Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 17 juillet 2018 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères sur les défis de l'Union européenne :

Quelques questions toutes concentrées sur l'Europe, j'ai bien compris…

Madame Le Peih, le respect des accords de Paris sur le climat dans les accords de libre-échange, c'est obligatoire. Désormais, tout accord de libre-échange et, au-delà, tout projet avec des partenaires, intègre les accords de Paris.

Vous avez rappelé, madame Genetet, que les élections législatives au Cambodge étaient prévues à la fin de ce mois. Le président du principal parti d'opposition, M. Kem Sokha, est toujours détenu en prison, et 118 membres de son parti sont interdits d'exercer des fonctions politiques pendant cinq ans. Les autorités cambodgiennes ont par ailleurs pris des mesures qui restreignent les libertés d'expression et d'association dans le pays, dont la fermeture de médias. Nous sommes donc face à une situation très préoccupante, en conséquence de quoi la France a décidé, avec ses partenaires européens, de suspendre l'aide européenne qui devait être apportée, comme lors du précédent scrutin, à la commission électorale cambodgienne. Avec nos partenaires, nous appelons les autorités cambodgiennes à s'inscrire dans un processus démocratique. J'ai moi-même rencontré à deux reprises mon homologue cambodgien, M. Prak Sokhonn, pour lui faire part de nos observations à cet égard. Cette dérive est très préoccupante.

Des accords sont en cours de négociation avec le Vietnam et l'Indonésie. Je partage l'idée qu'il serait intéressant d'avoir un accord régional entre l'Union européenne et l'ASEAN, mais ce n'est pas encore à l'ordre du jour. Les relations avec les pays de l'ASEAN sont très fortes. Vous savez que le Premier ministre singapourien était l'invité d'honneur de la France le 14 juillet. Nous avons publié avec Singapour à cette occasion une feuille de route bilatérale pour la coopération renforcée, en particulier dans le domaine numérique. Lors de chaque entretien – mais ce n'est en l'occurrence pas le cas avec Singapour –, nous faisons état de nos préoccupations concernant les droits de l'homme.

Je suggère, madame la présidente, que nous organisions une discussion spécialement consacrée à l'Asie et à la mer de Chine.

Vous avez raison, monsieur Quentin, d'évoquer l'importance de notre relation avec le Japon. Le Premier ministre Abe devait être l'invité d'honneur de la France le 14 juillet mais en raison des inondations au Japon il n'a pu se déplacer. J'ai cependant reçu mon homologue japonais, M. Tarô Kôno, que je vois d'ailleurs régulièrement et avec qui j'ai des relations fortes. Au-delà des questions directement économiques, nous abordons ensemble les questions géostratégiques de la zone. Nous travaillons ensemble au sein du G7 et du G20, et nous avons tous les ans une réunion « deux plus deux », entre les ministres de la défense et des affaires étrangères des deux pays.

En cette période de grande instabilité internationale, et notamment du fait de leurs interrogations sur les conditions d'un accord potentiel entre le président Trump et M. Kim Jong-un, les Japonais sont désireux de travailler de manière encore plus étroite avec la France. Nous avons avec ce pays de nombreux points communs dans l'analyse de la situation internationale, y compris sur la question iranienne et la question africaine. Nous essayons de lancer avec le Japon un partenariat africain significatif ; ce sera l'une des grandes questions du prochain « deux plus deux », qui se tiendra à Paris.

Au-delà de « Japonismes », manifestation culturelle très importante qui durera jusqu'en février 2019, la saison culturelle se produira de nouveau au Japon en 2020. Nous sommes entrés dans un cycle de coopération culturelle très significatif, mais la partie stratégique est également essentielle.

Monsieur Habib, j'ai en partie répondu à votre préoccupation sur l'Italie dans mon propos initial. J'ai indiqué que l'Italie avait fait des choix et que, si nous avons des désaccords importants sur des points lourds comme l'avenir de l'Union européenne et les migrations, il importe cependant que l'Italie reste arrimée à l'Union. Le Président de la République a rencontré le président italien et j'ai moi-même rencontré mon homologue. Le peuple italien a voté, on peut regretter ses choix, mais il faut travailler avec les autorités italiennes le mieux possible, sans déroger à nos principes mais en essayant de faire en sorte que l'Italie reste totalement arrimée à l'Europe. C'est un membre fondateur et il faut le respecter. Cela n'empêche pas de dire ce qu'on pense, mais on se respecte.

J'ai évoqué la question de l'attentat de la rue des Rosiers quand je me suis rendu en Israël et dans les territoires occupés. Je l'ai évoquée avec le président Abbas et les responsables palestiniens. C'est un sujet important et permanent dans notre esprit.

Madame Chapelier, je ne reprendrai pas ce que j'ai dit sur les centres contrôlés et les plateformes de débarquement. Un cadre a été fixé et tout le monde travaille à sa mise en oeuvre pour aboutir d'ici au Conseil européen informel du 20 septembre en Autriche. De nombreuses réunions ont lieu entre collaborateurs de cabinet mais aussi au niveau ministériel.

