Madame la présidente, je vous remercie pour votre accueil.
En préambule, je précise que je préside le CCNE et que je suis médecin infectiologue spécialiste des virus émergents.
Avant de répondre à vos questions, je souhaite préciser le cadre général de notre réflexion et clarifier ce qu'est la bioéthique. Il existe autant de définitions que de spécialistes de la bioéthique. Pour ma part, je la vois comme un équilibre difficile à trouver entre les avancées de la science et l'évolution de la société.
La science progresse très rapidement, elle n'a même jamais avancé aussi vite. On estime ainsi que, dans le domaine biomédical, le renouvellement des connaissances est de 50 % tous les cinq ans. Le médecin que je suis constate également cette accélération de la production scientifique, qui est normale – comment s'étonner qu'un médecin désire guérir ou prévenir ? – même si, bien sûr, tous les progrès de la science ne sont pas bons à prendre.
De son côté, la société française évolue également. Comme vous le savez, elle a beaucoup changé ces cinquante dernières années, pour devenir plus urbaine. Le cadre familial, tout en restant très fort, a aussi connu une transformation. Et nos concitoyens n'ont pas toujours une idée juste des avancées scientifiques.
La bioéthique a donc pour enjeu de parvenir à trouver un équilibre entre les progrès scientifiques et ce qu'est notre société. Elle ne saurait être inscrite dans le marbre malgré l'existence de grandes valeurs, j'y reviendrai, auxquelles les Français sont attachés. Je dirais qu'avec la bioéthique, il s'agit finalement de parvenir à trouver une forme d'harmonie.
Demandons-nous également pourquoi réviser en 2018 la loi relative à la bioéthique adoptée en 2011 est nécessaire.
Ces sept dernières années, de nombreux changements sont intervenus sur le plan scientifique mais aussi sur le plan législatif, indépendamment du processus de révision de la loi. Des avancées sociétales ont également eu lieu, comme le mariage pour tous qui a modifié certaines perspectives, tandis que les visions sociétales ont évolué.
On assiste par ailleurs à une internationalisation de plus en plus forte, sur laquelle je souhaite insister. La science, tout d'abord, s'est internationalisée : médecins et scientifiques de haut niveau aspirent tous à publier des articles dans les plus grandes revues anglo-saxonnes. De plus, la vision internationale a changé. Est ainsi apparue une notion qui ne relève pas entièrement de la bioéthique mais qui a partie liée avec elle, la notion de santé globale – ou global health – qui renvoie non plus à la santé pour la santé, mais à la santé dans l'environnement et dans un contexte sociétal. Avec cette notion, la santé a rejoint, au cours des quinze dernières années, les grandes problématiques internationales.
Évoquer l'internationalisation scientifique m'amène à parler de la Chine. En 2011, la Chine n'était pas un important producteur scientifique : la majorité des post-doctorants chinois partaient sur la côte ouest des États-Unis et revenaient dans leur pays quatre ou cinq ans plus tard, après avoir fait paraître des publications alors qu'ils travaillaient dans un laboratoire américain. Désormais, les post-doctorants chinois demeurent en Chine pour publier leurs articles. Les sept ou huit années passées, la Chine est donc devenue à son tour un très grand pays scientifique, malgré deux bémols : s'agissant des considérations éthiques, la Chine en est encore aux balbutiements ; les résultats scientifiques chinois sont beaucoup plus souvent faux que ceux d'autres pays.
C'est dans ce contexte finalement complexe qu'intervient la révision de la loi de bioéthique de 2011.
La loi de 2011 a confié au CCNE le soin d'organiser les États généraux de la bioéthique et d'animer le débat durant la phase de construction de la loi précédant la phase politique proprement dite. Cette mission était une nouveauté pour le CCNE, dont la fonction avait été jusqu'alors de donner un avis extérieur de « sachant » sur les problèmes éthiques. Nous avons accompli la mission consistant à organiser le débat public qui nous avait été confiée, en toute indépendance.
Nous avons subi une seule pression : l'obligation que nous a faite le nouveau gouvernement de rendre notre copie dans un délai d'un an, en juin 2018. Nous y sommes parvenus, mais il serait utile d'envisager à l'avenir de prendre un peu plus de temps pour animer le débat public.
