Au lancement des états généraux de l'alimentation, je pensais voter, je l'ai déjà dit, ce projet de loi. Je pensais que nous parviendrions à un texte votable. À l'arrivée, il ne contient pas grand-chose – presque rien. Sur les prix, rien ne garantit que les agriculteurs seront mieux payés. Et dans le titre II, cela part dans toutes les sens. Je vais donc laisser tomber cette approche.
Pour ma dernière intervention sur ce texte, je pose la question suivante : quelle est la perspective de notre agriculture ? Que voulons-nous comme agriculture pour demain ?
J'ai fait une rencontre dans la Somme, qui compte peu de surfaces cultivées en biologique – nous ne sommes pas des champions en la matière. J'ai donc rencontré Nicolas Tirard, près de l'usine Bonduelle dans laquelle mon père a bossé presque toute sa carrière.
Il m'a expliqué comment il avait repris la ferme de son père et comment, après une grave maladie, qui je pense a compté dans son parcours, il avait décidé de convertir ses premiers hectares en bio. Son objectif était de produire de façon saine des légumes pour les gens. Il disait qu'il se voyait mal traiter un truc, l'arroser de pesticides et le vendre trois jours après.
Un détail m'a marqué lors de cette rencontre : c'était l'hiver, et alors que nous nous rendions sous une des serres, il m'a montré ses rangs de salade. Nous étions accompagnés de Maxime, de Fermes d'avenir, qui lui a demandé avec quoi il plantait ses salades. Nicolas lui a dit qu'il les plantait au couteau. Maxime lui a répondu qu'il plantait les siennes avec une perçeuse électrique, qui coûte environ 700 euros et qui va vingt à quarante fois plus vite.
C'est un petit détail, mais cet agriculteur, installé depuis des années et des années, ignorait qu'il pouvait se servir d'une perçeuse et gagner autant de temps. Cela me paraît un symbole : celui d'un vide. Il est incroyable qu'il n'y ait pas eu depuis une dizaine d'années quelqu'un pour passer dans son exploitation, pour le conseiller et pour chercher avec lui de petites solutions simples.
Dix hectares par dix hectares, il est en train de passer la totalité de son exploitation en bio et il m'a expliqué ce qu'il utilisait. Auparavant, son père bouffait du glyphosate et c'était entre eux le sujet qui fâche. Grâce à cette conversion, il a le bonheur de pouvoir remplir des semoirs de semences sans en prendre plein les narines.
Il m'a également expliqué qu'il remplaçait les produits par des rotations, par exemple en ne cultivant jamais deux céréales consécutivement, mais en alternant céréales et légumes. Il m'a expliqué toutes ses méthodes de production.
S'agissant de l'agriculture biologique, c'est comme si nous étions encore, au moins dans mon coin, au temps des pionniers et des premiers chrétiens. Certes, cette solitude a du charme : celui d'une aventure dont chaque paysan est le héros. Mais si nous voulons, même si ce ne sera pas avec le texte d'aujourd'hui, convertir notre agriculture et nos agriculteurs, il faudra une organisation, une routine, des schémas, des financements qui rassurent les hommes et qui ne nécessitent pas d'être mis en oeuvre par des Superman du bio, par des self-made men de la permaculture ou par des auto-entrepreneurs de la courgette tous habités d'une passion, voire d'un sens du sacrifice.