Monsieur le président, monsieur le ministre, collègues, le sujet est d'importance. Il est habituellement traité, dans la vie politique française, d'une manière qui n'est pas raisonnable. Soit on parle des entreprises comme d'une réalité totalement abstraite – « les entreprises » par-ci, « les entreprises » par-là. Soit on les maudit et on en fait le lieu de toutes les souffrances, perpétuant au passage l'idée que le travail est une malédiction et, comme dans la Bible, une torture – cette idéologie a encore ses tenants. Soit on y voit le lieu de tous les miracles, où, grâce à l'entrepreneur génial, s'accumulent des richesses qui sont ensuite généreusement reversées aux uns et aux autres – ce qui, naturellement, n'a jamais lieu : elles sont reversées surtout aux uns, et fort pauvrement aux autres.
Tout à l'heure, l'un de nos collègues du groupe La République en marche nous a fait l'honneur de nous présenter une vision de l'entreprise replacée dans le temps. C'est, je crois, une bonne façon de procéder.
Disons-nous bien que la production n'a jamais été autre chose qu'un rapport social. Je le dis parce que, sinon, on finirait par l'oublier. On pourrait croire qu'une entreprise est un en-soi, une sorte de champignon qui surgirait de la culture humaine à tel endroit et répandrait ensuite ses spores selon un mécanisme automatique identique à ceux de la nature. Mais non ! La production a toujours été un rapport social. J'entends par là une manière de s'organiser et de partager le produit de la richesse.
Cette double emprise – comment l'on produit, comment l'on partage – donne le fil directeur de l'histoire, entre le maître et l'esclave, entre le serf et le seigneur féodal, entre le prolétaire et le capitaliste. À cette heure-ci, je vous ferai grâce de toutes ces étapes pour en venir directement à celle que nous vivons.
C'est une vue de l'esprit que de croire que l'entreprise capitaliste est la même aujourd'hui qu'à la fin du XIXe siècle, et ce non seulement parce que les méthodes et les process de production ont changé, mais en raison du fond, c'est-à-dire de la manière dont le rapport social a changé à l'intérieur même du capital. En effet, ce dont il faut faire l'histoire pour comprendre ce qui s'est passé, ce n'est pas seulement les rapports entre le capital et le travail, c'est aussi le capital lui-même.
D'abord, le capitalisme est un système tout à fait extraordinaire dont on oublie souvent le moteur. Vous invoquez fréquemment la hardiesse de l'entrepreneur, de celui qui a inventé, qui a trouvé quelque chose ; mais tout cela, c'est le XIXe siècle ! C'est fini ! Cela ne se passe pas ainsi !