Autre exemple de mesure contre-productive : l'article 16 D, qui interdit de sortir les matières fertilisantes contenant des boues d'épuration du statut de déchet et leur accession à celui de produit. Il conduit à la dévalorisation de la méthanisation et, par conséquent, des déchets, qui permettent pourtant un réel développement de la bioéconomie et de l'économie circulaire. Cet article conduira au recul des pratiques de valorisation agronomique actuellement en vigueur et aura pour conséquence d'augmenter les coûts tant pour les agriculteurs que pour les services publics et pour nos communes.
Mes chers collègues, de tels constats plaident déjà en faveur d'un rejet. Malheureusement, mon exposé n'est pas fini et le pire reste à venir puisque nous n'avons pas parlé de ce qui manque à ce texte – et les lacunes sont criantes !
Le premier point essentiel – vous en avez parlé, monsieur le ministre – concerne les indicateurs. La première lecture avait permis de faire reconnaître aux interprofessions et, à défaut, à l'Observatoire, une compétence obligatoire dans la détermination de ces indicateurs neutres, objectifs et indiscutables. Le texte de la commission opère un net retour en arrière, puisqu'il ne reconnaît plus cette compétence à l'Observatoire, disposant simplement que les interprofessions « peuvent » fournir ces indicateurs. Cette évolution est inacceptable : les interprofessions et, à défaut, l'Observatoire doivent élaborer ces indicateurs.
Plus important encore, et c'est là que réside tout le problème, les indicateurs doivent être obligatoires. Seule cette mesure permettra un réel changement. Or c'est bien ce qui manque au texte. Le Gouvernement nous propose la création d'indicateurs mis à la libre disposition des parties. Comment peut-on espérer un changement si l'on ne modifie pas les rapports de force qui minent nos agriculteurs ? Ces indicateurs ne peuvent être facultatifs ou informatifs, sous peine d'être privés de toute efficacité et d'effectivité. Ils doivent être obligatoires, neutres et objectifs. Il s'agit non pas d'imposer des prix mais de mettre en valeur les coûts de production, afin qu'aucun prix ne tombe en-dessous. Il s'agit également de donner des outils aux producteurs pour défendre leurs prix et ainsi leurs marges.
Le deuxième point sur lequel il faut revenir, c'est celui des relations contractuelles. Le texte doit impérativement permettre une sécurisation de ces relations. Il est important pour les producteurs que les groupements en OP – organisations de producteurs – soient soutenus et renforcés car l'approche collective permet aux producteurs de peser dans les relations commerciales. Afin d'assurer cette protection, il faut être sûr qu'aucun contournement aux contrats ou accords-cadres ne soit possible. Là encore, je constate que le texte a subi un recul depuis la première lecture. Alors que la rédaction de l'article 1er avait été votée quasiment dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, nous avons assisté à un retour en arrière en commission. Or ce texte doit assurer fermement la position des producteurs tout en sécurisant leurs groupements.
Troisième lacune : les compétences et le pouvoir que l'on accorde au médiateur des relations commerciales agricoles. Le texte consacrant sa compétence le prive de tout pouvoir en lui refusant la publication de ses conclusions et la saisine d'un juge en cas d'échec. Or le renversement de l'équilibre des relations commerciales implique une protection accrue des parties les plus faibles. Lorsque les outils contractuels qui leur sont donnés ne leur permettent pas de se protéger, le médiateur est tout indiqué pour ce faire. C'est pourquoi il est indispensable de lui accorder la liberté de rendre ses conclusions publiques. De même, le texte doit le renforcer dans son rôle actif d'arbitre et lui donner la possibilité de saisir directement le juge des référés en cas d'échec de la médiation. Il permettra ainsi la protection de la partie la plus faible et assurera le règlement de tous les litiges par le médiateur ou, à défaut, par un juge. Aujourd'hui, le texte le laisse sans armes face à des parties parfois très belliqueuses.
Enfin, dernier point, les centrales d'achat sont les grands absentes de ce texte. Elles sont passées maîtres dans la guerre des prix et pourtant l'on s'étonne de ne pas les croiser beaucoup au fil du texte. Le projet ne prévoit qu'un contrôle a posteriori. C'est plus que léger, d'autant plus quand quatre d'entre elles détiennent 95 % du marché. Elles sont, en grande partie, responsables de ce déséquilibre. C'est pourquoi il devient urgent de rétablir une organisation de marché raisonnable. Les centrales sont devenues trop importantes et doivent tomber dans la sphère du contrôle des concentrations.
Le Gouvernement s'est montré beaucoup trop frileux à l'égard de la distribution. Or la crise qui mine notre agriculture ne peut souffrir de tergiversations. La modification du calendrier des négociations ou l'instauration d'un seuil de revente à perte ne permettront pas à elles seules de redonner du poids aux producteurs. La mise en place d'un contrôle efficace des centrales est la condition sine qua non du retour à l'équilibre des relations commerciales.