C'est bien vous qui avez ouvert le capital d'ADP à une grande entreprise privée, d'ailleurs solide dans le domaine aéroportuaire.
Cette stratégie de l'État actionnaire s'articule avec une vraie stratégie industrielle. On peut ne pas être d'accord avec nos choix, mais nous savons où nous voulons aller. Notre stratégie industrielle repose sur trois choix stratégiques.
Le premier, c'est la formation et la qualification car le premier défi industriel français est éducatif. Nous devons former, qualifier, donner des possibilités d'apprentissage à tous les jeunes qui voudraient s'orienter vers l'industrie. Nous devons mener la bataille culturelle pour l'industrie parce qu'il y a aujourd'hui une méconnaissance ou une dévalorisation des métiers industriels qui pénalise l'industrie. C'est une bataille que nous menons avec Muriel Pénicaud et Jean-Michel Blanquer.
Le deuxième choix consiste à restructurer notre industrie dans des filières plus cohérentes. Nous avons commencé à le faire et nous allons le poursuivre.
Le troisième choix, qui est un axe fondamental, c'est l'investissement dans l'innovation. C'est ce qui m'a amené à me battre pour préserver le crédit d'impôt recherche et le sanctuariser, comme l'a annoncé le Premier ministre. C'est ce qui m'amène aujourd'hui à vous présenter le Fonds pour l'innovation de rupture car notre industrie a besoin de ces innovations de rupture pour rester au niveau mondial. C'est ce qui nous amène également à proposer au Premier ministre et au Président de la République une mesure de suramortissement limitée dans le temps pour les PME quand elles se digitalisent ou se robotisent, parce que nous avons pris dans ce domaine un retard qui pénalise terriblement notre secteur industriel. Je rappelle qu'il y a un peu plus de cent robots pour 10 000 salariés en France, contre 184 en Italie et plus de 300 en Allemagne. Il est donc urgent de rattraper ce retard. On peut être en désaccord avec cette stratégie de l'État actionnaire et notre stratégie industrielle, mais on ne peut pas contester que nous savons où nous voulons aller.
Le Fonds pour l'innovation de rupture est essentiel à nos yeux parce que personne ne veut financer ces domaines. Partout ailleurs dans le monde, notamment en Chine et aux États-Unis, le financement public et privé de l'innovation de rupture est massif. Cela a permis par exemple aux États-Unis d'avoir pris une avance, qui est préoccupante pour notre propre secteur spatial, en matière de lanceurs renouvelables, et à la Chine de faire de même en matière d'intelligence artificielle. Nous avons besoin que la puissance publique investisse dans les nouvelles technologies de rupture et prenne ainsi le relais d'investissements privés insuffisants. C'est le sens de ce Fonds pour l'innovation de rupture. Les premiers chantiers qui sont lancés concernent l'intelligence artificielle, mais on peut parfaitement envisager qu'il puisse aussi servir à la recherche, par exemple sur le stockage de l'énergie renouvelable. Personne ne sait si nous maîtriserons cette technologie de rupture dans cinq, dix, ou quinze ou ans, mais nul n'ignore que le premier continent qui y parviendra aura pris en matière de compétitivité industrielle et de compétitivité économique tout court une avance absolument considérable.
Ce fonds a donc été constitué au sein de l'établissement public Bpifrance, structure contrôlée par l'État. Il est, à ce jour, constitué de numéraires issus des cessions effectuées au second semestre de l'année 2017 – ENGIE et Renault –, et à titre temporaire de titres EDF et Thales.
Je réponds immédiatement à la question très précise que vous m'avez posée, monsieurWoerth, sur la contribution des 10 milliards d'euros au désendettement de l'État. Vous le savez mieux que personne, la dette au sens maastrichtien du terme est une dette nette des actifs investis dans des actifs liquides – on retire les actifs liquides de la dette brute. Les liquidités du fonds viendront donc en déduction de la dette au sens maastrichtien du terme. De manière très concrète, elles vont réduire d'autant les besoins de financement de l'État, donc les émissions de dette de l'État. Certes, 0,5 point en moins, c'est modeste, mais c'est nécessaire alors que notre dette atteint pratiquement 100 % de la richesse nationale. S'agissant de l'évolution de cette dette, je rappelle qu'elle était de 64 % en 2007 et qu'après la crise de 2008 elle avait atteint 97 %. Elle va s'infléchir de quelque 5 points sur la durée du quinquennat.
