Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici enfin saisis, en nouvelle lecture, de ce projet de loi qui aura tenu la profession agricole en haleine durant presque huit mois. Nous approchons donc de la rédaction finale de ce texte, et je ne puis à cet égard, monsieur le ministre, cacher ni mon inquiétude, ni ma déception profonde.
Le texte est en effet bien loin de la grande loi agricole promise aux Français en février dernier. Le Président de la République et vous-même nous aviez promis un texte fort, qui assurerait un revenu à nos agriculteurs et une alimentation saine. Je ne doute pas de votre bonne volonté à ce sujet, et souligne à mon tour votre implication, ainsi que le travail assidu que vous avez fourni à nos côtés au cours de ces longues semaines.
Votre texte initial était, comme vos intentions, ambitieux, car il promettait de redresser le navire. Mais après les différentes lectures dont il a fait l'objet, force est de constater que le bateau coule et que l'agriculture continue de se noyer.
Le texte a été quasiment vidé de toute substance, la majorité et le Gouvernement préférant nier les avancées, pourtant considérables, des états généraux de l'alimentation. Les ateliers, très présents lors de la présentation du texte le 1er février dernier, ne s'y retrouvent plus. Alors que l'agriculture a plus que jamais besoin de soutien, on regrette qu'elle soit ici abandonnée, sinon enterrée. Les prix du lait et de la viande ne sont toujours pas au rendez-vous, et la situation devient de plus en plus alarmante. De grandes difficultés sont donc à prévoir dans les mois à venir ; si l'on y ajoute les derniers aléas d'actualité, comme la sécheresse, on craint que les exploitants ne puissent plus faire face.
Entre le Brexit, la diminution annoncée des dotations de la PAC et les traités du CETA ou du MERCOSUR – le Marché commun du Sud – , de lourdes inquiétudes planent sur l'avenir de notre agriculture. Il était donc devenu urgent de lui donner les moyens d'affronter les difficultés à venir. Elle avait besoin d'un texte fort et ambitieux, centré sur les conditions de nos paysans.
Mais l'on se trouve face à un texte éclaté, qui défend tantôt la cause animale, tantôt l'environnement, oubliant ainsi sa vocation centrale : le retour à l'équilibre des relations commerciales. La défense des causes que je viens d'évoquer est essentielle, mais ne peut et ne doit pas se faire au détriment de nos agriculteurs.
En rédigeant ces quelques lignes hier soir, je me suis rendu compte à quel point cet exercice me pèse, et ce pour deux raisons. La première est que j'avais fondé d'énormes espoirs, et que je n'aurais jamais imaginé monter à cette tribune pour tenir les propos que je viens de tenir. La seconde est que je persiste à penser que le présent texte sera le seul du quinquennat sur le sujet. S'il n'est pas abouti, s'il ne remplit pas les objectifs que vous lui aviez fixés et que nous nous efforçons de poursuivre, il ne sera qu'une très regrettable occasion manquée.
J'irai donc à l'essentiel pour tenter de vous exprimer nos craintes si le texte devait être adopté en l'état actuel de sa rédaction. Son titre Ier, tant attendu, porte sur le volet économique, autrement dit sur le nerf de la guerre, quoi qu'en disent certains, dans toutes les exploitations de France. Que dire à ce sujet ? Que le texte ne comporte que des demi-mesures. Renverser le processus de fixation des prix est une excellente idée, que nous faisons nôtre à vos côtés.
Mais ce texte contient deux lacunes qui la priveront, à n'en pas douter, des effets bénéfiques que l'on en attend.
D'abord, en confiant aux filières la charge considérable que représente la mise en oeuvre de cette démarche sans prévoir de véritables garde-fous législatifs, on sème le trouble partout. À l'approche de la période de négociation, le doute s'installe ainsi de manière irrémédiable : quid des producteurs isolés ? Quid du processus de création des indicateurs de prix et de leur opposabilité ? Votre réforme, non aboutie, va se révéler vaine.
Ensuite, en cas de conflit au cours de l'élaboration du prix, vous n'avez pas souhaité, malgré tous nos efforts en ce sens, doter le médiateur des indispensables pouvoirs qui seuls lui garantiraient l'efficacité, à savoir la possibilité de saisine des juges compétents. Comment, dès lors, imposer quoi que ce soit ?
Globalement, enfin, ce texte est une terrible occasion manquée de donner ou de rendre à l'agriculture ses lettres de noblesse en affirmant haut et fort qu'il s'agit d'une activité à vocation économique, qui doit permettre à ceux qui travaillent dans le secteur d'en vivre décemment et de développer leurs structures conformément à leur vocation de nourrir leurs concitoyens et à leur désir de fournir des produits de grande qualité. À cet égard, aucune posture claire n'est prise. Les propos mêmes tenus par M. le Président de la République à Rungis sont cruellement démentis par le résultat de nos travaux.
Les dispositions concernant les processus de reconnaissance des origines des produits et de leur mode de fabrication sont aussi très fouillis, et même contradictoires pour certaines d'entre elles. C'est ainsi qu'au détour de certains débats les appellations existantes – appellation d'origine protégée, appellation d'origine contrôlée, indication géographique protégée – risquent finalement d'être noyées au milieu de nouveaux signes de reconnaissance, ce qui pourrait égarer le consommateur et l'induire en erreur tout en déstabilisant dangereusement des pans entiers de notre agriculture.
En ce qui concerne la restauration collective, nul ne conteste qu'il est légitime de l'utiliser à des fins de prescription en y imposant des ratios pour certains types de produits. Mais ne pas tenir compte des différences entre petites et grosses structures et les assujettir toutes aux mêmes contraintes est une folie, qui se paiera : les plus petites seront forcées de disparaître et de laisser la place à des établissements industriels capables de faire face à ces lourdeurs, mais aussi enclins, évidemment, à ignorer la dimension locale, vertueuse, de l'approvisionnement.
En ce qui concerne l'environnement et le bien-être animal, enfin, les débats ont été plus qu'âpres, nous laissant parfois un goût amer – je vous le dis, monsieur le ministre – , comme lorsqu'un député du groupe majoritaire a laissé faussement penser qu'un amendement présenté à la hussarde, contre l'avis du Gouvernement – contre votre avis ! – et celui du rapporteur, pourrait carrément permettre d'interdire certaines substances et de garantir aux consommateurs qu'ils n'en auront plus dans leur assiette. Nous étions pourtant restés à vos côtés pour défendre une vision uniforme de cette question au niveau européen et un accompagnement pragmatique des modifications qu'elle suppose.
Sans remettre aucunement en cause le respect dû aux animaux et à l'environnement, est-il vraiment sérieux de séparer complètement, comme vous le faites, le conseil et la vente pour tous les produits phytosanitaires, et d'infliger aux exploitants de considérables charges supplémentaires, tout en faisant exploser des dispositifs relativement récents et efficaces tels que le Certiphyto ?
Plus généralement, est-ce bien responsable, de la part du Parlement, de donner à penser, plusieurs mois durant, que nos agriculteurs polluent et massacrent, alors qu'ils sont les premiers à porter sur la nature un regard protecteur et à prodiguer à leurs animaux les meilleurs soins possibles ?