J'ai assuré par le passé plusieurs missions assez lourdes dans le domaine de la santé, mais l'organisation de ce débat public a certainement été l'une des missions les plus difficiles qui m'ont été confiées. Il s'agissait en effet de faire débattre nos concitoyens soit sur des sujets complexes comme la génétique et l'intelligence artificielle, soit sur des sujets sociétaux très clivants. Vous avez tous dû recevoir le rapport de synthèse des États généraux, qui est tout à fait neutre. Ce que vous y trouvez n'est en effet pas l'avis du CCNE, mais un compte rendu de ce qu'ont dit les personnes ayant participé aux débats.
Pour ces États généraux de la bioéthique, nous avons utilisé plusieurs outils : un site internet, des débats en régions s'appuyant sur les espaces éthiques régionaux, de nombreuses auditions ainsi qu'un comité citoyen. Ce comité, spécialement mis en place pour les États généraux, était composé de 21 membres, sélectionnés par tirage au sort sur les listes de volontaires tenues par un institut de sondage prestataire. Nous avons tenu à ce qu'il reflète la diversité de la société française et comporte autant de femmes que d'hommes, des intellectuels comme des personnes qui ne le sont pas et des Parisiens aussi bien que des provinciaux et des représentants de l'outre-mer.
J'en arrive à l'organisation des États généraux. Notre vision, si je peux parler ainsi, a été la suivante. Premièrement, ne pas faire que ces États généraux soient ceux des sachants : nous avons bien sûr auditionné les représentants de sociétés savantes, mais nous avons également voulu que la société civile puisse s'exprimer.
Deuxièmement, nous avons défini le périmètre des États généraux. J'ai pu entendre ou lire que ce périmètre avait été fixé par le gouvernement : c'est faux, le CCNE s'en étant entièrement chargé. On retrouve dans ce périmètre les sujets habituels sur la génomique et l'embryon. Mais nous avons aussi souhaité élargir le débat en le faisant porter sur de nouveaux sujets. Le premier est la santé dans son rapport à l'environnement, sujet essentiel mais difficile car les communautés de l'environnement et de la santé ne sont pas habituées à mener ensemble une réflexion. Il est néanmoins capital que des liens s'établissent entre elles, et les questions qui concernent l'éthique constituent un excellent moyen pour amorcer leur rapprochement.
Madame la présidente, vous avez fait allusion à l'autre sujet nouveau que nous avons voulu voir abordé lors de ces États généraux : le numérique et la santé. Car on ne perçoit pas encore suffisamment à quel point l'usage de l'intelligence artificielle va révolutionner le monde de la santé. Cédric Villani a d'ailleurs insisté dans son rapport sur l'opportunité que l'intelligence artificielle offrait au système de santé français. Le CCNE, dès avant les États généraux, s'était déjà doté d'un groupe de réflexion et de travail sur le big data.
En plus de ces deux sujets nouveaux, nous avons voulu que soient débattus les sujets sociétaux que sont la procréation, sans la limiter à l'ouverture de l'AMP (assistance médicale à la procréation) aux femmes seules et aux couples de femmes, et la fin de vie. Au sein du CCNE, nous avons hésité à retenir ces thèmes. Mais nous avons pensé que nos concitoyens trouveraient bizarre qu'ils ne soient pas abordés dans le cadre des États généraux, même si la loi ne devait finalement pas aborder ces questions. Je ne regrette aucunement ce choix dans la mesure où il aurait effectivement été jugé incompréhensible de ne pas parler de la procréation et de la fin de vie lors de ces débats.
De plus, ces sujets rencontrent les grands enjeux qui ont présidé à la naissance du CCNE, qui a été créé pour résoudre les problèmes que posait la fécondation in vitro (FIV). Nous ont par la suite été soumis des problèmes qui relevaient de la génétique, puis un ensemble de questions sociétales : le CCNE a ainsi donné des avis sur la prise en charge du vieillissement, sur la santé des migrants et sur la santé dans ses rapports avec l'environnement. La santé est en effet un thème transversal qui nous concerne tous, quelle que soit notre position dans la société.
