À la radio, Nicolas Hulot s'exprimait ainsi : « Est-ce que nous avons commencé à réduire l'utilisation des pesticides ? La réponse est non. Est-ce que nous avons commencé à enrayer l'érosion de la biodiversité ? La réponse est non. Est-ce que nous avons commencé à [arrêter] l'artificialisation des sols ? La réponse est non. [... ] Je n'ai pas réussi à créer une complicité de vision avec le ministre de l'agriculture, alors que nous avons une avons une opportunité absolument exceptionnelle de transformer le modèle agricole. [... ] Je ne peux pas passer mon temps dans des querelles avec Stéphane Travert », ajoutant que c'est le modèle dominant qui est la cause du désastre.
Je souhaite insister sur cette opportunité absolument exceptionnelle. Je crois, en effet, que c'est une occasion manquée, une occasion gâchée alors que – et c'est tout le paradoxe – c'est vous, monsieur le ministre, avec le Président de la République, qui avez créé cette opportunité et donné cette occasion. Et vous ne l'avez pas saisie ! Vous l'avez laissée complètement en plan ! Pourquoi ? Les industriels et les distributeurs, obligés de participer à ces états généraux de l'alimentation, y avaient accordé des concessions. Que l'on se souvienne par exemple des propos de Serge Papin, alors P. D-G de Système U, qui animait l'atelier des états généraux consacré aux prix : il indiquait, devant notre commission, que pour sauver l'agriculture française, l'amener vers plus de qualitatif, il faudrait des prix minimum garantis.
On a besoin de régulation dans ce pays : ça fait une trentaine d'années que l'agriculture est la variable d'ajustement de la guerre des prix.
Dominique Voynet, qui animait un autre atelier, nous a dit qu'elle avait, elle aussi, le sentiment d'une occasion manquée parce que les industriels étaient prêts à lâcher beaucoup. Selon elle, il n'y avait rien dans le projet de loi et c'était un peu décevant parce que les acteurs, industriels, transformateurs, distributeurs, qui n'étaient pas des poulets de l'année, s'attendaient à ce qu'on leur impose des choses. Ils ont négocié des compromis. Ils ont avancé parce qu'ils pensaient être battus bien plus durement. À l'arrivée, il n'y a rien. Alors, forcément, ils respirent, ils rigolent.
C'est surtout chez les agriculteurs que j'ai senti, lors de ces discussions, qu'un espace s'était ouvert, qu'il y avait la possibilité d'aller vers une transformation, vers une autre ambition. Chez tous ceux que j'ai rencontrés, j'ai perçu un doute ; un doute habité à la fois par l'urgence écologique, le sentiment que le lien avec le reste de la société se délitait, qu'il fallait le retisser et que cela supposait des mesures en matière écologique, mais aussi parce qu'ils ne sont plus sûrs que ce modèle économique leur permettra de survivre. Je les ai entendus s'interroger sur le sens de leur métier, sur les moyens de survivre, sur le lien avec la société, des discussions extrêmement riches.
Un certain Jean-Luc, par exemple, m'a dit : « au début, on se dit qu'on bosse pour nourrir les gens et puis, avec les aides, on est tellement humilié. Sans les aides, on n'arrive pas à survivre. C'est affreux, on est dépossédé. Enfin je ne sais pas, vous aussi vous sentez ça, que les aides c'est une humiliation. Non ? » Eh oui ! Et pour lutter contre ça, il faut fixer des prix plancher, des prix garantis.
Selon le président de la MSA, on s'interroge dans les campagnes sur le sens du métier : on est là pour faire quoi ? Beaucoup de ses collègues lui demandent « Est-ce qu'on a vraiment besoin de nous ? Est-ce qu'on sert vraiment à nourrir la population ? » Ce doute mine le monde agricole encore plus sûrement que la pauvreté.
À ces hommes et ces femmes un peu perdus, vous aviez la possibilité de fixer un cap. Le fruit était mûr pour un discours plus vigoureux. Je ne vous demande pas une liste de 117 mesures pour sortir immédiatement du glyphosate, des pesticides et aller vers l'agroécologie mais un discours qui fixe un cap, une direction pour les années à venir, un discours qui serait : « renonçons à la compétition, préférons la protection, abandonnons les cours mondialisés, choisissons des prix régulés pour bâtir un contrat social clair, avec une agriculture qui assure d'abord notre auto-suffisance, dans le souci de sauvegarder l'environnement, d'être attentif au bien-être animal, d'offrir une alimentation saine et de faire vivre dignement les producteurs ».
À la radio toujours, Nicolas Hulot disait ne pas comprendre que nous assistions à la gestation d'une tragédie bien annoncée dans une forme d'indifférence. Quant à nous, nous comprenons trop bien que la présidence de la République, le Gouvernement sont entre les mains de l'oligarchie et que fixer le cap sur l'agro-écologie nuirait aux profits réalisés par les maîtres de l'agro-industrie, des supermarchés, de la chimie surtout, les Bayer, Monsanto, BASF à qui ici-même, dans cet hémicycle, vous avez offert le secret des affaires.
Mais cette indifférence va au-delà et s'ancre dans la société. Selon le psychiatre François Tosquelles, que j'aime beaucoup, « les hommes, les femmes et les enfants cherchent à tout prix une certaine sécurité, même au prix de la méconnaissance, du déni de ce qu'ils savent très bien. On est plus tranquille quand on ne sait pas ». Il évoquait, je crois, la mort, mais cela vaut aussi pour l'écologie, comme si elle contenait notre mort à tous, comme si on préférait ne pas savoir même si on sait.
Il y a, enfin, à l'origine de cette indifférence un profond sentiment d'impuissance : qu'y peut-on nous, petit homme, petit député, petit ministre aussi peut-être ? Que peut-on face à l'ampleur de la question écologique ? On voit très bien que c'est une transformation massive qui serait nécessaire. Par où commencer ? Qu'il s'agisse de l'agriculture, mais aussi des transports, de l'énergie de l'industrie, la tâche qui est devant nous apparaît prométhéenne.
Le rôle du politique est d'affirmer que c'est possible, de soulever les montagnes de découragement, en nous et dans la société. C'est possible, c'est encore possible ; c'est possible aujourd'hui et ce sera possible demain.