Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, je ne vous cache pas le plaisir que j'ai à vous retrouver cet après-midi.
Je vous vois tous avec des mines reposées, bronzées – même les députés normands, c'est tout dire ! (Sourires.) Cela augure bien de nos débats sur ce projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.
Je voudrais d'abord remercier tous ceux qui, depuis maintenant plus de douze mois, se sont mobilisés pour améliorer le texte, le compléter en fonction des remarques qui nous sont parvenues de partout en France. Ils ont profondément aidé à l'amélioration du projet du Gouvernement.
Je voudrais vous dire à quel point je souhaite que nos débats soient à la hauteur des enjeux et, surtout, à la hauteur du débat que les Français souhaitent, à mon sens depuis très longtemps, sur leur modèle économique, sur l'entreprise, sur les places respectives des entrepreneurs et des salariés.
La France est une grande nation d'entrepreneurs, mais entreprendre… comment ? Avec quelles règles et quelle liberté ? Pour qui et, surtout, à quelle fin ? Ce sont des questions que tous nos compatriotes se posent et auxquelles, au cours de ce débat, chacun, avec sa sensibilité et ses convictions, pourra répondre.
J'aimerais tout d'abord rappeler quelques réalités cruelles. Il y a vingt ans, la France avait le même nombre d'entreprises de taille intermédiaire que l'Allemagne ; aujourd'hui, nous en avons un peu plus de 5 000 et l'Allemagne en compte plus de 12 000. Il y a vingt ans, la France avait un excédent du commerce extérieur supérieur à celui de l'Allemagne ; aujourd'hui, la France accumule les déficits, l'Allemagne les excédents. Surtout, il y a vingt ans, la France avait – en conséquence de ce que je viens de rappeler – un revenu par habitant supérieur à celui de l'Allemagne. Il y a vingt ans, les Français étaient plus riches que les Allemands. Et je n'aurai pas la cruauté de rappeler qu'il faut remonter quarante-cinq ans en arrière pour trouver un budget à l'équilibre en France, alors que c'est la réalité que connaissent actuellement beaucoup de nos partenaires européens. Depuis vingt ans, nous avons donc décroché par rapport à notre principal partenaire et par rapport à beaucoup de nos partenaires européens. Notre économie n'a pas su prendre toute sa place dans la mondialisation, nos PME sont trop petites, elles n'investissent pas assez, elles n'innovent pas assez et elles n'exportent pas suffisamment.
Cela ne peut pas durer, parce que cela se traduit concrètement par un appauvrissement des citoyens français, un appauvrissement des territoires, un appauvrissement des ménages, un chômage de masse et, au bout du compte, la relégation de notre pays sur la scène internationale. Certains estiment que la bonne solution serait toujours plus de dépenses publiques, que c'est ainsi que le défi serait relevé. De tous les pays développés, nous sommes celui dont le niveau de dépenses publiques rapporté à la richesse nationale est le plus élevé. Si l'accroissement de la dépense publique était la solution, nous serions aujourd'hui le pays le plus riche de toutes les nations développées. Las, c'est loin d'être le cas.
Je crois à la bonne dépense publique. Je pense qu'elle est indispensable pour les services publics. Je pense qu'elle est indispensable pour les plus fragiles de nos compatriotes. Je pense qu'elle est nécessaire pour financer l'innovation, l'investissement dans les nouvelles technologies, mais je ne crois pas que toujours plus de dépense publique soit le bon remède aux défauts de notre modèle économique.
C'est une autre voie qu'il faut emprunter. Et c'est, avec le Président de la République, le Premier ministre, le Gouvernement, l'ensemble de la majorité, cette autre voie que nous vous proposons par ce projet de loi, celle qui nous mènera à ce que j'ai appelé une nouvelle prospérité française, une prospérité pour tous les Français, sur tous les territoires. Cette voie de prospérité doit être fondée sur le renforcement de nos entreprises, de nos PME, de notre tissu de production. Elle doit être fondée sur le soutien à l'investissement dans l'innovation et sur la création d'emplois dans le secteur marchand, avec les qualifications et les formations adaptées.
Ma conviction profonde est que la France n'a rien à craindre de la mondialisation. Elle a tout pour y réussir : tous les atouts, toutes les capacités, toutes les qualités, tous les savoir-faire. Elle demande seulement que le modèle économique sur lequel elle se construit soit à la fois plus efficace et plus juste. C'est cette transformation de notre modèle économique que nous avons engagée, il y a déjà plusieurs mois, avec beaucoup de cohérence.
La première étape a été le choix que nous avons fait en matière de fiscalité du capital. Nous en avons débattu ensemble, un débat – je tiens à le dire – qui a fait honneur au Parlement. Les positions étaient radicalement opposées et tranchées au sein de l'hémicycle. C'est bien, et c'est la preuve que notre démocratie est vivante, mais je maintiens qu'il était nécessaire d'alléger la fiscalité sur le capital, car moins de fiscalité sur le capital, c'est plus d'investissement pour les entreprises et plus d'innovation pour notre modèle économique. Moins de fiscalité sur le capital, c'est plus d'attractivité de notre territoire pour tous les investisseurs étrangers qui vont nous aider à faire grandir nos entreprises. D'ailleurs, nous engrangeons de premiers résultats, puisque le niveau d'investissement de nos entrepreneurs reste élevé et que la France retrouve sa place de nation attractive parmi les grandes nations économiques du monde.
