Intervention de Rémy Rioux

Réunion du mardi 24 juillet 2018 à 14h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française du développement (AFD) :

Nous sommes très honorés d'avoir l'occasion de présenter l'Agence française de développement à la mission d'information.

L'Agence est votre agence, elle va bien ; elle est en forte croissance depuis quelques années. Le Président de la République et le Gouvernement ont tracé une trajectoire d'augmentation de l'aide publique au développement, en prévoyant d'y consacrer jusqu'à 0,55 % de notre revenu national en 2022. L'Agence a passé le montant de 10 milliards d'euros de financement en 2017, ce qui fait d'elle un instrument très significatif sur le plan international.

Ses moyens vont continuer de croître au cours des prochaines années, à la fois pour son activité de prêts, qui représente 80 % de notre action, ainsi que pour son activité de dons qui va probablement progresser de 15 % à 25 % d'un montant total qui ne pourra qu'être plus élevé.

Nous sommes présents dans 110 pays ; bien sûr, nous n'intervenons pas dans l'Hexagone, mais dans tout l'outre-mer français, qui représente 15 % de notre activité, ce qui est très important et très stratégique. Par ailleurs, depuis maintenant plus de dix ans, la lutte contre le changement climatique constitue l'une de nos grandes signatures. Nous avons pris ce virage très tôt ; il représente la moitié de nos financements, dont on peut mesurer le rapport coûts-bénéfices dans l'évolution du changement climatique. Toutes les banques de développement du monde commencent à mesurer ce rapport au sein de leurs portefeuilles, et la Banque mondiale, de son côté, s'est fixé un objectif de 28 %.

Nous cherchons une nouvelle frontière stratégique ne se bornant plus seulement à mesurer les bénéfices climats de nos projets, nous voulons devenir une agence « 100 % Accord de Paris ». Ce qui signifie que tous nos projets doivent contribuer, ou à tout le moins ne pas dégrader, les trajectoires résilientes de développement « bas carbone » que les États, selon les dispositions de cet accord, doivent décider et déclarer d'ici 2020 devant la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), s'ils en respectent les termes. Ces trajectoires doivent être financées, encouragées et accélérées ; ce qui constitue le rôle des institutions de développement et de lutte contre le changement climatique.

Au sein de cet écosystème, l'AFD se situe déjà en tête des initiatives, et nous souhaitons aller plus loin.

L'Agence est très concernée par les travaux de votre mission d'information, car elle constitue un instrument d'accompagnement parmi d'autres lors des crises. Nous le sommes avec nos caractéristiques propres, car nous sommes une maison d'ingénieurs, et non une banque commerciale. Nous apportons beaucoup de contenus issus de nos divisions techniques, dans le cadre d'un investissement non lucratif à long terme. À ce titre, nous sommes très complémentaires d'autres instruments publics ou d'actions et d'investissements privés.

En effet, les instruments publics ne fondent parfois leurs interventions que sur des subventions, alors que l'AFD apporte l'effet d'échelle d'une activité de prêt qui permet de mobiliser des montants financiers plus importants. Par ailleurs, dans la mesure où nous ne sommes pas une banque privée, nos produits sont à plus long terme ou à taux réduit, ce qui peut être particulièrement important dans les phases de reconstruction.

Nous avons en outre pour caractéristique de travailler à la fois en France et à l'étranger. Nous avons donc beaucoup à apprendre – dans ce monde en commun qui est désormais notre devise – de la façon dont on gère les catastrophes naturelles dans d'autres pays. En effet, lorsqu'un cyclone ou un tremblement de terre frappe le territoire national, il est malheureusement bien rare qu'il s'arrête aux frontières de notre pays. Les crises connaissent donc des dimensions régionales et l'AFD se doit de toujours plus avoir la capacité à intégrer ce fait.

La stratégie que nous développons est double, car nous accompagnons les acteurs de l'urgence, et l'Agence constitue aussi un instrument de prévention durable des crises.