On me dit qu'on pourrait prendre les dividendes d'ADP ou d'autres entreprises publiques pour financer le Fonds. Je reconnais que la question peut se poser, mais j'affirme que le choix que nous avons fait est sans doute le plus protecteur des intérêts de l'État et des Français parce que nous garantissons la stabilité du rendement à 2,5 %, soit 250 millions d'euros chaque année, autrement dit 2,5 milliards d'euros sur dix ans pour le financement de l'innovation de rupture. Je rappelle que le rendement de ces entreprises publiques n'est pas stable, par définition. On cite les 182 millions d'euros de dividendes d'ADP l'année dernière : c'est parce que la conjoncture est favorable. N'oublions pas qu'ils étaient de 25 millions d'euros en 2005. Bien sûr, on peut dire qu'Aéroports de Paris va se développer, que c'est une infrastructure dynamique, qu'elle est bien gérée, ce que je reconnais bien volontiers, mais personne ne peut garantir aux Français que dans cinq ou dix ans, le montant de ses dividendes sera encore de 182 millions d'euros puisqu'il y a dix ans il était de 50 millions d'euros. Or, en matière de financement des innovations de rupture, nous avons besoin de stabilité. Je revendique le choix que nous faisons car c'est celui qui donnera de la lisibilité sur notre politique d'innovation.
D'autres questions parfaitement légitimes ont été posées sur le choix précis qui est fait pour ADP en tant que tel. L'objectif de l'opération est de déléguer sa gestion et ses investissements à un opérateur privé, en estimant que celui-ci pourra faire aussi bien qu'un opérateur public dont ce n'est pas à mon sens la compétence première. En revanche, nous maintiendrons évidemment la régulation des tarifs et le rôle souverain de l'État en matière de contrôle aux frontières, ainsi que le contrôle des personnes. Je rappelle que cette régulation sera renforcée par rapport à ce qui existe aujourd'hui. Le cahier des charges prévu, qui sera signé entre la puissance publique et le futur concessionnaire, prévoit qu'en cas de désaccord sur les tarifs, ceux-ci seront fixés unilatéralement par l'État. Un commissaire du Gouvernement sera chargé de cette régulation et nous conserverons le contrôle sur la nomination des dirigeants opérationnels. C'est l'État qui devra donner son accord en cas de changement du contrôle de la direction d'Aéroports de Paris. Nous contrôlerons tous les contrats qui dépassent la durée de la concession. C'est nous qui donnerons l'autorisation sur toutes les grandes constructions de commerce, parkings et autres ; c'est nous qui garderons le contrôle sur toutes les installations aéroportuaires ; c'est nous qui garderons la possibilité de résilier la concession en cas de faute ou de non-respect du cahier des charges ; c'est nous enfin qui garderons le contrôle sur le niveau d'endettement de la société.
Nous avons tiré toutes les conséquences des approximations ou des erreurs de l'État lorsqu'a été cédée la concession des autoroutes. C'est pour cela que j'ai exigé, depuis des mois, avec le Président de la République et le Premier ministre, un cahier des charges aussi strict qui renforce la régulation de l'État sur ADP par rapport à la situation existante. C'est un point absolument clé sur lequel je veux rassurer les Français. Nous garantissons les intérêts de nos concitoyens, nous renforçons la sécurité dans le contrôle des frontières et des personnes, et l'État conserve à tout moment le contrôle de la régulation d'Aéroports de Paris dans le schéma qui vous est proposé.
Chacun doit avoir à l'esprit qu'il y a une différence majeure entre ADP et les concessions autoroutières. La régulation tarifaire des autoroutes est définie une fois pour toutes lors de la conclusion du contrat. C'est cela qui a permis aux sociétés autoroutières de tirer un immense bénéfice de la privatisation des autoroutes. La régulation tarifaire des aéroports repose, quant à elle, sur un contrat négocié tous les cinq ans avec fixation annuelle de tarifs qui fait qu'il ne peut pas y avoir de sur-rémunération au-delà du coût moyen pondéré du capital.
