Dans vos propos liminaires, qui étaient très étayés, vous avez dit, monsieur le professeur, que vous avez fait en sorte que les États généraux ne soient pas réservés aux seuls sachants. Néanmoins, on constate malheureusement que, sur tous ces sujets, l'avis scientifique ou juridique prime, chacun se retranchant derrière ces expertises, comme nos auditions ne le montrent que trop. Nombre de nos concitoyens se montrent par ailleurs fatalistes à l'égard de l'innovation technologique et scientifique qui, dans tous les domaines, s'accélère.
À mes yeux, ce fatalisme et cette prédominance des sachants biaisent profondément le débat bioéthique. Car, du point de vue scientifique, tout est possible et même, au regard de la recherche, souhaitable, et n'importe quelle innovation scientifique ou technologique peut également être justifiée en termes de soins. Mais n'est-ce pas notre rôle de législateurs que d'écouter cette vox populi faite de bon sens et généralement ignorée parce qu'elle est le fait de non-experts ?
Avec ma deuxième question, je souhaite revenir sur ce que vous avez dit sur les cellules souches. À vous suivre, la question à considérer n'est pas celle de leur provenance, mais celle de leur utilisation et des interdictions à fixer à la recherche scientifique. Je pense que nous devons adopter le raisonnement inverse, partir de l'origine de ces cellules et du fait qu'elles diffèrent des autres cellules pour décider ce qu'il est légitime de faire.
Car, avec les recherches portant sur la procréation, l'embryon, l'intelligence artificielle ou la génomique, c'est la question de l'humanité qui est en jeu. Quelles techniques maîtrisons-nous absolument ? Quels domaines sommes-nous assurés de connaître ? Et que sait-on des effets de ces techniques sur chaque individu, sur les générations futures ? En tant que législateurs, nous avons toute légitimité pour fixer des limites qui pourront être perçues par certains scientifiques comme un frein mais qui correspondront à la société française que nous souhaitons, à la conception de l'homme qui est à la nôtre. La grande question que nous devons nous poser est pour moi la suivante : jusqu'où l'homme s'autorise-t-il à transformer sa propre humanité ?