Pour ma part, c'est en tant que médecin que j'ai été amené à me rendre compte que le sociétal et la santé sont intrinsèquement liés. Même les grands patrons hospitaliers continuent de garder, pardonnez-moi l'expression, les mains « dans le cambouis » – parce qu'ils ont des personnes en fin de vie dans leur service, parce que se posent des problèmes de prise en charge ou de coût de médicaments, parce qu'un aide-soignant antillais attire leur attention sur le fait qu'en visitant tel malade le matin, ils ont porté un avis médical biaisé. Certes, la notion de santé s'en trouve élargie, mais nous l'assumons, car nous jugeons important que ces sujets sociétaux puissent être discutés en dépit des passions qu'ils suscitent parfois.
Quel bilan peut-on faire des États généraux de la bioéthique ? Je vais vous surprendre en vous disant qu'ils furent une réussite. Nous avons en France l'habitude de mettre en avant les insatisfactions ou les insuffisances. On ne saurait nier qu'il y en ait eu, mais cette expérience fut malgré tout un succès.
Pourquoi ? D'abord, parce que les États généraux ont permis d'avoir de vrais débats sur les questions de bioéthique, notamment grâce à une mobilisation de la presse, dont nous ne pouvons que la remercier. Les États généraux ont en effet permis que soient posées des questions que le CCNE n'avait pas envisagées. En particulier, nos concitoyens ont exprimé une grande inquiétude à l'égard de la médecine du futur, de ce qu'elle sera et de la place qu'y tiendra l'usager. Nous avons entendu des interrogations mais aussi, peut-on dire, des revendications qui concernaient les réformes du système hospitalier, l'hôpital hors les murs ou les relations entre l'hôpital et la médecine. De nombreuses questions renvoyaient au statut du citoyen dans la gouvernance. D'autres portaient sur le consentement et sur la propriété des données à l'heure du numérique.
Ces États généraux sont également une réussite dans la mesure où ils ont montré qu'existaient en France de grandes valeurs partagées, ce qui, du point de vue de la bioéthique, est essentiel. Parmi celles-ci, on peut citer la non-marchandisation du corps, la notion d'autonomie de la personne ou encore la nécessité de s'occuper des populations les plus défavorisées malgré le coût que cette dépense représente. Pour caractériser ces valeurs communes et insister sur sa spécificité à l'échelle internationale, nous avons parlé de « vision bioéthique à la française ». Le même type d'enquête mené aux États-Unis montre que la vision américaine de la santé, essentiellement économique et commerciale, est entièrement différente.
Enfin, ces États généraux ont été une réussite en raison du nombre de demandes internationales que le CCNE a reçues à leur sujet. À partir d'octobre prochain, je pourrais, si je le souhaitais, passer mon temps à voyager dans le monde pour répondre aux sollicitations et raconter ce qu'ont été les États généraux de la bioéthique, expliquer comment ils ont été organisés et indiquer quels en furent les points forts et les points faibles mais aussi les débouchés. Des spécialistes de l'éthique et des universités américaines et japonaises envisagent d'organiser des États généraux assez semblables. La France a ainsi allumé une petite lumière que je vous remercie par avance de porter à votre tour dans la loi.
Mais si les États généraux ont été globalement une réussite, tout ne fut pas absolument satisfaisant. D'une part, le délai que nous avions à respecter était très court, alors que les États généraux exigeaient une organisation minutieuse et que le CCNE est plus une assemblée de sages qu'une équipe opérationnelle. Mais comme j'avais par le passé participé à des opérations nécessitant le même type d'implication, j'ai pu dans une certaine mesure contribuer à fluidifier le processus.
D'autre part, tous les outils utilisés pour ces États généraux ont montré leurs limites, particulièrement le site internet. Il aurait été incompréhensible que les États généraux ne se dotent pas d'un site internet, mais le défaut des sites de ce type est que s'y expriment surtout des militants qui font porter le débat sur un petit nombre de thèmes. Pour essayer d'inverser cette tendance, j'ai encouragé les journalistes à évoquer d'autres sujets que les seules AMP et fin de vie. Je crois en effet que d'autres sujets, plus scientifiques, emportent des enjeux plus cruciaux pour l'avenir.