Vous avez également abordé un sujet important dont on parle peu, le Sahel de l'est, ou Corne de l'Afrique. Il ne vous a échappé qu'un changement important vient d'avoir lieu en Éthiopie et que le nouveau Premier ministre, M. Abiy Ahmed, a pris des initiatives importantes traduisant un changement de cap, y compris en direction de l'Érythrée. Cette zone conflictuelle, productrice de nombreux migrants, entre dans une spirale plus positive. Il faut que la France et l'Union européenne soient à ce rendez-vous.

J'ai déjà évoqué la Hongrie dans mon propos initial. Je sais, madame O, que l'Université Soros est la cible d'une campagne. La Commission européenne a lancé des procédures à propos des lois sur l'enseignement supérieur et le financement des ONG, et nous soutenons les procédures contre les réformes engagées par les autorités hongroises. Notre nouvelle ambassadrice a déjà pris ses fonctions et a présidé la cérémonie du 14 juillet à Budapest.

Plusieurs questions ont été posées sur le multilatéralisme, par M. Cabaré et Mme Givernet notamment. Nous sommes entrés dans une phase où tous les outils établis progressivement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale pour assurer le multilatéralisme, sont en train d'être déconstruits de manière systématique. On le voit pour l'UNESCO, l'accord sur le nucléaire iranien, l'accord sur le climat, toute une série d'autres engagements collectifs. L'expression la plus forte du bilatéralisme initié par le président Trump est la guerre commerciale lancée par les États-Unis, à l'égard du Mexique et du Canada, avec la rupture de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), comme de l'Union européenne et de la Chine. La tension entre les États-Unis et la Chine au niveau commercial est très forte. La remise en cause de l'OMC également.

S'agissant de la Chine, madame Givernet, nous sommes favorables au multilatéralisme, mais très vigilants sur l'interprétation du multilatéralisme à la chinoise. Nous pensons nécessaire de travailler à la réforme de l'OMC. Lors du vingtième sommet entre l'Union européenne et la Chine, une déclaration commune a été validée, ce qui n'avait pas été le cas lors des deux précédents sommets, mais c'est peut-être en partie dû à la crise commerciale mondiale, et la création d'un groupe de travail bilatéral Union européenne-Chine sur l'OMC a été décidée, ce qui n'est pas un point mineur car la réforme de l'OMC est une priorité de la France, comme l'a indiqué le Président de la République lors de son discours à l'OCDE en mai.

Nous restons très vigilants sur les pratiques commerciales déloyales, liées en particulier à la propriété intellectuelle et aux subventions, et nous ne manquons pas d'exprimer notre point de vue à nos amis chinois. Nos relations sont très régulières. Je me suis rendu quatre fois en Chine depuis que je suis ministre des affaires étrangères, et d'autres rendez-vous sont prévus. Ce dialogue permet d'avancer, même si c'est difficile sur chaque point. La levée de l'embargo sur la viande bovine, par exemple, a été le résultat d'une bataille de douze ans. Il faut se montrer coopératif mais assurer en même temps nos intérêts. Le Premier ministre s'est rendu en Chine il y a quelques jours ; nous approchons de la grande manifestation de Shanghai qui aura lieu à l'automne et sera une opportunité de renforcer nos relations. En conclusion : ouverture et exigence.

Il faut être exigeant sur le multilatéralisme, sinon la loi du plus fort prévaut systématiquement dans des relations bilatérales.

S'agissant de la coopération stratégique France-Allemagne, monsieur Cabaré, je n'ai pas d'inquiétude particulière sur le SCAF lancé le 13 juillet. C'est un exemple de plus que l'Europe de la défense progresse. Ce dispositif permettra de remplacer la flotte de chasseurs des deux pays à l'horizon 2040. Les premiers contrats industriels ont été notifiés, nos deux pays sont déjà en ordre de bataille mais nous sommes prêts à discuter avec d'autres qui voudraient s'y ajouter, Espagnols, Britanniques, si l'envie leur en prend… En tout cas, il fallait démarrer par une initiative forte. Il s'agit d'une initiative politique prise en juillet de l'année dernière.

S'agissant de la RDC, monsieur Son-Forget, la tenue d'élections est toujours prévue pour le 23 décembre 2018. Elles auraient dû avoir lieu avant, mais l'accord de la Saint-Sylvestre a permis d'aboutir à ce report. Nous sommes très vigilants sur la tenue de ces élections et le respect intégral de la Constitution par le président Kabila, à savoir sur le fait qu'il ne se présente pas de nouveau à ces élections. Les chefs d'État des pays voisins sont eux-mêmes sensibilisés à cette question, que j'ai évoquée lors de mes déplacements en Angola, au Congo-Brazzaville, puis à Addis-Abeba il y a quelques jours, au siège de l'Union africaine. C'est essentiel pour le respect des droits de l'homme et le développement d'un processus démocratique pérenne et pacifié dans ce pays.

En revanche, je n'ai pas compris votre question sur Deraa.

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