Deuxième étape fondamentale, nous nous sommes également attaqués au premier défi économique français : l'éducation. Le premier problème économique français est un problème d'éducation, de formation et de qualification. Vous êtes tous des élus de terrain, et vous avez tous vu, partout sur vos territoires, que, face aux trois millions de chômeurs, des milliers d'entreprises cherchent des soudeurs, des chaudronniers, des carrossiers, des techniciens de maintenance, des ingénieurs, et ne les trouvent pas. Il est temps de mettre fin à ce scandale français d'une nation qui, d'un côté, connaît un chômage de masse et, de l'autre, est incapable de former les nouvelles générations aux métiers qui existent.
Avec PACTE, nous allons franchir une nouvelle étape dans cette transformation économique. Elle doit d'abord nous permettre de clarifier les rôles respectifs de l'État et de l'entreprise dans la société. Nous aurons, je le sais, un débat vivant sur la question. Tant mieux, parce qu'il est temps que chacun se positionne. Pour ma part, je crois à un État garant de la protection de l'ordre public économique. C'est le premier rôle de l'État. S'il n'est pas le garant de l'ordre public économique, les dérives et les abus sont trop nombreux. À l'État aussi, le soutien des entreprises en difficulté, car vous êtes tous, dans vos territoires, confrontés à des entreprises qui ne s'en sortent pas, qui rencontrent des difficultés insurmontables et qui ont besoin que l'État soit à leurs côtés. À l'État, enfin, les services publics dont dépend notre souveraineté nationale.
Voilà pour moi le rôle de l'État dans l'économie française : l'ordre public économique, le soutien des entreprises en difficulté et les services publics dont dépend notre souveraineté nationale.
Aux entreprises la création de richesses, la création d'emplois mais aussi la transformation de notre vie quotidienne, car qui va transformer notre vie quotidienne, nos transports, notre mobilité, notre consommation courante, notre alimentation, sinon les entreprises ? L'entreprise ne peut plus être uniquement le lieu de la réalisation des profits. Ce n'est pas le rôle unique que joue l'entreprise aujourd'hui dans notre société : elle transforme notre vie quotidienne. Nous avons voulu affirmer haut et fort ce rôle de l'entreprise dans la transformation sociale et environnementale de notre pays en l'inscrivant dans le code civil, à la suite des recommandations faites par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat dans leur rapport. Je tiens profondément à la reconnaissance dans le code civil de ce nouveau rôle des entreprises dans notre pays. Non seulement nos concitoyens l'attendent, mais les entreprises elles-mêmes y ont intérêt.
Je voudrais saluer la décision prise par le Président de la République et le Premier ministre d'inscrire ce projet de loi en priorité à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. J'estime que c'est le bon moment pour donner un nouvel élan à notre croissance, parce que les incertitudes économiques auxquelles la France est confrontée n'ont jamais été aussi grandes depuis plusieurs années.
Nous avons un risque de guerre commerciale, avec le relèvement des tarifs douaniers imposés par le Président des États-Unis, Donald Trump. Cette politique irresponsable de guerre commerciale ne fera que des perdants. Les ambitions croissantes de la Chine, qui se développe en Afrique mais aussi en Europe de l'Est, nous imposent de renforcer notre économie et de protéger nos technologies et nos savoir-faire. Enfin, les tensions de plus en plus visibles en Europe, avec la perspective du Brexit et les incertitudes en Italie, exigent aussi que nous consolidions notre économie.
Pour affronter ces incertitudes, nous avons donc besoin d'entreprises fortes, d'entreprises plus grandes, d'une économie solide. C'est l'objectif principal de notre projet de loi.
J'entends tous ceux qui prétendent que le texte manque de cohérence, mais je voudrais savoir ce qu'ils entendent par ce grand mot. J'ai peur que certains ne veuillent dire par là « simplisme ».
Nous sommes dans une économie complexe, et, si nous voulons vraiment obtenir des résultats, il nous faut toucher à tous les leviers : l'investissement, le financement, les seuils, l'épargne salariale. Si nous voulons obtenir de vrais résultats pour notre économie, il faut accepter de toucher à tous les leviers qui nous permettront d'obtenir des résultats durables avec ce cap : faire grandir nos entreprises. La cohérence de notre texte réside donc dans cette ambition économique : faire grandir nos entreprises, les moderniser, les consolider, afin de leur donner les moyens de réussir dans la mondialisation.
Toucher aux seuils, les simplifier, supprimer le seuil de vingt salariés, donner aux entreprises cinq années consécutives avant qu'ils ne s'appliquent, c'est un moyen de faire grandir nos entreprises, et je suis convaincu qu'il n'y a pas un député dans cette salle à qui aucun chef d'entreprise n'ait dit que les seuils sont un obstacle au recrutement de nouveaux salariés.
