Ici même, voilà quelques semaines, j'exprimais la position des députés socialistes sur le texte qui nous avait été présenté à l'issue de la première lecture et je disais notre déception, car on était loin de l'espérance qu'avaient suscitée les États généraux de l'alimentation et de l'ambition qu'avait portée le Président de la République dans un discours qui a fait date, prononcé à Rungis en octobre dernier. Le texte dont nous discutons ce soir n'est pas à la hauteur de ces espérances, que ce soit pour améliorer le revenu des agriculteurs ou pour répondre aux attentes des Français – des citoyens, des consommateurs – , quant à leur alimentation.
Je disais aussi que notre déception portait sur la méthode. Nous avions en effet été nombreux à entendre, durant les mois qui avaient précédé l'élection présidentielle, en 2017, que le Nouveau monde, la nouvelle majorité et le nouveau gouvernement travailleraient avec tout le monde et écouteraient les bonnes idées, d'où qu'elles viennent – de la droite, mais aussi de la gauche. Peine perdue. Nous avons fait le compte : alors que le texte examiné en première lecture faisait l'objet de 110 amendements déposés par le groupe qui s'appelait alors Nouvelle Gauche, c'est-à-dire par les socialistes, sept seulement ont été retenus. On était loin, là aussi, des promesses de campagne.
Au bout du compte, nous étions nombreux à attendre une loi d'ambition pour transformer notre modèle agricole et le rendre plus juste pour les producteurs, plus sain pour les consommateurs et plus durable pour notre planète, et nous nous retrouvons finalement avec une addition de dispositions dont certaines sont sans doute utiles – il faut le souhaiter, car c'est l'intérêt général – , mais qui ne consacre pas une vision forte pour notre politique agricole et agroalimentaire.
Au moment où nous débutons la discussion en nouvelle lecture de ce projet de loi avec, somme toute, un goût d'inachevé, nous, députés socialistes, allons déposer des amendements forts qui expriment une vision de l'avenir tant pour notre agriculture que pour notre alimentation.
Prenons les choses dans l'ordre. Pour ce qui concerne le revenu des agriculteurs, nous considérons que la puissance publique doit assumer son rôle. On ne peut pas tout renvoyer à la discussion entre les acteurs économiques, et cela d'autant moins que, comme cela a été dit avant moi, cette relation a montré ses limites. Nous avons tous à l'esprit les déclarations faites, la main sur le coeur, par les acteurs qui ont signé en novembre dernier une charte d'engagement pour améliorer les relations commerciales. La charte était à peine signée qu'avaient lieu ensuite, au mois de février, les négociations dans les boxes : bien que signée, la charte n'a pas franchi la porte de ces boxes de négociation commerciale. À peine signée, déjà oubliée : voilà, malheureusement, la réalité.
On ne peut donc pas s'en tenir uniquement aux relations contractuelles entre les acteurs de la filière, car cela ne suffit pas à assurer une amélioration du revenu pour les producteurs et un meilleur partage, un meilleur équilibre de la valeur ajoutée entre les différents acteurs. Ainsi, permettre aux autorités publiques ne serait-ce que de rendre des avis sur les indicateurs de coûts de production ou d'intervenir en cas de blocage ne revient pas à opposer l'initiative privée à la puissance publique mais, au contraire, à articuler l'une et l'autre pour garantir, en définitive, une vraie justice économique aux producteurs.
Pour ce qui est de l'alimentation, je pense que nous avons tous ce soir à l'esprit une étude rendue publique hier à l'initiative d'une grande association nationale d'aide aux plus démunis. Cette étude nous apprend qu'un Français sur cinq n'a pas les moyens de se nourrir sainement trois fois par jour et que 27 % des Français n'ont pas les moyens d'acheter des fruits et légumes tous les jours. Voilà la réalité de notre pays, la réalité sociale, le quotidien de tant de Français.
