l'autonomie stratégique de l'Union européenne. J'évoquerai plus tard l'OTAN, mais il se trouve qu'au sommet de Bruxelles, la complémentarité et l'arrimage de l'autonomie de défense de l'Union européenne ont été constatés et mentionnés dans le communiqué final.

Enfin, le troisième défi auquel l'Union européenne est confrontée est la relance du chantier de la réforme et de l'approfondissement de la zone euro. Aujourd'hui, celle-ci est encore trop faible face aux risques de déstabilisation financière et trop vulnérable face aux chocs économiques. L'accord conclu par le chef de l'État et la Chancelière, le 19 juin dernier, lors du sommet franco-allemand de Meseberg, repris par le Conseil européen, marque un tournant dans l'histoire de notre monnaie commune. Sur la base des propositions françaises, cet accord fixe, tout d'abord, un objectif de stabilité. Nous avons en effet voulu progresser dans la voie d'une réforme du mécanisme européen de stabilité, pour faire émerger un instrument de financement nouveau. En créant ce filet de sécurité, nous apportons des réponses concrètes aux problèmes de stabilité économique et financière au sein de la zone euro. Cette décision marque donc une avancée majeure. Au reste, si elle avait été prise il y a quelques années, elle aurait permis de résoudre beaucoup plus efficacement le début de la crise financière et aurait épargné à certains pays européens les tourments dont ils ont payé lourdement le prix.

Par ailleurs, la France et l'Allemagne se sont mises d'accord sur un budget de la zone euro. Il s'agira d'un véritable budget : des recettes et des dépenses annuelles seront fixées et les États de la zone auront à prendre des décisions, notamment pour réaliser des investissements communs en soutien à la productivité et à l'innovation. Il reviendra à la Commission européenne d'effectuer les dépenses prévues. Lors du sommet de la zone euro du 29 juin, le Président de la République et la Chancelière ont exposé les termes de l'accord qu'il convient désormais de traduire concrètement. Notre objectif est que ce budget voie le jour lors du prochain cadre financier pluriannuel auquel j'ai fait référence tout à l'heure à propos du Fonds européen de défense. Il y a quelques mois, le Président de la République l'a rappelé il y a un instant lors d'une conférence de presse, la possibilité de sceller un accord avec les Allemands sur un budget de la zone euro semblait impossible. Aujourd'hui, nous disposons d'un accord franco-allemand clair et ambitieux. Il s'agit désormais de rassembler les autres États membres sur cette logique, mais on voit bien que, pour avancer, le moteur franco-allemand est essentiel. Il s'incarnera encore d'avantage prochainement, puisqu'un nouveau traité de l'Élysée est en cours d'élaboration, qui devrait être validé au mois de janvier prochain et qui sera une source d'inspiration pour le futur projet européen.

Il s'agit de faire en sorte que l'Europe soit une véritable puissance économique et monétaire.

Outre ces trois défis immédiats, je voudrais, pour conclure, faire état des interrogations et des moyens d'action de l'Europe face aux ébranlements de la nouvelle donne mondiale. Pour jouer le rôle de puissance qui lui revient, l'Europe doit identifier ses intérêts propres, qu'il s'agisse d'intérêts de sécurité ou d'intérêts économiques, et mettre en oeuvre, le cas échéant, les instruments de nature à les garantir. Elle doit le faire dans son environnement le plus proche ; je pense évidemment à l'espace méditerranéen. Ainsi, sur la question syrienne et la question libyenne, l'Europe est à l'initiative – j'aurai sans doute l'occasion d'y revenir. S'agissant de la Syrie, je crois avoir évoqué avec vous, lors de notre dernière réunion, notre souhait de trouver un mode de fonctionnement entre ce que l'on appelle le Small Group, créé à l'initiative de l'Union européenne, qui réunit les États-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, et le « groupe d'Astana », créé à l'initiative de la Russie, pour engager un processus politique en Syrie. Je dois vous dire que cette initiative progresse puisque, la semaine dernière, s'est tenue, en marge du sommet de l'OTAN, en présence du secrétaire d'État Pompeo, une réunion du Small group, au cours de laquelle nous avons convenu de la méthode politique à adopter pour aboutir à un processus vertueux, si l'on peut utiliser ce mot, et élaborer une feuille de route politique. Il faut maintenant discuter, avec le « Groupe d'Astana » et le représentant du Secrétaire général des Nations unies, du projet constitutionnel, du périmètre des élections, du cessez-le-feu et de l'aide humanitaire. Mais cette procédure avance, et l'Europe joue tout son rôle.

De la même manière, elle joue tout son rôle dans la mise en oeuvre de l'agenda prévu pour la Libye. On sait que la maîtrise de la crise migratoire ne pourra être totalement assurée que lorsqu'il y aura, dans ce pays, une autorité politique capable de maîtriser les eaux territoriales libyennes et d'assurer la sécurité. Une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne qui s'est tenue hier, sur ce sujet, à Bruxelles, nous a confortés dans cette démarche. C'est d'ailleurs la même posture que celle que nous avons adoptée concernant le Sahel. Les Européens sont en effet présents à nos côtés, pour soutenir le développement du Mali et mettre en oeuvre le G5 Sahel et l'Alliance pour le Sahel.

Enfin, nous avons un rôle particulièrement actif à jouer dans la crise de la relation atlantique. Je considère que, là encore, l'Union européenne est au rendez-vous. Face à la décision du président Trump de quitter le Joint Comprehensive Plan Of Action (JCPOA), les Européens ont su faire front commun pour maintenir un accord qu'ils ont activement contribué à négocier et qui préserve la sécurité globale. Non seulement cet accord tient toujours, mais, vendredi dernier, à l'initiative de l'Union européenne, les Français, les Allemands, les Britanniques, Mme Mogherini, la Haute Représentante de l'Union européenne, ainsi que les représentants chinois et russes et les autorités iraniennes se sont réunis pour réaffirmer leur volonté de rester dans l'accord et de se mobiliser pour créer un canal de financement public immunisé contre le droit américain qui permette d'éviter la détérioration provoquée par les mesures extraterritoriales décidées par les autorités américaines à l'encontre des entreprises qui investiraient en Iran, de sorte que celui-ci puisse continuer à vendre son pétrole et ses sources d'énergie et à acquérir des biens.

Dans un autre domaine, celui de la guerre commerciale initiée par le Président Trump, qui s'est traduite par une augmentation des taxes sur l'acier et sur l'aluminium, l'Union européenne a répondu par des contre-mesures immédiates, proportionnées mais suffisamment significatives pour montrer qu'elle sait défendre ses intérêts. Si, d'aventure, une autre initiative était prise par le président des États-Unis pour relever les droits douanes sur l'automobile, la réaction européenne serait identique. Sur l'ensemble de ces questions, nous sommes unanimes. Il faut que les États-Unis prennent conscience que la guerre commerciale a aussi un coût pour eux, en matière d'emploi et de débouchés. Cette détermination commune, que j'ai pu encore constatée hier, lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne, est très frappante.

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