Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 5 septembre 2018 à 16h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Je veux d'abord remercier le rapporteur général pour ses propos sur le rôle du projet de loi dans la transformation de l'économie et partage totalement son ambition quant à sa bonne application. Il est essentiel que chacune des dispositions fasse l'objet d'un suivi attentif.

Monsieur Taquet, vous avez insisté sur la transformation de la vie des entrepreneurs et sur la transformation de la vie de millions de salariés. Je suis aussi profondément convaincu que, contrairement à ce que j'ai pu entendre ensuite, l'intéressement, la participation, la suppression du forfait social vont transformer concrètement la vie de millions de salariés : ils sauront que, lorsque leur entreprise réussit, ils réussissent aussi.

Je crois aussi à l'actionnariat populaire, comme à l'actionnariat salarié. Je crois que le développement de l'épargne retraite est un élément massif de la simplification que nous proposons pour transformer la vie des salariés et leur permettre d'être mieux rémunérés au travail.

Monsieur Fasquelle, j'ai senti, dans votre intervention, une pointe d'amertume et un zeste de mauvaise foi (Sourires), comme si, au fond, vous regrettiez de n'avoir pu mettre en oeuvre tout ce que nous sommes en train de mettre en oeuvre maintenant.

La mauvaise foi concerne les seuils : honnêtement, comment pouvez-vous dire que nous ne touchons pas au seuil de 10 salariés, auquel tous les entrepreneurs s'intéressent ? Vous n'avez pas dû lire attentivement le texte. Il y a aujourd'hui trois modalités de calcul des seuils. Les entrepreneurs ne s'y retrouvent pas et nous demandent sans cesse comment savoir à quel niveau ils en sont. Désormais, il n'y aura plus qu'un seul mode de calcul des seuils.

Vous dites que nous ne touchons pas au seuil de 50 salariés? Alors, non seulement vous n'avez pas lu le texte, mais vous n'avez pas lu la presse non plus, puisqu'elle ne cesse de nous expliquer qu'il y a une transformation profonde, à savoir qu'il faudra avoir franchi cinq années consécutives le seuil de 50 salariés pour se voir imposer de remplir les obligations.

Si vous avez mieux à proposer, faites-nous en part. Mais il me semble que, pour tous les entrepreneurs qui ont 47 ou 48 salariés, le fait de savoir que, s'ils ont une commande, il faudra qu'ils aient dépassé cinq ans de suite le seuil de 50 salariés pour être tenus de remplir les obligations constitue un allégement, une simplification, en un mot un soutien à la vie des entreprises.

S'agissant du code du travail, j'ai entendu que rien ne figurait dans cette loi. C'est tout à fait vrai, puisque que nous l'avons déjà fait. Reconnaissez-le : cette majorité a eu le courage de transformer le code du travail. S'agissant du stage préalable à l'installation pour les artisans, j'entends sur tous les bancs de l'hémicycle, à droite comme à gauche, qu'il ne faut pas le supprimer, mais nous le rendons seulement facultatif. D'ailleurs, je ne vois pas pourquoi nous exigerions des artisans ce que nous n'exigeons pas d'autres entrepreneurs.

Ce stage coûte 250 euros. Je rappelle que j'ai tenu à maintenir l'obligation d'une qualification, sanctionnée par un diplôme, pour devenir artisan. De deux choses l'une : soit il faut compléter cette qualification, soit elle suffit, et dans ce cas le stage préalable à l'installation doit rester facultatif.

S'agissant du numérique, nous aurons l'occasion d'y revenir. J'estime que tout ce qui est fait sur le financement des entreprises, sur le contrôle des investissements, sur les innovations, sur les nouvelles technologies et dans le domaine des investissements étrangers en France est aussi une façon de répondre au défi du numérique. Je vous transmettrai la liste des premiers investissements qui vont être faits dans le cadre du fonds pour l'innovation de rupture, fonds financé par les dispositions de cette loi. Les projets retenus ont trait aux algorithmes, au numérique et au digital.

Oui, monsieur Mattei, il s'agit bien de changer la nature de l'entreprise. De ce point de vue, ce n'est pas une langue morte que nous parlons, mais une langue profondément moderne. Je conçois parfaitement que cela suscite des oppositions de la part d'un certain nombre d'entreprises. Selon elles, il ne faut pas modifier le statut social de l'entreprise, ni définir son objet social ou reconnaître son rôle environnemental ou social. Si nous le faisons tout de même, c'est parce que c'est profondément attendu par nos compatriotes. J'espère que nous aurons des débats intenses sur ce sujet.

