Monsieur le ministre, je mesure la difficulté de votre position, tant le Gouvernement fait preuve d'hypocrisie. Vous vous agitez dans le cadre du travail incontestablement très important qui a été engagé, alors que de l'autre main, vous signez le CETA – accord économique et commercial global – et refusez que notre assemblée délibère à ce sujet, tout en négociant parallèlement l'accord entre l'Union européenne et le MERCOSUR, qui devrait se traduire par des importations massives de boeuf, et qu'à Bruxelles, vous avez déjà calé face à la réduction du budget de la PAC. En vérité, comme la France, que vous représentez, a abandonné à Bruxelles son pouvoir, son autonomie, son indépendance, vous êtes condamné à vous agiter sur la scène nationale, avec un projet de loi qui ne constitue rien d'autre qu'une dissimulation. Vous placez nos agriculteurs – vous n'êtes d'ailleurs pas le premier – dans un piège absolument infernal. D'un côté, vous tenez un discours en direction de la population française dans lequel vous manifestez des exigences correspondant aux demandes de la société, notamment environnementales. De l'autre côté, vous entretenez une concurrence déloyale permanente, en particulier sanitaire et sociale, pour permettre, comme l'a très bien dit M. Chassaigne, l'exportation de services financiers ou d'automobiles allemandes.
La réalité est là. Mais à force, cela se voit, car nos agriculteurs ne peuvent plus vivre de leur travail. Y a-t-il une seule autre profession en France où le prix de vente soit inférieur au coût de production ? Y a-t-il une seule autre profession où l'on enregistre un suicide tous les deux ou trois jours, selon des statistiques qui sont d'ailleurs souvent dissimulées ? Comment peut-on accepter cela dans cet hémicycle ? Ce projet de loi est un pansement, mais qui ne tiendra pas. On nous rebat les oreilles de la contractualisation pour dissimuler l'imposture de l'abandon des prix garantis et des quotas, qui étaient la seule solution pour préserver une agriculture qui avait fait ses preuves. Je ne demande pas l'impossible : il ne s'agit pas d'instituer une économie administrée, mais d'appliquer la PAC telle que la France l'avait voulue – à l'époque, nous avions un chef d'État qui avait osé employer la politique de la chaise vide pour obtenir un système protecteur. Or ses successeurs ont abandonné.
Vous savez très bien que notre agriculture ne pourra pas survivre dans ce contexte de concurrence déloyale. Nos exploitations ferment. Nul n'ignore que nous serons de plus en plus importateurs de certains produits. La question est simple : voulons-nous ou non ce grand déménagement du territoire ? Faudra-t-il, pour survivre, des fermes de 1 000 vaches, dont on connaît les conséquences sanitaires et environnementales ? Vous savez très bien que le modèle que vous imposez à notre pays est intenable.
Voilà pourquoi je demande soit une renégociation de la PAC, ce qui sera difficile sans ouvrir une crise profonde à Bruxelles, soit la renationalisation de notre politique agricole, car contrairement à ce que vous dites et à ce que disent les syndicats agricoles, nous dépensons 9 milliards d'euros nets pour une organisation qui tue nos emplois agricoles et industriels. Utilisons ces 9 milliards d'euros pour garantir à nos agriculteurs une compensation des prix mondiaux, comme le font d'autres pays comme les États-Unis ou le Canada. Le modèle actuel que vous défendez – que vous faites semblant de défendre – est absolument intenable.
Mon second point a trait à la réconciliation des producteurs et des consommateurs. Vous avez rejeté tous les amendements visant à prendre en compte la souffrance et le bien-être des animaux. Si on ne comprend pas le changement de société actuellement à l'oeuvre, ce sont les producteurs qui finiront par payer très cher le refus des consommateurs français – positif – de manger n'importe quoi, de participer à la souffrance animale et de ne pas savoir ce qu'il y a dans leur assiette. Voilà pourquoi je défends l'inscription de la provenance des produits sur les étiquettes. Il est inadmissible que dans notre pays, nous consommions des viandes non étourdies : vous le savez, aujourd'hui, les abattoirs mélangent des viandes halal et non halal. Il est inadmissible de parler du bien-être animal et de ne pas négocier avec les autorités religieuses une vraie dissociation des filières, reposant au moins sur une information, puis, à terme, sur une interdiction de l'absence d'étourdissement. Comment parler du bien-être animal si on ne règle pas ce problème ? De même, pourquoi ne pas laisser des caméras dans les abattoirs ? Pourquoi ne pas céder à des demandes légitimes des consommateurs ? Si nous n'y cédons pas, nos agriculteurs et nos producteurs, qui, eux, aiment la terre et respectent l'environnement, seront les premières victimes.
Voilà pourquoi il est très mauvais de céder à l'industrie agroalimentaire, qui est en train de détruire notre modèle paysan et de fâcher les consommateurs français avec leurs producteurs. Tant que nous ne réglerons pas la question à Bruxelles, notre agriculture crèvera dans un désastre environnemental.