Une commission d'enquête a travaillé durant six mois sur le cas d'Alstom, de sorte que tout a été dit, je crois sur ce thème. Mais je voudrais revenir sur trois points.
Premièrement, j'entends dire que l'État, loin d'être un État stratège, ne voit qu'à court terme et brade les fleurons de l'industrie nationale. Un État stratège est pourtant un État qui doit faire des choix et définir ce qui est stratégique – ou non. Car, si tout est stratégique, plus rien ne l'est vraiment. Si nous devions identifier des entreprises ou des secteurs stratégiques, chacun d'entre nous aurait certainement des réponses très différentes, de sorte qu'on arriverait à couvrir tous les secteurs économiques : agriculture, énergie, télécommunications, industrie lourde, industrie pharmaceutique, industrie de défense, industrie de l'armement, industrie automobile, industrie aéronautique, industrie agroalimentaire… Dans tout cela, n'y a-t-il rien qui ne soit pas stratégique ? L'État ne possède pourtant pas des actions dans tous ces secteurs. Le fait qu'un secteur soit comme stratégique n'exige pas que l'État soit actionnaire des entreprises qui y appartiennent.
Deuxièmement, vous laissez entendre que l'actionnariat apporte une garantie de préservation de nos intérêts stratégiques. Ce n'est pas totalement vrai. Le fait d'être actionnaire ne donne pas forcément la maîtrise de quoi que ce soit. D'abord, un actionnaire très minoritaire ne saurait avoir de poids dans les décisions prises sur la marche de l'entreprise. Ensuite, comme l'a démontré David Azéma dans sa publication L'Impossible État actionnaire ?, les intérêts de l'État ne se trouvent pas forcément mieux préservés par le fait qu'il est actionnaire.
Les États-Unis, nos partenaires au sein de l'OTAN, ne considèrent pas du tout qu'il leur faille être actionnaire de leurs entreprises de défense. Les fournisseurs de la défense américaine sont pourtant, sans conteste, des entreprises stratégiques.
Troisièmement, vous invoquez une perte de souveraineté du fait de la privatisation. Comme l'a excellemment démontré notre collègue Saint-Martin, l'État continue cependant de disposer de son pouvoir de régulation, du levier des commandes publiques, des règles et décrets qu'il édicte… autant d'outils de contrôle qui sont, en fait, beaucoup plus puissants que l'actionnariat. Or la privatisation ou la cession de participations ne fait pas renoncer l'État à ces leviers.
Dans le cadre de la privatisation d'un aéroport, il garde ainsi le contrôle de la douane, de la police, des listes de compagnies autorisées ou non à atterrir ou à décoller, mais aussi du contrôle aérien. Dans un secteur stratégique, l'État peut ainsi, sans être actionnaire, avoir des leviers de contrôle qui sont beaucoup plus puissants.