Quant à l'État, il ne s'agit pas de le désengager, mais de redéfinir sa place. Chacun est libre, bien entendu, d'avoir sa conception là-dessus. Certains vont estimer qu'il est normal que l'État gère un aéroport et des infrastructures aéroportuaires. Pour ma part, j'estime que le rôle de l'État, c'est de maîtriser le foncier. Nous gardons la propriété du foncier, que nous retrouvons au bout de soixante-dix ans. L'État a aussi pour rôle de contrôler les frontières et de veiller à la sécurité des personnes, ou encore de veiller à la protection des intérêts de ceux de nos concitoyens qui habitent dans les communes implantées dans les environs des aéroports. C'est bien ce qui est prévu par le projet de loi.

Ainsi, nous ne désengageons pas l'État, mais redéfinissons sa place dans notre économie, ce qui est très différent. Merci, en tout cas, de votre soutien, et pour les propositions que le groupe MODEM a déjà faites.

Monsieur de Courson, ce texte peut, bien sûr, être amélioré. C'est l'objet de nos débats. J'ai vu, dans les amendements qui ont été déposés par des membres de votre groupe, beaucoup de pistes d'amélioration. Certaines, en revanche, sont difficiles à mettre en oeuvre. Vous voulez supprimer complètement les annonces légales ? Nous ne le faisons pas, parce que ce serait la mort de beaucoup de titres, qui vivent en partie de ces annonces légales.

Donc nous assumons ce choix. Pour certains titres, notamment de la presse hebdomadaire spécialisé, notamment agricole – je connais votre passion partagée avec moi pour l'agriculture – , je répètre que le risque est trop important de supprimer totalement ces annonces légales.

S'agissant des seuils, s'il faut aller plus loin, faites vos propositions et nous les regarderons.

Sur les chambres de commerce et d'industrie, la transformation que nous engageons est effectivement une transformation radicale. J'estime que les CCI peuvent être financées, au moins en partie, non par une taxe affectée, mais par le produit de leurs prestations aux entreprises. De deux choses l'une, en effet : soit ces prestations sont utiles et les entreprises les paieront, soit elles ne sont pas utiles et, dans ce cas, je ne vois pas pourquoi ce serait le contribuable qui paierait. Vous nous dites qu'il faut aller plus loin et transformer le régime statutaire ? J'y suis prêt.

Nous consultons actuellement sur le sujet tous les syndicats et tous les présidents de CCI pour voir avec eux comment ils voient les choses, car je n'ai pas l'habitude de me cacher derrière mon petit doigt. C'est pourquoi je suis allé les voir les présidents de CCI, au lieu de leur faire un coup dans le dos pour les éviter ensuite et leur dire : « je vous reprends un milliard au passage, mais je ne vais pas à votre rencontre ».

Si je suis allé à leur rencontre, c'est parce que je crois aux CCI. Je pense qu'elles sont utiles et qu'elles appartiennent à notre histoire. Mais je pense que leur mode de financement et leur statut ne sont plus adaptés. Nous allons donc les changer, y compris le régime statutaire des agents des CCI, si elles y sont ouvertes et si les syndicats sont prêts à travailler là-dessus.

S'agissant de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), je tiens à ce qu'elle reste sous la surveillance du Parlement. Il n'est pas question que les parlementaires ne continuent pas à la contrôler. On peut ainsi conjuguer un regard tourné vers l'avenir, comme le fait la loi PACTE, et la tradition. Je pense que les deux sont absolument compatibles.

Le Parlement a toujours eu un rôle dans le contrôle de la CDC. En même temps, nous la faisons évoluer, grâce à l'opération majeure sur La Poste – qui crée, je le rappelle, le premier pôle financier public au monde – et nous gardons le contrôle exercé par les parlementaires.

Ensuite, il n'est pas illégitime que le Gouvernement veuille lui aussi avoir des représentants. Nous allons discuter des modalités. Je suis ouvert à la discussion et je préfère vous le dire tout de suite. En tout cas, je suis suffisamment attaché au rôle du Parlement pour l'être aussi au rôle qu'il joue auprès de la Caisse des dépôts. N'ai-je pas été élu il y a quatorze mois, comme vous, après avoir exercé déjà deux mandats de député ?

Monsieur Vallaud, il y a beaucoup de belles idées dans ce que vous proposez. Je ne rappellerai pas que vous auriez pu, dans les fonctions précédentes, vous occuper de les mettre en oeuvre, car je connais suffisamment l'exercice du pouvoir pour savoir qu'entre les ambitions et la réalisation, il peut y avoir un écart – je le dis aussi pour moi, sachez-le bien.