Tous outils confondus, quatre grands sujets sont sortis des États généraux : la procréation, qui ne se limite pas à l'ouverture de la PMA ; la fin de vie ; la génétique génomique, qui existe depuis vingt ans mais qui continue d'élaborer ses outils, qu'Arnold Munnich vous a présentée ; enfin, la place du patient au coeur du système de soins, qui soulève les inquiétudes dont je vous ai parlé. Lors des discussions, nous avons perçu que les médecins et les scientifiques étaient mis en cause. Nous avons même parfois ressenti le climat de défiance à l'égard de ces professionnels qui existe aux États-Unis. Cela me navre car, lorsque j'ai commencé ma carrière, la relation des médecins avec les patients et avec le milieu associatif était une relation de confiance.
Les personnes qui ont débattu lors des États généraux se demandaient ainsi pour qui étaient faites les découvertes scientifiques et quel en était l'enjeu. Ils n'étaient pas non plus certains que les scientifiques avaient une réflexion éthique sur leur pratique. Et ils voulaient aussi des informations sur les liens des médecins et des scientifiques avec le milieu industriel, la question du business et de la santé devenant, de l'avis général, capitale.
Durant toute la durée des États généraux, nous avons fait en sorte que les 40 membres du CCNE conservent la plus parfaite neutralité, ce qui n'a pas toujours été facile. Mais l'actuel CCNE s'est montré très intéressé par cette expérience. Ses membres ont fourni un effort important en procédant à 160 auditions de sociétés savantes, d'associations de patients et des grandes instances de la République ayant une réflexion sur les questions de bioéthique. De ce point de vue, nous pouvons aussi considérer que les États généraux ont été un succès, puisque tous les membres du Conseil ont tenu à participer à ces auditions.
L'avis du CCNE sera publié vers la mi-septembre. Il comportera quatre points dont nous élaborons actuellement les contenus et que, pour cette raison, je ne peux vous exposer en détail.
Le premier point relève les changements intervenus depuis 2011 sur les sujets que j'ai évoqués et indique le contexte dans lequel va être débattue la loi de 2018.
Le deuxième concerne les grands principes éthiques qui, s'ils demeurent pérennes, évoluent. Selon l'un de mes collègues philosophes du CCNE – car la richesse du Conseil tient à ce qu'il réunit des scientifiques, des philosophes, des spécialistes des sciences humaines et sociales, des juristes et des parlementaires – selon ce collègue, donc, qui est Frédéric Worms, c'est le corpus même de l'éthique qui est en train de changer.
Pour expliquer cette idée, je vais prendre l'exemple de la non-marchandisation du corps, principe fort s'appliquant notamment pour le don d'organes et le don de gamètes. Ce principe fait référence au corps. Mais qu'en est-il lorsqu'on passe à l'échelle de l'acide désoxyribonucléique (ADN) ? L'ADN, en effet, n'est plus le corps, ce qui oblige à opérer un changement de dimension. Par ailleurs, les données de santé concernant chacun d'entre nous ont cessé de se rapporter exclusivement à notre corps : ce sont des données génétiques, apportées par l'ADN séquencé, qui sont associées à des données individuelles comme le fait d'habiter tel endroit, d'avoir tant d'enfants, de pratiquer tel ou tel sport, etc. Il s'agit donc effectivement d'un changement de corpus. Et cet exemple montre bien que la bioéthique doit à la fois porter et conserver les grandes valeurs et tenir compte des modifications que les avancées de la technologie obligent à opérer.
Nous rendrons notre avis sur ces différents points dans la troisième partie. Quant à la dernière partie de l'avis, elle indiquera ce que nous pensons d'une révision de la loi relative à la bioéthique ayant lieu tous les sept ans. Ne faudrait-il pas plutôt que la révision se fasse tous les cinq ans, voire en continu ? Notre avis vous fera des propositions à ce sujet.
