Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du mercredi 25 juillet 2018 à 9h35
Commission des affaires sociales

Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) :

Plusieurs questions portaient sur l'anonymat du don qui est certes un sujet sociétal, mais qui relève aussi de la biotechnologie. On pourrait en effet imaginer que des personnes conçues par PMA désirent avoir accès à leur origine, mais que la technologie ne le leur permette pas. Or, même en l'absence de levée de l'anonymat, avec les banques de données dont j'ai parlé, ces personnes ont le moyen de connaître leur père.

C'est pourquoi la question de l'anonymat du don est un excellent exemple des enjeux de la bioéthique : on a des dogmes, un désir individuel, et la biotechnologie qui rend possible ce qui ne l'était pas. La proposition que vous avez faite m'a paru intéressante, mais elle concerne la loi et je souhaite pour ma part considérer seulement les principes. En revanche, je crois qu'il nous faut, à l'occasion de la révision de la loi, anticiper les prochaines avancées technologiques, qui vont s'accélérer.

Vous avez indiqué que, pour 100 à 200 euros, il serait possible d'obtenir le séquençage à haut débit de son génome. Passer par l'intermédiaire d'une start-up qui interroge ensuite la banque de données des Mormons coûte en fait nettement plus cher, le séquençage qui vise à déterminer une origine différant de celui qui sert à identifier certains gènes défectueux.

Une autre de vos questions concernait les différences entre les juridictions européennes. Pour ces États généraux, nous avons fait en sorte que les débats aient lieu non seulement en métropole mais aussi en Guyane, à la Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion et en Polynésie, mais sans chercher à connaître la vision internationale. Par contre, l'avis du CCNE tiendra compte du dialogue qu'à partir de fin août nous allons engager avec les présidents de comités d'éthique européens. Nous souhaitons en effet connaître leur avis sur cette construction d'une éthique à la française. De leur côté, ces comités montrent aussi un fort intérêt pour ce qu'ont été les États généraux.

Nos concitoyens veulent savoir pourquoi, sur certains sujets de bioéthique, les positions de la France, de la Belgique, de la Suisse ou encore de l'Espagne diffèrent tant. Il n'est pas facile de leur répondre. Pour ma part, je pense que ces divergences sont dues à des particularités culturelles anciennes. En Espagne, par exemple, la place et l'importance de la culture religieuse expliquent que les choix de ce pays sur la fin de vie et sur la procréation diffèrent des nôtres. Il est intéressant pour nous de connaître les raisons de ces différences, mais nous n'avons bien sûr pas à adopter des valeurs ou des idées que nous ne partageons pas.

Si vous le permettez, je vais dire quelques mots sur la GPA qui, en France, fait l'objet d'un rejet massif, comme nous l'avons vu en auditionnant pour les États généraux des sociétés savantes. Ce consensus tient au refus de la marchandisation du corps. Néanmoins, il faut que vous sachiez que les progrès technologiques actuels vont certainement bouleverser la donne. En effet, des pédiatres américains essaient de construire des utérus artificiels, non pour faire des GPA, mais dans le but de prendre en charge des nouveau-nés de très petit poids. Quand j'ai commencé mes études de médecine, on n'envisageait pas de sauver un enfant pesant moins de 1,5 kilogramme. Maintenant, on réanime des enfants de 600 ou 700 grammes. Or, trois centres dans le monde construisent des utérus artificiels qui sont des poches pleines d'un soluté ressemblant au liquide amniotique. La mère vient toucher son enfant, on lui passe de la musique, l'éclairage change au cours de la journée et des mouvements légers imitent même ceux du ventre maternel. Les médecins travaillant dans ces centres espèrent parvenir à sauver des enfants de 450 grammes. Imaginez qu'ils y parviennent ! Qu'en serait-il par la suite pour un embryon de 3 grammes ? Ainsi, nous devons garder à l'esprit que les aspects technologiques de ces questions amèneront très régulièrement, au moins tous les sept ans, d'importants changements législatifs.

On m'a également demandé quels rapports le CCNE entretient avec le Gouvernement. Le CCNE est une instance autonome, mais nous avons avec le Gouvernement des rapports normaux de dialogue, comme nous en avons aussi avec votre commission. J'ai rencontré ces derniers mois Mme Bourguignon et, si vous souhaitez de nouveaux éclairages sur un sujet, moi-même ou un membre du CCNE vous les apporterons. Ce dialogue est essentiel dans la mesure où aucun des interlocuteurs en présence ne détient, sur ces sujets difficiles, la vérité. C'est pourquoi je juge précieux que nous nous retrouvions tous les cinq ou sept ans, en prenant le temps de discuter et de confronter nos positions.

