Quand il y a eu le décollage des populations urbaines, entraînant la modification générale, et même planétaire, du mode de vie humain – car c'est un fait anthropologique – , on est passé à un pourcentage de 22 %, pour en être aujourd'hui à 1,8 % d'agriculteurs dans le total de la population active, soit une baisse de 95 % ! C'est une révolution complète de la condition humaine et des rapports entre les différentes catégories qui concourent à la vie de l'espèce – rappelons que sans agriculteurs, personne ne vivrait puisqu'il n'y aurait rien à manger. Quelque chose s'est produit dans la technique, dans l'organisation de la société, qui a permis de soulager – disons cela ainsi – la collectivité humaine de cette part de travail, et tous ces gens ont pu aller faire autre chose – dont ils n'avaient pas forcément envie, soit dit en passant. À ce propos, personne ne peut oublier la magnifique chanson de Jean Ferrat, La Montagne. Plein de gens sont partis à regret, ce fut le grand déménagement de la population des campagnes vers les villes, avec tout ce que cela a donné. Nous avons au moins cela en mémoire. Je pense que nombre d'entre nous ont connu cette mutation, eux-mêmes ou par leurs parents, et de toute façon en ont entendu parler. On sait donc que des changements considérables peuvent affecter ce domaine d'activité. Mais ce n'est pas la première fois ! Car, au fond, tout dépend de l'agriculture.
Lorsque l'agriculture apparaît au néolithique, soit 8 000 ans à 10 000 ans avant notre ère, c'est elle qui provoque la sédentarisation et rend possible l'élevage, entraînant un bond de la population humaine et des transformations radicales dès cette époque. Cela fait donc un moment que cela dure. Eh bien, aujourd'hui, nous traversons une période de même nature, mais pour des raisons qui n'ont plus rien à voir ni avec l'outil de production ni avec la condition des personnes qui travaillent dans ce domaine, mais avec la nature de l'organisation de la société et de ses réseaux économiques. En effet, l'agriculture est au départ une activité de subsistance, puis elle est devenue une activité générant un pouvoir d'échange, et à la valeur d'usage s'est ainsi ajoutée la valeur d'échange. Mais aujourd'hui, la valeur d'échange surplombe entièrement la production, et elle est bien entendu organisée dans le cadre de l'économie financiarisée.
Il est extraordinaire de se rendre compte que les produits dérivés agricoles, c'est-à-dire qui donnent lieu à une titrisation sous une forme ou sous une autre dans la sphère financière, ont bondi de 16 % au cours de ces toutes dernières années, au point que seules 2 % des transactions sur les produits agricoles à l'échelle internationale donnent lieu à livraison effective ! Tout le reste est de la spéculation, de la récolte vendue avant d'être semée, revendue plusieurs fois avant d'être labourée,...