Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du vendredi 14 septembre 2018 à 15h00
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Article 11 undecies

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Il a proposé un amendement, dont l'objectif est de compléter l'alinéa 7, qui deviendrait : « promouvoir l'indépendance alimentaire de la France« – c'est un concept parfaitement clair, encore qu'on pourrait le reprendre, mais il n'est nul besoin de travailler pendant des années, comme vous nous suggérez de le faire – « à l'international, en préservant son modèle agricole ainsi que la qualité et la sécurité de son alimentation, en privilégiant notamment le développement des petites fermes et en interdisant les fermes-usines ».

Si j'ai bien compris, c'est l'interdiction des fermes-usines qui déclenche votre ire. Vous estimez que c'est trop facile. Mais pas du tout ! Nous savons très bien que la conséquence en serait complexe : il s'agirait d'un autre modèle agricole. Et nous sommes prêts à discuter avec tout le monde de cet autre modèle agricole. Je me permets d'ailleurs d'appeler votre attention sur le travail que nous avons déjà réalisé nous-mêmes, à savoir le plan que nous avons présenté pour un autre modèle d'agriculture. De nombreuses personnes y ont travaillé, partout en France. Référez-vous aux propositions du syndicalisme paysan, notamment de la Confédération paysanne, et vous verrez qu'il ne s'agit pas de sauter dans le vide.

Vous dites que c'est de la gesticulation, que l'on veut se faire mousser. Non, il s'agit d'affirmer une opinion et de formuler des propositions ! Que voulez-vous que nous fassions d'autre dans un hémicycle ? Nous ne sommes pas dans un conseil d'administration ! C'est une réunion non pas de techniciens, mais de politiques, madame Pompili !

Autrefois, vous avez été écologiste au sein d'une organisation politique qui essayait précisément de faire le lien entre les questions techniques et les idées politiques générales. Il me semble que vous l'avez oublié lorsque vous nous avez dit que l'on pourrait aussi bien rédiger un amendement sur la paix. Eh bien oui, allez-y, rédigez-le et nous le voterons ! Car nous aimerions effectivement pouvoir dire aujourd'hui que, face à la menace de guerre, les parlementaires réaffirment que la paix est nécessaire. Ce sont des choses évidentes, que nous avons le droit de discuter politiquement, sans que l'on nous saute à la gorge de cette manière.

Sur ce sujet, monsieur le ministre, j'admets qu'il puisse y avoir entre nous des différences non seulement économiques – on les comprend – , mais aussi philosophiques. À vous entendre, l'adoption de l'amendement mettrait en danger la stabilité d'un modèle, amorcer ainsi une telle transition ne serait pas sérieux et je vous entends prononcer une phrase que je trouve magnifique : « Nous voudrions voir dans notre modèle agricole l'émergence de la petite ferme familiale. »

Vraiment ? Nous avons passé quarante ans à faire le contraire, c'est-à-dire à affirmer que le modèle de la petite ferme familiale était dépassé et qu'il fallait en adopter un autre. Souvent, nous en avons convaincu les paysans qui, au prix d'un effort considérable, que j'ai encore rappelé hier, ont réorganisé entièrement non seulement leur production mais leurs moyens de production. Ils ont été captivés par l'idée qu'ils étaient les agents d'une transformation économique.

À présent, nous nous donnerions pour but de revenir au modèle qui prévalait autrefois, sans nous demander pourquoi nous en avions défendu un autre pendant quarante ans ?

Notre confrontation met en évidence trois points.

Premièrement, nous ne sommes pas d'accord avec l'argument selon lequel, dès lors qu'il existe une menace sur la pérennité de notre modèle économique, il faudrait attendre, accompagner et reporter la décision à prendre. Nous voulons au contraire que celle-ci soit prise tout de suite.

Deuxièmement, la vie ne peut pas être faite de contrats entre parties prenantes. En toute circonstance, il y a un tiers. Entre l'agriculteur et le consommateur, par exemple, ou entre l'agriculteur et le distributeur, il existe une autre partie : c'est la société tout entière, qui a le droit d'affirmer des principes, particulièrement sur ce sujet.

