Il y a du vrai dans toutes les interventions que nous venons d'entendre. Elles reflètent moins des postures idéologiques qu'une réflexion collective de philosophie politique sur ce que doit être la place de l'État dans une économie moderne.
Pour moi, la participation de l'État au capital d'une entreprise n'est qu'un moyen, non une fin. Nous fixons trois objectifs à l'intervention de l'État dans l'économie réelle : la régulation, le soutien à l'innovation et la protection. Pour atteindre ces trois objectifs, nous sommes prêts à considérer une éventuelle montée dans le capital des entreprises – permanente ou temporaire – l'obtention d'actions préférentielles… Ces moyens ne sont cependant que la voie empruntée pour atteindre les trois objectifs stratégiques – réguler, innover, protéger.
Qu'est-ce, en outre, qu'un intérêt stratégique ? J'ai rejoint en 2009 la Caisse de dépôt et placement du Québec. Orientée vers des investissements publics de long terme, elle venait de perdre, en 2008, beaucoup d'argent. Parmi les trois investissements qui avaient coûté le plus à la caisse, il y avait un investissement minoritaire dans l'aéroport de Heathrow. Monsieur Vallaud, quand vous soutenez que les dividendes d'un aéroport sont assez stables, je vous engage à vous interroger sur leur pérennité – et sur leur stabilité. Si les choses vont bien aujourd'hui, elles peuvent aller moins bien demain. J'en ai vu un exemple concret.
La Caisse a cependant gardé cet investissement. J'ai pu ainsi constater que le plan d'affaires d'un aéroport repose d'abord sur les revenus, normalement stables et récurrents, tirés des boutiques. Un aéroport, c'est un centre commercial avec des ailes ! Eh bien, à mon sens, le secteur stratégique de l'État n'englobe pas les centres commerciaux avec des ailes… Certes, un aéroport ne se réduit pas à cela. Il y aussi des enjeux de bien commun : la sécurité, la fixation des tarifs, des enjeux environnementaux essentiels, tels que la pollution de l'air ou le bruit. Sur ces sujets-là, il est en effet essentiel que l'État garde une main. C'est bien ce que prévoit ce projet de loi. Il prévoit également que la régulation et l'encadrement des tarifs seront définis dans le cadre d'une négociation entre l'État et le concessionnaire. Si, dans le cadre de cette négociation, l'État veut avoir un impact, que ce soit sur les investissements ou sur la fixation des tarifs, il le pourra.
Quant à Air France, elle est engagée dans une compétition mondiale. Nous souhaitons tous qu'elle l'emporte dans cette bataille difficile, qui met aux prises des compagnies du monde entier. Pour qu'Air France gagne cette compétition mondiale, il faut aussi que son hub soit de classe mondiale. Sans être aujourd'hui dans les premiers de la classe, il se place dans le premier tiers. Il faut que son développement se poursuive ; or les besoins d'investissements sont énormes. Air France ne sera puissante que si son hub est puissant et se développe. La compétition mondiale engagée du côté des compagnies trouve son équivalent dans la compétition engagée entre les aéroports.
Comme élu en Amérique du Nord, il m'arrive de passer pas mal de temps dans les aéroports américains. Je ne pense pas qu'ils soient des exemples d'efficacité, de propreté ou de qualité du service. Certes, ils sont tous publics ; mais ils ne fonctionnent pas très bien. Quand vous consultez le classement des cent premiers aéroports mondiaux, classement établi par les voyageurs, le premier aéroport américain est celui de Cincinnati, à la trente-quatrième place ; celui de Houston est quarante-huitième et celui de San Francisco cinquante-et-unième.
Je pense que notre aéroport national peut faire mieux et que le projet proposé permettra d'y arriver.