Accompagner les acteurs de l'urgence signifie prendre très vite le relai afin d'engager rapidement une démarche de reconstruction. C'est ce que nous avons fait à Saint-Martin après le passage d'Irma en prenant le relai des acteurs de l'urgence par le truchement d'un soutien financier aux collectivités. À cette fin nous avons immédiatement suspendu pour six mois, que nous prolongerons sans doute six mois de plus, les échéances de nos prêts à la collectivité de Saint-Martin.

Nous avons mis en place en urgence un préfinancement pour l'établissement des eaux et de l'assainissement, pour un montant de 3,6 millions d'euros, nous avons aussi travaillé au fonds de renforcement de capacité des collectivités locales. Nous avons par ailleurs très rapidement dépêché nos experts techniques ; entre le mois d'octobre 2017 et le mois de mars dernier, nous avons effectué cinq missions de départements techniques portant sur le développement urbain, sur la santé, sur l'eau et l'assainissement et sur les transports afin de trouver les meilleures solutions de reconstruction.

Bien entendu, ces équipes de l'AFD interviennent indifféremment dans nos outre-mer et à l'étranger. C'est ainsi que s'accumule sur le plan technique une somme d'expériences de reconstruction très diversifiée, sur laquelle nous pouvons nous appuyer.

Ainsi sommes-nous, en 2008, intervenus très rapidement en Chine lors du tremblement de terre du Sichuan, et les autorités chinoises nous en ont su gré. Nous travaillons aussi, en coopération avec le département de Meurthe-et-Moselle, en Équateur, Etat qui a subi plusieurs tremblements de terre, et à qui nous avons accordé un prêt de 100 millions de dollars Nous sommes également intervenus à Banda Aceh, en Indonésie, après le tsunami ; nous sommes présents en Haïti et en Bolivie.

À Saint-Martin, nous sommes désormais passés à une phase d'appui à la reconstruction. Nous y avons mis en place un dispositif d'assistance multisectoriel pour douze mois, qui sera sans doute reconduit pour douze autres mois, pour un montant se situant entre 1 million et 1,5 million d'euros, afin de permettre à la collectivité de coordonner la reconstruction. Nous avons déployé une aide technique en dépêchant sur place trois experts, qui renforceront la capacité d'ingénierie et de suivi des projets, la structuration des services, le montage de dossiers de financement européens, ainsi que la qualité de service, particulièrement dans le secteur de l'eau et de l'assainissement.

En réponse à votre question, je rappelle que l'Agence française de développement est un service public de l'État doté d'un conseil d'administration, qui a connaissance de tous les projets, soit directement, soit via des comités spécialisés. Dans cette instance siègent quatre parlementaires et quatre suppléants, ainsi que des représentants des ministères concernés : affaires étrangères, finances, outre-mer et intérieur. Enfin des personnalités qualifiées représentent les différentes parties prenantes : la recherche, le secteur privé et les organisations non gouvernementales. L'AFD présente ses projets à l'ensemble de ces interlocuteurs. Ainsi, à Saint-Martin, c'est à sept parties prenantes que nous apporterons des financements. S'agissant de la dimension régionale de nos actions, à la suite du passage l'ouragan Irma, nous sommes intervenus à Cuba, durement frappé, et à qui nous avons accordé, au mois de juillet dernier, un prêt souverain de 20 millions d'euros pour la réhabilitation des services d'eau et d'assainissement.

Après le passage du cyclone Maria, nous sommes intervenus à la Dominique, en République dominicaine et auprès de l'Organisation des États de la Caraïbe orientale car, dans les Antilles, l'océan Indien et le Pacifique, les capacités d'alerte et de réponse se construisent de plus en plus à l'échelle régionale.