Le système pour les concessions autoroutières, sur une période qui peut aller de vingt à quarante ans, garantit aux concessions d'autoroutes une évolution tarifaire minimale par rapport à l'inflation, si bien que la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes n'est pas plafonnée. Or depuis 2005, on a connu une forte baisse des taux d'intérêt, accentuée par la crise financière. Les sociétés concessionnaires qui s'étaient fortement endettées pour la concession et pour les investissements ont donc vu leur coût du capital décroître et la rentabilité associée à l'opération exploser. C'est une réalité liée à la situation financière qui n'avait pas été anticipée et qui est due au fait que la régulation tarifaire des autoroutes est définie une fois pour toutes, sans possibilité de correction au regard du niveau des taux d'intérêt ou de l'inflation. Le taux de rendement interne des sociétés concessionnaires autoroutières avait été évalué aux alentours de 6,5 % en 2005, alors qu'il a été en réalité de 9 %. C'est vrai, elles ont fait une belle opération ! Et, sauf à renationaliser l'ensemble des autoroutes, nous ne pouvons rien faire – mais on entre là dans une perspective totalement différente…
Les investissements réalisés sur le périmètre aéronautique ne peuvent avoir à aucun moment un rendement supérieur au coût moyen pondéré du capital, puisque tous les cinq ans, à l'occasion de la conclusion du contrat de régulation économique, l'ensemble des données économiques sont étudiées, examinées par les compagnies aériennes et validées par l'État. Cela me permet de répondre à la critique concernant Air France. La compagnie participe aussi à la définition des tarifs, elle participe au débat. Elle ne sera donc ni plus ni moins pénalisée avant qu'après l'opération : elle continuera exactement comme avant à participer à la définition des tarifs, tous les cinq ans
J'ai parlé du renforcement du rôle et des prérogatives de puissance publique de l'État : c'est essentiel à mes yeux pour le succès de cette opération. Je veux redire aux Français que nous protégeons leurs intérêts. Je rappelle également qu'Air France ne verra pas ses intérêts lésés puisqu'elle continuera, exactement comme avant, à participer aux décisions sur la définition des tarifs tous les cinq ans, dans le cadre du contrat de régulation économique (CRE).
Enfin, M. Woerth m'a demandé si l'État sortirait totalement du capital et s'il peut y avoir un actionnaire indésirable. Je ne me permettrai pas de citer quels sont les actionnaires indésirables, mais je pense que chacun a les mêmes présents à l'esprit. L'État restera-t-il ou non au capital d'ADP ? La question n'est pas tranchée. Nous vous demandons aujourd'hui de voter la possibilité pour l'État de céder en toute ou partie ses actifs pour qu'ADP soit géré et ses investissements décidés par un opérateur privé. Mais rien n'est encore arrêté sur les modalités de cette opération. J'écouterai attentivement vos propos en la matière. J'espère que le débat portera sur ce point, notamment en séance publique.
Au-delà de la régulation, de la fixation des tarifs, des missions d'intérêt général de contrôle des frontières et des personnes, la présence de l'État peut garantir aussi une meilleure surveillance de l'activité du concessionnaire. Reste à savoir à quelle hauteur. Il faudra en discuter. Ce qui est certain, c'est qu'il y a des arbitrages à faire entre la valorisation patrimoniale d'ADP, qui peut amener à céder le maximum d'actifs, et la nécessité de conserver éventuellement un contrôle de l'État encore plus important. En tout état de cause, les dispositions qui seront fixées sur les modalités de cession nous permettront d'éviter des actionnaires indésirables dans Aéroports de Paris. C'est un engagement du Gouvernement.
S'agissant de la Française des jeux, là aussi je suis très attaché à ce que nous conservions la possibilité d'exercer un contrôle fort sur le risque d'addiction. La mise en place d'une autorité spécifiquement chargée de cette action aura précisément vocation à renforcer encore plus la lutte contre cette addiction qui pourrait être une menace à la fois pour les mineurs et pour l'ordre public en matière de fraude et de blanchiment d'argent.
Dans cette stratégie globale, il y a d'un côté les cessions d'actifs que nous vous proposons pour Aéroports de Paris, la Française des jeux et Engie dans le cadre de régulations que je viens de rappeler, et de l'autre la mise en place d'un pôle financier public qui est l'un des plus importants au monde. C'est donc bien une stratégie qui conserve à l'État un rôle dans notre économie et dans son financement mais qui redéfinit de manière globale avec une vision nouvelle la place respective de l'État et de l'entreprise dans la société française.
Tous ces éléments sont de nature à rassurer les Français. Le Gouvernement a un cap stratégique en matière d'État actionnaire, de politique industrielle et de financement de l'économie. Chacun de ces trois points doit être défini par le projet de loi que nous avons l'honneur d'examiner.