Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du mercredi 25 juillet 2018 à 9h35
Commission des affaires sociales

Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) :

Une première série de questions portait sur la procréation. J'ai en effet indiqué que, sur l'ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, on était à la limite de la bioéthique car les techniques utilisées existent depuis longtemps. Cependant, les problèmes que posent l'anonymat du don et la cryoconservation, qui lui sont étroitement associés, relèvent de la bioéthique. Votre question sur la pénurie de dons de gamètes est une bonne question à laquelle le CCNE ne peut apporter de réponse pleinement satisfaisante.

Sur l'ouverture de la PMA et la GPA, le CCNE avait rendu un avis en juin 2010, avant que commence la discussion de la loi sur la bioéthique. Il avait fallu quatre années pour rédiger cet avis longuement mûri. Nous avons eu à tenir compte de contraintes de temps pour les États généraux mais j'ai tout de même tenu à ce que le prochain avis du CCNE soit connu avant la révision de la loi, afin de ne pas interférer avec sa discussion.

En attendant, je peux vous donner des éléments de réponse. Le Conseil d'État a rendu récemment un avis sur plusieurs questions que lui posait le Premier ministre au sujet de la procréation. Dans cet avis sont envisagées différentes hypothèses, dont celle de l'ouverture de la PMA aux couples de femmes. L'opinion du Conseil d'État est qu'il n'existe pas d'obstacle législatif qui empêcherait de façon définitive cette ouverture, y compris pour les aspects concernant la filiation. L'ouverture de la PMA nécessiterait seulement des modifications du droit.

Sur l'insuffisance du nombre de donneurs, problème auquel nous sommes déjà confrontés, deux questions se posent : celle, dont vous avez parlé, de la priorité à décider entre les couples hétérosexuels, les couples de femmes et les femmes seules, et celle de la réaction des donneurs en cas de levée de l'anonymat du don. Si une décision était prise en ce sens, elle n'aurait évidemment pas d'effet rétroactif et une série de règles seraient mises en place, parmi lesquelles l'accord des donneurs. Pour autant, on a pu constater dans des pays comme l'Angleterre ou le Danemark que la levée de l'anonymat a entraîné dans un premier temps une forte baisse du nombre de donneurs, ceux-ci ayant attendu que la situation se stabilise. Donc dans l'hypothèse où, comme le souhaite le CCNE, la PMA serait autorisée pour les couples de femmes et les femmes seules, on aurait pendant un certain temps un manque important de donneurs, a fortiori si était levé l'anonymat du don.

En avoir conscience est la condition pour se donner les moyens de ses ambitions, par exemple en lançant des campagnes officielles encourageant le don de gamètes, comme cela a été fait pour le don d'organes. En raison de l'insuffisance du nombre de donneurs d'organes, l'Agence de la biomédecine a en effet décidé qu'une de ses priorités était d'ouvrir plus largement le don d'organes aux donneurs vivants. L'avis du CCNE s'en inspirera.

De façon générale, pour que les décisions que vous allez prendre dans le cadre de la révision de la loi soient suivies d'effets, il sera nécessaire qu'elles soient accompagnées des moyens ad hoc. En l'occurrence, si des campagnes encourageant le don de gamètes sont organisées, le nombre de donneurs remontera. En Angleterre et au Danemark, ces campagnes ont même permis que les dons soient plus nombreux qu'ils ne l'étaient avant la levée de l'anonymat.

La deuxième question portait sur un sujet particulièrement important : la démocratie sanitaire. Nous avons organisé un débat public lors de ces États généraux et il s'agit désormais de savoir comment les prochains débats seront organisés. Faut-il que le CCNE continue de s'en charger ? Il s'agit de l'un des sujets sur lesquels le CCNE fera des propositions dans l'avis qu'il rendra en septembre prochain.

Ce qui compte, en effet, c'est moins l'acteur du débat que le débat public lui-même, y compris sur des sujets difficiles. Dès lors, cet acteur peut être un spécialiste de la bioéthique, comme le CCNE, mais aussi de grandes instances de débat public comme celle qui résultera de la réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Des coopérations seront d'ailleurs nécessaires.

J'en arrive aux critiques que vous avez formulées à l'encontre de ces États généraux. Dans mon propos liminaire, j'ai tenu à vous dire que, tels qu'ils ont été organisés par le CCNE, les États généraux furent une réussite. En tant que président du CCNE, on pourra considérer que je suis mauvais juge, mais il n'en reste pas moins que 270 débats régionaux ont été organisés, contre trois seulement lors de la révision de la loi de bioéthique de 2011. Nous avons fait également 170 auditions et lancé un site Internet qui a montré ses limites, j'en conviens, mais qui a permis de récolter 50 000 contributions. Ces réalisations ont pu se faire avec un budget inférieur à celui de 2011, et sans spots publicitaires ou émissions télévisées aux heures de grande audience, grâce au fait que notre activité a été relayée par les journalistes. Le débat public sur la bioéthique pourrait d'ailleurs être en quelque sorte la première marche menant à un débat public sur la santé.

