Intervention de Boris Vallaud

Réunion du jeudi 13 septembre 2018 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Quelques observations préalables : il semble que vous distinguiez l'État stratège de l'État actionnaire. Or ce que révèle ce projet, c'est qu'il n'y a pas de stratégie de l'État actionnaire, sinon celle du désengagement. Deuxième remarque, les privatisations n'ont jamais tenu lieu de politique industrielle. Troisième remarque, qui vaut pour nous tous, même si les responsabilités personnelles n'entrent évidemment pas en ligne de compte, soyons instruits du passé : lorsque je regarde ce qu'il est advenu de la privatisation de la Compagnie générale d'électricité, je suis inquiet. Il s'agissait d'un fleuron industriel français, un conglomérat, à l'égal de Schneider ou de General Electric. Aujourd'hui, il est démantelé et vendu à l'encan, essentiellement à des entreprises étrangères, parce que l'État n'a pas tenu son rôle. De la même manière, tirons les leçons de la privatisation des autoroutes, dont on sait que, sur le long terme, elle a coûté cher aux contribuables français.

Or vous proposez précisément de vendre un monopole rémunérateur. Vous expliquez que la rémunération du fonds pour l'innovation de rupture aura un rendement supérieur au rendement d'ADP de l'année dernière. Mais nous, nous faisons référence au rendement d'ADP dans dix ans ! En cinq ans, entre 2008 et 2013, le cours de l'action ADP a augmenté de 161 %. Selon les projections, il s'agit de passer à 120 millions de passagers d'ici à 2030 et de constituer le premier aéroport européen. Cela signifie que le cours de l'action – donc les dividendes versés à l'État – augmentera dans les années à venir. Pourquoi vous priver de ces recettes ? Avec cette vente, vous défendez mal les intérêts de l'État, et c'est regrettable.

Vous expliquez qu'une partie du produit de la vente de ces actifs ira au remboursement de la dette. Il existe bien d'autres moyens de rembourser la dette, mais lorsque l'on emprunte à des taux bas, voire à des taux négatifs, ce n'est pas de bonne politique économique que de vendre les bijoux de famille. Vous auriez pu, comme nous l'avons fait pour la banque publique d'investissement, doter ce fonds des participations de l'État actuelles. La réalité, c'est que vous débudgétisez – vous ne voulez pas inscrire de crédits budgétaires pour l'innovation.

Par ailleurs, ADP est une infrastructure stratégique. Il n'y a pas de grands aéroports mondiaux où l'État n'ait pas une place. Avec cette privatisation, nous perdons le lien avec la stratégie de l'entreprise. Il sera impossible pour l'État de choisir – on reviendra sur les questions de double caisse – entre les investissements dans les boutiques, le développement à l'international et l'investissement dans les nécessaires infrastructures nationales. Cela se fera au détriment d'Air France, dont c'est le hub. Il a été dit, fort justement, que les aéroports sous gestion privée sont plus chers que les aéroports sous gestion publique.

Voilà les raisons pour lesquelles nous nous opposons à cette proposition qui n'a de sens ni sur le plan politique, ni sur le plan économique, ni au regard de la stratégie d'aménagement du territoire francilien.

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