Troisièmement, sans revenir sur l'incroyable changement de modèle économique que cela représente, nous affirmons que nous ne voulons plus considérer le vivant comme une chose ou comme un matériau. M. Ruffin l'a très bien dit, il y a un instant : nous ne voulons plus qu'un cochon soit considéré comme un entre-deux avant de devenir une boîte de saucisses. Nous refusons cette façon de voir. Entendez-le. Ne nous le reprochez pas. Vous pouvez nous mettre en minorité. C'est d'ailleurs ce que vous allez faire. Mais nous portons une autre vision du monde et du rapport au vivant.

J'ajoute, madame Pompili, que vous auriez pu donner raison à M. Ruffin quand celui-ci a plaidé pour l'autonomie alimentaire de notre pays. Cet objectif que nous pourrions atteindre grâce à nos propres productions va au rebours des accords commerciaux qui se concluent actuellement entre l'Union européenne et le Japon – le JEFTA – , entre l'Union européenne et le Canada – le CETA – ou encore entre la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Comment peut-on affirmer qu'on veut développer un modèle dans lequel la petite exploitation serait la norme et accepter l'idée qu'arrivent dans notre pays des millions d'hectolitres de lait et des tonnes de viande dont nous n'avons aucun besoin, puisque nous savons les produire ?

Vous passez sur cette contradiction qui cependant vous concerne de près. Vous appartenez en effet à la majorité qui a soutenu l'idée qu'un traité comme le JEFTA ne devait pas venir en débat devant l'Assemblée nationale. Eh oui ! C'est le Gouvernement que vous soutenez – c'est votre droit – qui en a décidé ainsi. Voilà pourquoi, dans cette affaire, il faut qu'on se comprenne.

Oui, nous sommes pour le développement des petites fermes et l'interdiction des fermes-usines. Et qu'on ne prétende pas qu'on ignore ce qu'est une petite ou une moyenne entreprise ! Nous ne voulons pas qu'on réduise le vivant à cette condition de marchandise extrême au nom de laquelle on utilise non seulement la chair et le lait, mais même les gaz des animaux pour produire du méthane. Telle est notre vision du rapport au vivant.

Vous vous trompez, collègues. Je connais l'attachement personnel du rapporteur à ces questions. Celles-ci ont trait à son métier. C'est pourquoi il possède un ressenti particulier. Vous vous trompez quand vous dites que l'avenir est dans la mise en commun intelligente des moyens de production des agriculteurs. Vous le savez : ceux-ci sont tellement à l'écoute que, quand on leur présente une évolution comme la modernité, ils tiennent à montrer qu'ils sont capables de la mettre en oeuvre.

Mais la société peut aussi leur envoyer un message inverse. Elle peut leur garantir les moyens de vivre – à cet égard, monsieur le rapporteur, je vous donnerai toujours raison, car c'est la première garantie à offrir – en traitant le vivant autrement, sans passer par des formes d'exploitation aussi extrêmes que celles que nous constatons.

Je sais que vous êtes comme moi, monsieur le rapporteur. Je ne vois pas pourquoi vous seriez d'une nature différente de celle de tous mes camarades. Vous ne supportez pas de voir des centaines de bêtes entassées, hors sol, attachées, sans aucun rapport avec le monde extérieur, parfois sans lumière. On le sait : il arrive que la chair de certains cochons soit contaminée parce que la seule occupation de ces animaux est de lécher les barreaux en zinc qui les enferment. Comme nous, je le sais, vous n'êtes pas d'accord avec ce modèle.

Vous vous interrogez sur le moyen de le changer. Nous vous en proposons un : interdire de telles pratiques. Quant au reste – à l'ensemble de la chaîne et à la manière de la rétribuer – , nous avons déposé d'autres amendements et vous nous entendrez encore sur ces sujets.

C'est pourquoi, chers collègues, quel que soit votre vote, ne repoussez pas mentalement les propos qu'a tenus M. Ruffin, après bien d'autres. Un jour viendra où tout le monde sera de son avis dans notre hémicycle, où tout le monde mettra son point d'honneur à lever la main pour adopter des amendements de cette nature, où tout le monde remerciera la Confédération paysanne de nous avoir alertés. Car ce sont ses représentants qui sont allés se battre et ce sont eux qui se sont vu infliger des amendes et des peines d'emprisonnement.

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