Pour organiser ces futurs débats, le CCNE possède néanmoins plusieurs avantages. Il est d'abord multidisciplinaire, ce qui permet des mises en relation entre les grandes disciplines concernées par la bioéthique. De plus, il bénéficie du réseau des espaces de réflexion éthique régionaux (ERER). À notre demande, des représentants des ERER viendront vous rencontrer en septembre prochain dans chaque région pour vous exposer ce qui a eu lieu lors des États généraux. Or, ce réseau que nous avons éveillé au débat public est prêt à nous accompagner sur une autre proposition que nous vous ferons, qui consiste à doubler la révision de la loi tous les cinq ou sept ans de discussions se déroulant en continu, pour permettre à nos concitoyens de tout âge – un tiers des débats en régions eurent lieu avec des jeunes – de satisfaire leur désir d'information sur ces sujets.

Ces discussions en continu pourraient porter sur des sujets que signalerait le CCNE entre deux révisions de la loi. Mais je pense qu'il faut garder ce temps de la loi, qui est le moment où a lieu la rencontre entre le politique, les sachants et les citoyens. Et je crains d'ailleurs que sans périodicité de la loi, les questions de bioéthique soient oubliées au profit d'autres paraissant plus urgentes, tant est lourd votre travail de législateur.

Une autre de vos critiques portait sur la place exagérée que les États généraux ont donnée à la PMA et à la fin de vie. Cette critique n'est pas absolument fondée puisque, comme je vous l'ai indiqué, quatre sujets sont sortis des discussions : la PMA et la fin de vie, certes, mais aussi la génomique et la place du citoyen dans le système de soins. Il est vrai que les contributions que vous avez pu lire sur le site internet ont essentiellement porté sur les deux premiers sujets, mais tous les autres problèmes éthiques ont été abordés lors des 170 auditions, dont 50 de sociétés savantes, que nous avons conduites. Par exemple, ont été envisagées au cours de ces auditions les questions concernant la recherche scientifique en rapport avec l'embryon dont je vous ai parlé : je ne suis pas moi-même un spécialiste de l'embryon, et je n'aurais pas été capable de vous les exposer sans ces auditions. De même, les sujets sur le numérique et la santé sont entièrement issus des États généraux. Ce sont surtout les journalistes qui ont insisté sur la PMA et la fin de vie.

Sur ces deux sujets et les conceptions qu'en ont nos concitoyens, je souhaite apporter quelques précisions. Il ressort de ce que nous avons entendu et vu pendant ces États généraux que les idées des Français sur la PMA s'opposent, certains étant favorables à son ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules tandis que d'autres y sont absolument opposés. Le but des États généraux n'était cependant pas de faire un sondage d'opinion et de calculer combien chaque thèse a de partisans, mais d'entendre les arguments avancés de part et d'autre. Ainsi, j'ai constaté avec mes collègues du CCNE que les personnes refusant l'ouverture de la PMA mettaient fréquemment en avant les notions de filiation et de nouvelle vision familiale, ainsi qu'un argument consistant à rappeler l'intérêt de l'enfant.

Mais j'ai aussi entendu, cette fois dans la bouche des personnes qui souhaitaient que la loi sur la PMA change, un autre argument qui était celui de l'émergence d'une construction familiale élargie aux grands-parents. Car, quel que soit le contexte, y compris celui d'un couple de femmes ou d'une femme seule, lorsque l'enfant paraît, il devient aussitôt l'enfant de toute la famille. Nous avons tous vu apparaître autour de nous des idées sur la famille que nul n'aurait imaginées il y a trente ans. En tout état de cause, la famille reprend ses droits.

Nous avons souvent entendu l'argument du contexte familial chez les opposants à l'ouverture de la PMA. Mais celui portant sur la nouvelle notion de famille m'a paru frappant. Cette remarque doit être comprise comme un clin d'oeil de ma part sur un sujet beaucoup plus complexe.

Sur la question de la fin de vie, les avis des Français sont nettement plus nuancés. La grande majorité de ceux qui ont participé aux États généraux s'accordaient pour dire que les conditions de la fin de vie ne sont pas optimales et que la plupart des personnes qui décèdent dans notre pays ont atteint le quatrième âge. Ce lien entre la fin de vie et le quatrième âge est exact, et l'on doit se réjouir que nos concitoyens ne se laissent pas éblouir par certains cas dramatiques très médiatisés.

Les participants aux États généraux ont ainsi pointé le manque de lits en unités de soins palliatifs et l'insuffisance des soins palliatifs hors les murs. Les deux plans de développement des soins palliatifs n'ont, en effet, pas été à la hauteur des besoins. Enfin, il est apparu que la loi Claeys-Leonetti est mal connue par les familles et qu'elle n'est pas suffisamment prise en compte par les professionnels de santé, qui, pour certains, ne l'acceptent pas. Faire appliquer la loi Claeys-Leonetti est donc urgent.

Ces idées de nos concitoyens sur la fin de vie constituent un socle commun solide. Pour le reste, deux positions s'opposent. L'une est favorable à la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté, tandis que l'autre consiste à juger qu'en prenant des mesures pour résoudre les autres problèmes que pose la fin de vie, la quasi-totalité des problèmes trouveraient une solution. Les États généraux ont donc montré que, sur la fin de vie, se dégageaient des positions communes, alors que sur l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, elles diffèrent entièrement.

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