S'il me reste encore un peu de temps, je souhaiterais apporter plusieurs compléments. Je voudrais d'abord insister sur le fait que, si nous voulons que nos concitoyens comprennent de quoi retournent les questions de bioéthique, ce dont ils sont tout à fait capables, il ne faut pas qu'elles restent trop théoriques. Tel fut d'ailleurs l'enjeu de ces États généraux : que nos concitoyens s'emparent de ces sujets de discussion et élaborent les éléments d'une vraie démocratie sanitaire. Cet enjeu est d'autant plus important que nous sommes à la veille de grands choix sanitaires qui sont des choix difficiles et qui, je pense, devront être faits de façon partagée, même si la décision finale reviendra aux instances politiques. Car je suis convaincu que doivent participer à ces choix non seulement les médecins et les politiques, mais aussi les usagers de santé.
Or, dans le domaine de la santé, les usagers n'ont que très rarement la possibilité de donner leur avis. Tout au long de ma carrière de médecin spécialiste du sida, la discussion avec les associations de patients a toujours été pour moi essentielle. Mais dès qu'il s'agit de décider si l'argent va être investi dans l'innovation ou dans une structure pour les personnes âgées, par exemple, l'avis des usagers n'est plus pris en compte.
J'aimerais aussi aborder avec vous deux sujets scientifiques, l'un que vous connaissez fort bien et un autre sur lequel des clarifications me semblent pouvoir être utiles.
Le premier est la procréation. La question de l'ouverture de l'AMP aux femmes seules et aux couples de femmes est souvent mise en avant, mais d'autres questions concernant la bioéthique, d'ailleurs liées à celles-ci, sont à connaître : l'autoconservation des ovocytes par cryoconservation et l'accès aux origines. Le problème que soulève la question de l'accès aux origines illustre bien les enjeux de la bioéthique. On a en effet, d'un côté, le dogme de la bioéthique « à la française », qui veut que le don soit gratuit et anonyme, et à partir duquel ont été mis en place les centres de conservation du sperme et des ovocytes (CECOS) ; et, de l'autre, un certain nombre de personnes devenues adultes qui souhaitent avoir accès à leur origine et connaître le donneur anonyme ayant permis leur naissance.
Vous noterez au passage que ce changement social s'est opéré sans qu'il y ait eu besoin d'avoir recours à la loi car, au début de l'AMP, les familles ne parlaient pas aux enfants de l'existence d'un donneur, puis elles ont choisi de leur en parler de plus en plus tôt. C'est donc la société qui a évolué d'elle-même en se donnant ces nouvelles règles.
Sur ce problème de bioéthique, il me faut aussi parler de la banque de données des Mormons à Salt Lake City. Les Mormons, qui ont longtemps travaillé sur les arbres généalogiques, utilisent désormais la technologie du séquençage pour alimenter leur banque de données. Et des start-up, pour la plupart américaines, proposent à ceux qui le souhaitent de séquencer leur génome pour une somme de l'ordre de 1 500 euros et de le comparer avec cette banque de données. Supposons que trois séquences d'un génome soient assez proches, et que l'une de ces séquences soit localisée à Tokyo, une autre à Valparaiso, et la troisième à Toulouse, alors que la demande vient de Perpignan. Il sera relativement facile de trouver l'identité du donneur à partir de cette information. Je précise à ce sujet que les personnes ayant fourni les données les concernant à la banque de données de Salt Lake City sont consentantes.
Sur cette question de l'accès aux origines, on a donc, pour résumer, un dogme – le don anonyme et gratuit –, un désir personnel et une technologie qui va balayer les limites posées précédemment. Cet exemple rend manifestes à la fois les enjeux et tiraillements terribles de la bioéthique mais aussi la nécessité d'adapter la loi, dans une certaine mesure, aux nouvelles conditions sociales et technologiques, car une loi qui continuerait d'interdire l'usage de cette technologie serait inévitablement contournée par les personnes qui veulent avoir accès à leurs origines.
Le second sujet scientifique que je souhaite aborder est un peu plus technique, puisqu'il s'agit de la recherche sur l'embryon. La révision à venir de la loi de bioéthique offre en effet une vraie occasion de s'interroger sur les enjeux de la recherche sur l'embryon, qui est à mon avis capitale, en partageant un lexique qui permettra de dépasser les incompréhensions que soulève l'expression « recherche sur l'embryon ».