Quant au financement des entreprises, c'est un élément de la capacité à faire grandir nos entreprises. La création plus simple, la transmission plus facile s'inscrivent dans cette cohérence : faire grandir nos entreprises.
Au-delà de cette ambition, il y a aussi une philosophie politique qu'avec Delphine Gény-Stephann nous revendiquons. La prospérité de la France doit être la prospérité de tous. Il ne peut pas y avoir, d'un côté, des entrepreneurs qui réussissent et, de l'autre, des salariés qui estiment que leurs rémunérations sont insuffisantes. Il ne peut pas y avoir, d'un côté, des territoires qui « explosent » économiquement et, de l'autre, des territoires qui sont relégués. Soit tout le monde réussit en France, soit personne ne peut réussir ; j'en suis intimement convaincu. Le développement de l'intéressement, la participation, la suppression du forfait social à 20 % sont une façon de dire que, quand l'entreprise réussit, le salarié doit être récompensé. Et le rapprochement entre la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Banque postale doit permettre de créer un grand pôle financier public, avec 1 000 milliards d'euros de capitalisation qui doivent lui permettre d'investir dans les territoires. Enfin, l'actionnariat populaire est une façon de dire à tous les Français : « Participez à cette nouvelle prospérité nationale. »
Au-delà de cette ambition et de cette philosophie politique, un enjeu de long terme me paraît décisif. PACTE doit permettre à notre économie de prendre toute la mesure des bouleversements technologiques en cours. Vous êtes tous parfaitement conscients des révolutions technologiques en cours, des bouleversements qu'entraînera, notamment sur le marché de l'emploi, l'intelligence artificielle.
Nous voyons tous l'émergence rapide des GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon – à l'Ouest, des BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi – à l'Est, dont le niveau de capitalisation de plusieurs centaines de milliards d'euros dépasse celui de 90 % des États de la planète. Ces entreprises oligopolistiques ont des capacités d'innovation, de recherche de créations d'emplois, de présence nationale plus forte que la grande majorité des États de la planète.
Comment réagissons-nous face à ces défis ? Ce qui est en jeu n'est pas simplement notre capacité à réussir économiquement, c'est notre souveraineté nationale et européenne.
Innover, c'est être libre. La nation qui innove est une nation libre. Le continent qui innove est un continent libre. Une nation qui innove est une nation souveraine, un continent qui innove est un continent souverain. Concrètement, voulons-nous que les véhicules électriques dans lesquels nous circulerons tous demain soient équipés de batteries européennes et françaises ou de batteries chinoises ? Si nous voulons des batteries européennes ou françaises, il faut investir.
À nous tous de savoir si nous voulons demain n'être capables de produire que les pales, les rotors et les mâts des champs éoliens au large de Courseulles-sur-Mer ou si nous voulons disposer de ce qui sera clé : la capacité à stocker l'énergie renouvelable et à assurer la régularité du flux électrique. Là est la vraie question pour nous. À nous de savoir si, demain, nous voulons envoyer dans l'espace des satellites avec des lanceurs européens, ou si nous abandonnons la partie pour utiliser des lanceurs chinois ou américains.
Toutes les décisions que nous prenons dans PACTE sur le régime des brevets sur le lien entre les chercheurs et l'entreprise, sur le fonds pour l'innovation de rupture, sur les cessions d'actifs par lesquelles financer ce fonds pour l'innovation de rupture ou sur le renforcement du décret sur les investissements étrangers en France ont vocation à affirmer haut et fort la souveraineté technologique de la nation française. J'y suis profondément attaché et je considère que, devant la rupture technologique à laquelle nous sommes confrontés, il est temps de changer de braquet et de passer à un autre niveau d'investissement et d'innovation.
Je voudrais conclure par deux remarques plus générales.
Premièrement, tous ces choix faits en matière économique, en matière de soutien aux entreprises, ainsi que la philosophie politique qui nous anime, sont étroitement liés, aussi, aux choix européens que nous faisons. Ce sont les deux faces d'une même pièce, dont dépendent la souveraineté et la prospérité de la France.
Tout ce que nous faisons en matière d'innovation et de nouvelles technologies n'a de sens que si nous sommes capables aussi en Europe de taxer les géants du numérique et d'éviter que, en France et en Europe, nos PME paient 14 points d'impôt de plus que Google, Amazon ou Facebook. Tout ce que nous faisons sur l'innovation n'a de sens que si nous sommes capables de créer demain un fonds pour l'innovation européenne, capables de créer des géants du numérique de la taille de Google ou d'Apple. Nous en sommes capables et c'est à notre portée. Tout ce que nous faisons sur le contrôle des investissements étrangers en France n'a de sens que si nous activons le règlement sur les investissements en Europe que nous avons adopté il y a quelques mois. Nation française et Europe doivent aller de pair pour défendre cette prospérité que nous voulons construire.
PACTE, c'est donc un nouveau modèle économique que nous vous proposons. C'est, pour la majorité, pour le Président de la République et le Premier ministre, un nouveau modèle économique que nous choisissons. Nous sommes au moment des choix décisifs pour la France. Ce sont précisément ces choix décisifs que nous vous proposons de faire avec ce projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.