Dans le cadre de l'accompagnement des acteurs de l'urgence, nous entretenons avec la Croix-Rouge un partenariat ancien, depuis 2009, particulièrement dans l'océan Indien où nous appuyons les réseaux d'alerte et de gestion des catastrophes naturelles en mettant l'accent sur les populations les plus vulnérables. Nous avons mobilisé des financements significatifs pour la plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI) située à La Réunion. Nous disposons de 8 millions d'euros pour la période 2018-2019 pour renforcer encore cette plateforme ainsi que ses équivalents pour la zone Amériques-Caraïbes (PIRAC) et pour le Pacifique Sud (PIROPS), en nous appuyant sur l'expérience acquise avec la Croix-Rouge dans l'océan Indien.

Dans le cadre de notre mission de développement, outre nos préoccupations de moyen et long terme, qui impliquent d'intervenir très rapidement dans les situations d'urgence, nous sommes aussi présents dans le cadre de la prévention durable des aléas climatiques. Avant la crise, nous avons la responsabilité d'améliorer le bâti et les politiques publiques afin d'être plus résilients lorsque celle-ci survient.

Aussi, dans le cadre de sa nouvelle stratégie outre-mer la structure de l'AFD a-t-elle évolué puisque les départements « outre-mer » et « étranger » ont été supprimés au profit d'un département dit « des trois océans », qui regroupe les territoires ultramarins de la République et les États voisins.

L'idée présidant à cette transformation est de financer et d'encourager les liens et les phénomènes d'intégration régionale au sein de chacun des bassins océaniques, et de contribuer à faire de nos territoires ultramarins des exemples de développement durable. Il nous revient ainsi d'être à la tête de l'innovation dans le domaine du développement durable, de la façon de construire et de la résilience aux crises. Nous pourrons ainsi exporter ces modèles dans l'ensemble de la zone et bien sûr, au-delà, car il fait bien partie de la mission de l'Agence d'établir ces liens qui font parfois défaut.

Nous accompagnons par ailleurs de plus en plus la transition écologique outre-mer. Les prêts consacrés à l'environnement augmentent régulièrement au sein de notre portefeuille, passant de 15 % de l'activité en 2013 à 31 % aujourd'hui. Nous n'avons donc pas encore atteint les 50 % évoqués au début de mon propos, mais nous sommes sur le bon chemin. Et la logique de l'Agence n'est évidemment pas de réserver un traitement particulier aux territoires ultramarins, mais, dans l'esprit des objectifs du développement durable des Nations unies, de les emmener dans cette transition avec tous les pays du monde.

De son côté, la stratégie d'atténuation du changement climatique représente un des principaux secteurs d'intervention de l'Agence à l'étranger comme en France ; elle passe en grande partie par le recours aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique.

Nous avons ainsi doté de près de 35 millions d'euros ENERCAL, le principal énergéticien de Nouvelle-Calédonie. Nous déployons depuis 2017 un nouveau produit financier, équivalent du Fonds vert des Nations unies pour le climat, en commençant par les collectivités du Pacifique. Il s'agit d'un prêt à taux zéro, auquel nous ajoutons des éléments de subvention, ce qui représente une nouveauté dans notre activité ultramarine, car il s'agit, en dehors de la période de crise, de renforcer les maîtrises d'ouvrage et de pratiquer le renforcement de capacités pour un montant de 1,5 million d'euros pour trois ans.

La ministre a d'ailleurs été suffisamment convaincue par cette première phase dans le Pacifique, pour l'étendre, après débat au Parlement, à l'ensemble des outre-mer, ce à quoi nous employons cette année ainsi qu'à l'avenir.

Par ailleurs, l'adaptation est le parent pauvre de la lutte contre le changement climatique, alors que les financements de l'atténuation sont en progression régulière, mais un effort doit être fourni dans la gestion des conséquences inévitables du réchauffement climatique. Ce secteur concerne nos programmes portant sur l'agriculture, l'eau et l'assainissement. Nous disposons de cet instrument spécifique que constitue l'initiative Pacifique annoncée par le Président de la République lors de son déplacement en Australie et en Nouvelle-Calédonie il y a quelques semaines, et que nous sommes en train de bâtir avec les pays ayant souhaité rejoindre cette coalition. En fonction des résultats obtenus, il sera possible de poursuivre ce mouvement dans d'autres bassins océaniques.

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