Sur un certain nombre de points, nous aurons effectivement des désaccords. Oui, j'estime que la certification comptable doit être simplifiée. Je recevrai à nouveau la profession des commissaires aux comptes d'ici quelques jours pour en discuter avec eux, car je continue à considérer qu'il y a aucune raison que toutes les entreprises européennes soient soumises à un seuil de huit millions d'euros de chiffre d'affaires et de quatre millions d'euros de bilan alors que les entreprises françaises sont soumises à un seuil beaucoup plus strict. On avance parfois l'argument que nous serions un pays du Sud qui serait moins respectueux des règles. Je trouve ces propos très humiliants pour nos chefs d'entreprise et très injustes au fond, en un mot peu conformes à la réalité de ce qu'est le territoire français.

Monsieur Quatennens, vous me reprochez de parler une langue morte. Par votre opposition entre le choix du travail et le choix du capital, je trouve pour ma part que vous parlez une langue marxiste très dépassée. Je ne crois pas à cette opposition et je considère que, si on veut recréer du travail, il faut du capital. Je ne peux accepter l'idée qu'on doive faire soit le choix du travail soit le choix du capital, et que nous ferions forcément celui du capital contre le travail. Je revendique les décisions que nous avons prises sur la fiscalité du capital pour créer du travail par l'investissement et par l'innovation, car je suis convaincu que les deux sont complémentaires.

Sur l'urgence écologique, je vous rejoins tout à fait, mais je considère que la vraie réponse française à l'urgence écologique, c'est l'innovation dans les nouvelles technologies. Ce sont elles qui nous permettront de lutter contre le réchauffement climatique et d'accélérer la transition énergétique à laquelle je suis favorable. Je pense que si la France est capable demain, notamment grâce au Fonds pour l'innovation de rupture, de disposer des technologies les plus performantes en matière d'énergies renouvelables, nous aurons fait oeuvre utile – je pense une fois encore à ce défi du stockage de l'énergie renouvelable, aux voitures électriques, aux batteries de quatrième génération. Ces choix-là ne peuvent être que des choix nationaux et européens.

Je prends l'exemple des batteries de quatrième génération. Quand j'apprends que l'Allemagne a décidé de laisser la Chine faire un investissement massif sur des batteries de quatrième génération à Erfurt, en injectant 280 millions d'euros dans une usine qui fournira les constructeurs automobiles allemands, je ne critique pas le choix souverain de l'Allemagne. Mais je juge préférable que Total, grande entreprise française, rachète Saft et essaye de développer son propre modèle, de façon à être indépendant des Chinois plutôt que de faire venir des usines chinoises en France.

Souvenez-vous de ce qui s'est passé pour les panneaux solaires et tirons-en toutes les leçons. Nous avons délibérément tué la filière industrielle européenne du panneau solaire ! Moi, je conteste fondamentalement ce choix. J'aimerais que, sur les batteries comme sur l'intelligence artificielle ou sur le digital, nous ne reproduisions pas en 2018 les erreurs que nous avons faites vingt ans plus tôt.

Monsieur Ruffin, j'adore cette phrase de Che Guevara, dans laquelle vous vous reconnaîtrez : « Non seulement je ne suis pas modéré, mais j'essaierai de ne jamais l'être ». Vous devriez prendre cette phrase comme devise, car elle vous va très bien !

Libérer les entrepreneurs des cartels, des banques, c'est très bien. Mais je suis plus prosaïque que vous. Quand une PME se développe, elle se rend à la banque pour demander un crédit car elle a besoin de financement. Là encore, il ne faut pas opposer des mondes qui sont complémentaires. À force de vouloir monter tout le monde les uns contre les autres, on va vers une société du conflit à laquelle je ne suis pas favorable. On peut toujours demander aux banques de faire mieux : c'est ce que j'ai fait il y a quelques jours avec l'offre spécifique pour les plus démunis. On vérifiera que les banques remplissent bien leurs engagements. N'opposons pas systématiquement tout le monde en France, notamment les banques et les PME, car je pense que les uns ont surtout besoin des autres.

Monsieur Jumel, je tiens à vous rassurer : la privatisation de la Française des Jeux ne changera rien à la contribution au Centre national pour le développement du sport (CNDS). Ce sera marqué noir sur blanc. S'agissant de l'épargne retraite, de l'intéressement et la participation, nous aurons un vrai débat économique intéressant sur le risque de substitution au salaire. Ni l'épargne salariale, ni l'intéressement et la participation ne doivent se substituer au salaire pour les salariés. C'est un risque que nous avons présent à l'esprit.

En ce qui concerne le 1 % logement, je tiens à vous rappeler que nous avons prévu une compensation à l'euro près et que nous avons eu de longs échanges avec les responsables du Fonds national d'aide au logement (FNAL) et de l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) pour que les mesures liées au relèvement des seuils à cinquante salariés soient compensées à l'euro près avec des recettes dynamiques et non statiques pour les acteurs du logement.

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