Le numérique en santé est, vous l'avez souligné, un sujet fondamental pour l'avenir de l'organisation de la médecine dans notre pays. J'ajouterai qu'avec le numérique la France a une carte essentielle à jouer. Car on dit souvent que, dans le domaine numérique, tout est fait par des entreprises comme Google, dont certaines sont chinoises ou coréennes. C'est faux, ces entreprises ne s'occupant d'ailleurs pas de santé. Les bases de données américaines sont aussi des bases de données importantes. Mais les grandes universités ont besoin, pour améliorer leurs algorithmes, de disposer d'une quantité beaucoup plus importante de données, notamment de données correspondant à la vie d'un pays. Seuls trois pays le permettent : deux petits pays, le Danemark, où les données personnelles des habitants sont numérisées dès leur naissance, et les Pays-Bas, qui réalisent actuellement une collecte similaire de données, et la France avec le système de données de santé de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) qui, en raison de sa taille, présente un enjeu considérable et permet à notre pays d'être un interlocuteur écouté.

Aussi avons-nous créé au niveau du CCNE un groupe de travail « flash » composé de membres du Conseil, de la communauté de l'intelligence artificielle ainsi que des grands services des ministères, dont la mission était de définir les grands enjeux de bioéthique. L'avis du CCNE vous présentera les résultats de ce travail. La loi de bioéthique de 2018 ne donnera vraisemblablement pas une grande place à la question du numérique et de la santé, mais nous souhaiterions qu'au moins l'avant-propos ou un chapitre ad hoc montre que la France tient à être présente sur ce thème. Les Européens l'attendent de la France, ainsi que les Canadiens avec qui nous avons des projets communs.

Le consentement des usagers de santé, dont vous avez aussi parlé, est en effet un sujet très important. Il s'agira en particulier de préciser le sens de ce consentement.

Le débat sur « santé et environnement » a été, il est vrai, un peu décevant. Nous avons recueilli l'avis de plusieurs sociétés savantes et organisations non gouvernementales (ONG) mais, de façon générale, les personnes dont l'activité concerne l'environnement s'intéressent peu à la santé, dont ils ne font pas un enjeu majeur, et celles travaillant dans le secteur de la santé se préoccupent à peine de l'environnement. Ainsi, les pneumologues ne considèrent que fort peu les intolérances environnementales bien qu'elles soient un facteur majeur d'allergie. Notre but, en mettant à l'ordre du jour lors des États généraux ce nouveau sujet de réflexion, était avant tout de l'inscrire à l'agenda afin qu'il puisse continuer à être examiné par la suite. Le CCNE fera d'ailleurs sur le thème de la santé et de l'environnement une proposition originale concernant les entreprises.

Sur la question du remboursement de la PMA pour toutes, je vous invite à attendre l'avis du CCNE, qui va reprendre les conclusions des précédents avis mais aussi prendre en compte les résultats des États généraux. En conséquence, nous allons, sur plusieurs sujets, sinon modifier en profondeur notre propos, du moins le nuancer. Ce sera notamment le cas sur le remboursement de la PMA et, probablement, sur l'autoconservation des ovocytes.

Vous avez aussi parlé de marchandisation du corps à propos de la PMA. Mais la PMA ouverte à toutes les femmes n'a rien à voir avec cette marchandisation : il s'agit simplement de mettre une technique au service des couples de femmes et des femmes célibataires. Par contre, la GPA ouvre en effet la possibilité d'une marchandisation du corps. Or, comme je vous l'ai indiqué, la GPA est très généralement refusée dans notre pays, comme nous avons pu constater lors des États généraux où peu de débats ont porté sur ce sujet. L'avis du CCNE n'est pas différent.

Sur l'accès aux origines, je crois avoir déjà répondu.

Vous avez également voulu avoir mon opinion sur le modèle français de bioéthique. À mon avis, un aspect capital de ce modèle est la place qu'y tient le débat citoyen, qui importe pour la bioéthique mais aussi pour la politique sanitaire. Il pourrait avoir lieu tous les cinq ou sept ans, l'intervalle de cinq ans étant peut-être mieux adapté au temps politique actuel et au temps scientifique.

Et nous allons proposer que soient créés des comités citoyens associés aux espaces éthiques régionaux qui, entre deux réunions des États généraux, débattront des avis du CCNE de façon à ce que nous ayons continuellement un retour. Nous demanderons aussi que notre tâche soit élargie pour faire du CCNE une structure de surveillance et d'alerte.

Plusieurs questions concernaient l'intelligence artificielle. Vous vouliez savoir si le CCNE pourrait exercer sur celle-ci une fonction de régulation. La réponse est non. Le rapport Villani suggère de créer à côté de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) des instances de régulation vérifiant que les algorithmes sont construits dans de bonnes conditions. Cette tâche est colossale et elle dépasse de beaucoup le seul aspect bioéthique puisqu'elle concerne aussi les algorithmes financiers, entre autres. En tout cas, cette idée d'une agence de régulation fait l'unanimité.

Est par ailleurs envisagé de créer un comité d'éthique du numérique chargé d'accompagner le CCNE dans ses missions. La question de la forme des relations de ce comité avec le CCNE se pose. Le Conseil continuera en tout cas de s'occuper de toutes les questions de santé en rapport avec le numérique auxquelles, vous l'avez senti, son actuel président accorde la plus grande importance.

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