Monsieur le président, monsieur le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, chers collègues, ouverts il y a un peu plus d'un an, en juillet 2017, les États généraux de l'alimentation avaient suscité de grands espoirs auprès de nos concitoyens, mais aussi auprès de nos agriculteurs, qui s'étaient vu promettre un rééquilibrage des relations commerciales et la perspective d'une amélioration de leur revenu.
Aujourd'hui, au lendemain de la commission mixte paritaire du 10 juillet, le risque est grand que ces espoirs soient déçus et que le texte que vous nous soumettez en nouvelle lecture ne permette pas d'atteindre l'objectif d'une meilleure répartition de la valeur entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Ce projet de loi, qui crée en outre de nouvelles contraintes pour les agriculteurs, ne simplifie en rien les normes, pas plus qu'il n'allège les charges qu'ils subissent. Il n'est clairement plus à la hauteur des ambitions affichées par le Président de la République à l'occasion de son discours de Rungis, ni à la hauteur des attentes de nos agriculteurs. Et ce, alors même que notre agriculture attend des réponses pour l'accompagner dans les mutations auxquelles elle est confrontée, pour relever les défis qui l'attendent dans un monde où la population s'accroît et où les besoins alimentaires vont continuer à augmenter.
Rappelons que, dans notre pays, le nombre d'agriculteurs continue de diminuer, que le nombre d'exploitations agricoles a été divisé par deux depuis les années 1980 et que la part en valeur de notre agriculture en Europe diminue. Si le phénomène de regroupement et d'agrandissement des exploitations s'amplifie, la situation des agriculteurs ne s'améliore pas pour autant et le nombre de défaillances d'exploitations agricoles ne cesse malheureusement d'augmenter. La rentabilité de nos exploitations est pénalisée par l'empilement des contraintes et des normes et par l'augmentation des charges, à l'image de la récente hausse du prix des carburants.
Et pourtant, monsieur le ministre, votre projet ne dit rien de ces questions essentielles : il ne prévoit rien pour l'allègement des charges, la simplification administrative, la réduction des normes ou encore l'amélioration de la compétitivité des exploitations. Votre texte ne prévoit rien non plus pour favoriser l'installation et la transmission des exploitations agricoles, qui sont pourtant des enjeux capitaux si nous voulons garantir la pérennité de notre modèle agricole et l'aménagement de notre territoire.
En première lecture, les députés, puis les sénateurs, avaient contribué à améliorer le texte présenté par le Gouvernement. Nous regrettons amèrement que la commission mixte paritaire soit revenue de manière totalement inédite sur des dispositions qui avaient pourtant été votées de manière conforme par l'Assemblée nationale et le Sénat, en particulier sur la question de la construction des prix – c'est bien là que le bât blesse ! Au-delà du fait qu'il atteste du peu de considération accordé au travail parlementaire, l'échec de la CMP peut être lourd de conséquence, puisqu'on ne voit pas très bien, aujourd'hui, comment la loi pourrait entrer en vigueur au début du mois d'octobre, avant le début des prochaines négociations commerciales, comme le Président de la République l'avait promis. Surtout, on voit moins encore, dans l'état actuel des choses, en quoi ce texte permettrait de rééquilibrer le rapport de force entre producteurs et acheteurs.
Nous regrettons que la commission des affaires économiques de notre assemblée, qui s'est réunie les 17 et 18 juillet, ait décidé, à votre demande, de détricoter les mécanismes de fixation des prix, qui doivent s'appuyer sur des indicateurs publics et incontestables, comme les députés de notre groupe, ainsi que d'autres groupes, l'avaient proposé en première lecture. Monsieur le rapporteur, je suis au regret de vous dire que la rédaction de l'alinéa 15 de l'article 1er, tel que vous nous la proposez, reste ambiguë et fait courir le risque que les acteurs les plus puissants au sein des filières continuent à imposer leur loi.
Le texte doit clairement préciser qu'il appartient aux organisations professionnelles d'élaborer et de diffuser les indicateurs. Il doit par ailleurs prévoir que, faute d'accord, il appartiendra à l'Observatoire des marges et des prix de s'y substituer. Sans cette possibilité, en cas d'échec des négociations, tout se passera comme s'il n'y avait jamais eu de loi. Qu'on se comprenne bien : il ne s'agit pas de demander à l'État de concevoir les indicateurs et encore moins de fixer les prix. Mais, pour s'assurer que les négociations commerciales se construisent sur des références indiscutables des coûts de production agricole, il s'agit de renforcer, lorsque c'est nécessaire, la pression sur les acteurs de la filière grâce à une intervention publique. Dans le même esprit, il importe que ces indicateurs soient publiés et rendus publics, si nous voulons qu'ils soient efficaces.
Plusieurs autres modifications introduites à l'article 1er nous paraissent de nature à remettre en cause l'efficacité du dispositif. Nous souhaitons ainsi que soit rétablie la rédaction adoptée en première lecture, visant à interdire à un acheteur de négocier en direct avec un producteur, dès lors qu'il aurait refusé la proposition d'accord-cadre d'une organisation de producteurs. Il faut également renforcer le rôle du médiateur des relations commerciales agricoles en lui permettant de saisir le juge en référé, en cas d'échec de la médiation sur les relations contractuelles. Ce sont autant de propositions que nous avions déjà faites en première lecture.
J'en viens maintenant à la deuxième partie de ce projet de loi. Vous avez manifestement la volonté de répondre à des attentes sociétales en matière de qualité de l'alimentation, d'évolution des pratiques agricoles, ou encore de bien-être animal. Si l'on a pu, au cours du débat en première lecture, partager un certain nombre de ces préoccupations, on peut toutefois regretter que plusieurs interventions, mais aussi certaines des mesures proposées, aient eu pour effet de jeter le discrédit sur notre agriculture, notre élevage, ses modes de production ou ses outils de transformation et parfois, à travers eux, sur les hommes et les femmes qui mériteraient que leurs efforts et leur sens des responsabilités soient davantage reconnus.
Certaines interventions ont pu traduire une méconnaissance des réalités et des difficultés que vivent nos agriculteurs – mais je ne me permettrai pas de vous faire ce procès, monsieur le rapporteur, ni même à vous, monsieur le ministre. Surtout, elles ont révélé un manque de confiance vis-à-vis de nos agriculteurs et de nos filières, qui sont pourtant engagées dans une démarche de progrès, et qui ont parfaitement conscience qu'elles n'ont pas d'autre choix, ou plutôt que c'est leur intérêt, de s'adapter aux attentes des consommateurs et de la société.
Ce texte crée de nouvelles contraintes pour nos agriculteurs, et je le regrette. En effet, à force d'imposer sans discernement de nouvelles contraintes à l'agriculture française, on prend le risque de la rendre moins compétitive que celle d'autres pays européens et, surtout, de pays tiers. Par voie de conséquence, on risque de favoriser l'importation de produits, certes plus compétitifs, mais aussi moins qualitatifs, puisqu'ils ne sont pas soumis aux mêmes normes de production. En ce sens, il nous paraît essentiel de maintenir l'article 11 undecies du projet de loi, qui interdit la vente en France de produits ne respectant pas les mêmes normes que celles imposées à nos agriculteurs. Il s'agit ainsi de viser explicitement les importations.
Je pense bien évidemment aux accords internationaux, et particulièrement à l'accord avec le Mercosur, qui nous conduirait à accepter l'importation de viandes bovines à bas prix, issues d'élevages pouvant utiliser des aliments, des hormones ou des activateurs de croissance interdits en France.