Quels sont les mots de ce lexique ? Il y a d'abord l'embryon, sur lequel, j'y reviendrai, peuvent éventuellement être menées des recherches. Puis il y a les cellules souches embryonnaires, faites à partir de l'embryon, qui ont deux propriétés importantes : elles sont extrêmement plastiques et elles se multiplient spontanément. Ces cellules souches produites au sein d'un laboratoire vont passer de ce laboratoire, qui peut se trouver en France, vers d'autres laboratoires en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, où elles n'auront plus rien à voir avec l'embryon initial, « détruit » depuis longtemps.
Or, la recherche sur les cellules souches embryonnaires va entraîner une révolution thérapeutique majeure dans les cinq prochaines années, en permettant le remplacement d'une épaule, d'un genou, ou encore le traitement des dégénérescences rétiniennes. Les premiers essais, qui sont conduits actuellement, consistent à marquer une cellule souche pour lui indiquer, par exemple, quel organe elle va remplacer. Cette médecine du futur ouvre des perspectives extraordinaires, même s'il y aura nécessairement aussi quelques soucis.
Existent également des cellules souches produites non pas à partir de l'embryon mais à partir du sang d'adultes, qu'on appelle les iPS. On a cru pendant plusieurs années que les iPS pourraient complètement remplacer les cellules souches embryonnaires, mais on s'est récemment aperçu que les iPS n'avaient pas la même capacité de différenciation que les cellules souches embryonnaires. La confusion est fréquente, mais les iPS sont sans rapport avec la recherche sur l'embryon.
Concernant les embryons, qui ne sont pas des embryons produits pour la recherche mais des embryons surnuméraires, plusieurs questions scientifiques se posent qui donnent lieu à des recherches : comment, lors des tout premiers jours, un « chef d'orchestre » des gènes construit-il ce qui va devenir un être vivant ? Et comment ces gènes vont-ils s'harmoniser entre eux de façon à ce que les cellules, d'abord presque indifférenciées, soient de plus en plus différenciées ? Ces questions sont capitales pour la recherche fondamentale.
La recherche sur l'embryon a aussi des enjeux pratiques. Peut-être ignorez-vous que le taux de réussite de la FIV en France est de 22 %, avec d'importantes différences selon les centres. Accepterait-on qu'un médicament ou un vaccin ne soit efficace qu'à 22 % ? Certainement pas. Il faut donc que l'on comprenne ce qui se passe les premiers temps, dans l'environnement embryonnaire, qui permet finalement la constitution d'un embryon. Et cette recherche pose des difficultés car elle conduit, dans un but scientifique, à toucher à l'embryon que certains, j'en ai conscience, considèrent comme un être vivant.
Quant à la recherche sur les cellules souches, qui est souvent confondue avec la recherche sur l'embryon, elle comporte son propre enjeu éthique, qui n'est pas la provenance de ces cellules souches – l'embryon dont elles sont issues – mais ce qu'on va en faire. Plutôt que de frémir dès qu'il est question de recherche sur l'embryon, je crois important de s'interroger sur les limites légales à donner à la recherche sur les cellules souches. Devons-nous par exemple autoriser la reconstitution des gamètes ?
Je pense que, de façon générale, la loi de 2013 sur les cellules souches a été mal comprise. Il importe par conséquent d'apporter des éclaircissements en partant de nouvelles définitions puis en décidant ce qu'il convient d'accepter ou de refuser en matière de recherche sur ces cellules. Mais vous devez garder à l'esprit que des décisions que vous prendrez dépend l'avenir de la communauté scientifique française travaillant sur ces sujets. Celle-ci subit procès sur procès et, si on ne lui laisse pas la possibilité de mener des recherches au même titre que ses concurrents étrangers, c'est un pan entier d'une recherche aux enjeux capitaux qui risque d'être contrainte de s'arrêter.
Je souhaitais vous présenter ces deux exemples pour montrer que, sur ces sujets qui sont loin d'être simples, la pédagogie est essentielle.