Je voudrais vous parler d'une sociologue, Annie Thébaud-Mony. D'après elle, dans notre système, on donne à des entreprises de véritables permis de tuer. C'est ce qui s'est passé avec l'amiante : tout le monde connaissait depuis de nombreuses années les dangers de l'amiante – jusqu'à 100 000 morts d'ici à 2050, selon les estimations – et pourtant nous avons continué de l'utiliser. C'est ce qui s'est passé avec le chlordécone : tout le monde en connaissait les dangers, et pourtant nous avons continué de l'utiliser. Les similitudes avec le glyphosate sont d'ailleurs frappantes, puisque quand il a finalement été question de l'interdire, on a donné un délai de trois ans, parce que les producteurs de bananes prétendaient qu'ils ne pouvaient pas faire autrement que d'utiliser ce produit et qu'il n'y avait pas d'alternative... Aujourd'hui, le chlordécone a contaminé des sols pour 700 ans, les Antillais ne peuvent avoir de cultures vivrières puisque tout ce qui est cultivé est empoisonné, et les Antilles ont le plus fort taux de cancer de la prostate au monde.
Il en va de même, encore une fois, avec le glyphosate. Tout le monde sait que ce produit est classé comme cancérogène probable par l'OMS, et que tous les Français sont concernés, sont empoisonnés, puisque les tests réalisés par les ONG montrent que 100 % des urines sont contaminés. Tout le monde sait aussi que Monsanto a payé des scientifiques pour prétendre que le glyphosate n'était pas dangereux, ou plutôt qu'on ne sait pas bien ce qu'il en est.
Tout le monde sait aussi que le glyphosate n'est pas utilisé seul mais associé à d'autres composés qui renforcent son action, menant à des « effets cocktail » dont les conséquences sur la santé seraient de dix à mille fois plus fortes. Tout le monde sait que les agriculteurs sont les premières victimes de ce système : on estime qu'un agriculteur sur cinq souffre de troubles de santé directement liés à l'utilisation des pesticides. Tout le monde sait enfin la crise que traverse la biodiversité, puisque l'on parle de la sixième extinction de masse des espèces. En trente ans, François Ruffin l'a dit, 30 % des oiseaux des milieux agricoles ont disparu.
Bien sûr, ce sont tous les pesticides qui posent question, mais le glyphosate est aujourd'hui le symbole d'un système agricole à bout de souffle. C'est pourquoi nous demandons que son interdiction soit inscrite dans la loi. Monsieur le ministre, allez-vous continuer de donner à Monsanto et à Bayer des permis de tuer, ou bien allons-nous inscrire l'interdiction du glyphosate dans la loi pour aborder enfin la transition agricole dont nous avons toutes et tous tant besoin, et en premier lieu, parmi nous, les agriculteurs ? Allons-nous cesser d'assombrir notre avenir ?