Nous savons bien, et cela a du reste été dit largement durant le débat en première lecture, que l'alimentation est le miroir des inégalités. C'est un enjeu de justice sociale et nous avons la responsabilité d'agir pour améliorer en permanence la qualité de l'offre alimentaire, la qualité de notre alimentation, et pas seulement pour ceux qui en ont les moyens mais, parce qu'il est question d'intérêt général, de justice sociale et de réduction des inégalités, pour l'ensemble des consommateurs, des citoyens et des Français.
Les députés du groupe Socialistes et apparentés formuleront plusieurs propositions pour répondre à ce défi. En particulier, pour répondre aux attentes des consommateurs, nous souhaitons améliorer en permanence l'information qui leur est due et qui est leur droit le plus strict.
Nous souhaitons que ce texte soit vraiment l'occasion d'avancer sur un enjeu majeur : l'éducation à l'alimentation. Il faut donner à celle-ci un vrai contenu et mettre chacun en responsabilité. Il faut, là encore, que l'État réponde présent et qu'en particulier le ministère de l'éducation nationale soit un vrai acteur, un vrai partenaire d'une grande politique de l'alimentation.
Et puisqu'il s'agit du droit à l'information, il faut évoquer aussi l'affichage environnemental, qui est aussi un droit des consommateurs et des citoyens. Cette idée non plus n'est pas nouvelle, car elle remonte au Grenelle 2. Nous souhaitons progresser en matière d'affichage environnemental des produits, afin que chacun puisse bénéficier d'une bonne information et agir en consommateur responsable.
Pour finir, posons-nous une question : ce texte, qui concerne notre pays – la France, l'espace national – , sera-t-il réellement efficace pour les producteurs et les consommateurs sans un prolongement européen ? Comme vous le savez tous, la solution ne sera pas nationale, ni en matière de revenu des producteurs, ni en matière d'information des consommateurs, ni en matière de règles de concurrence entre producteurs au sein de l'Union européenne : il n'y aura pas de solution à ces problèmes sans régulation des marchés et des productions. Il faut le dire et le redire.
Pour ne prendre que l'exemple du lait, nous pouvons bien évidemment discuter ici de tous les mécanismes de répartition de la valeur et de négociation commerciale, mais nous savons bien que le prix du lait dépend du marché du lait, lequel n'est pas seulement national, mais au minimum européen et, bien sûr, mondial : tant que nous n'aurons pas ici une claire vision de ce que nous voulons défendre sur le plan européen pour maîtriser les productions et les volumes et pour réguler les marchés, nous n'arriverons à rien. Cette dimension est absente du texte, mais nous devons avoir une claire vision de ce qu'est la position de la France pour la prochaine politique agricole commune. Pour ce qui concerne cette dernière aussi, nous devons être innovants et tracer des perspectives qui ne concernent pas seulement le monde agricole, mais l'ensemble de notre pays et de notre société.
Ici même, au mois de juillet, nous avons adopté à l'unanimité une résolution pour une agriculture durable dans l'Union européenne. Chacun y retrouvait ce qu'il avait apporté. C'est très bien, mais il nous semble tout aussi important d'y associer les forces vives de notre pays – les producteurs, les consommateurs, les transformateurs, les associations, les citoyens et les collectivités – pour aider le Gouvernement à définir des orientations qui seront ensuite partagées. Le Gouvernement sera plus fort dans la négociation européenne si l'ensemble de la société française est pour lui un point d'appui.
Je propose donc, au nom du groupe socialiste, que nous mettions en place un mécanisme de consultation et de concertation, au-delà même de ce que nous sommes, qui touche les profondeurs de la société française, les profondeurs de notre pays, pour dire ce que nous voulons pour la prochaine politique agricole commune. C'est en effet, nous le savons, la clé pour répondre aux défis dont nous débattons ce soir, qu'il s'agisse du revenu des producteurs ou de la réponse à apporter aux attentes des consommateurs.
Je sais que j'ai déjà été trop long,...