Le principe d'indisponibilité du corps humain illustre mon propos précédent : la loi protège le faible. Bien des personnes dans le besoin seraient prêtes à vendre un organe pour éponger une dette. Tout le monde s'y retrouverait : le receveur et sa famille seraient soulagés ; le donneur, qui aurait vendu un rein, en aurait aussi tiré un bénéfice. Le principe d'indisponibilité met en garde contre l'utilitarisme qui consiste à rechercher le bonheur – ou à réduire la souffrance – du plus grand nombre de personnes. Le principe d'indisponibilité permet de réguler cette logique utilitariste.
Venons-en aux dépistages. Par prélèvement sanguin chez une femme enceinte, on pourrait obtenir des informations concernant l'embryon. Je faisais partie du groupe de travail créé au Conseil d'État pour réfléchir au sujet. Dans le rapport que nous avons remis récemment, nous sommes convenus que l'on ne doit chercher que des mutations qui prédisposent à des maladies graves et irréversibles. Ces conditions de gravité et d'irréversibilité du handicap ou de la maladie doivent être nos repères.
S'agissant du diagnostic préimplantatoire, je pense que l'on pourrait y recourir plus fréquemment en France. Dans la pratique, on y recourt souvent après une grossesse durant laquelle on a découvert une maladie grave ou un handicap chez le foetus. La femme ayant déjà souffert d'une interruption médicale de grossesse, on lui donne accès au diagnostic préimplantatoire. Ce n'était pas l'esprit de la loi. Dès qu'une femme risque de transmettre une maladie grave, elle doit pouvoir accéder au diagnostic préimplantatoire. Il y a des effets collatéraux car on doit détruire des embryons. Néanmoins, le CCNE pense qu'une femme qui est prédisposée au cancer du sein d'origine génétique car porteuse des gènes BRCA1 et BRCA2, par exemple, devrait pouvoir recourir au diagnostic préimplantatoire pour éviter d'exposer ses filles à ce risque et pour mettre ainsi un terme à la malédiction familiale.
Je reviens sur le principe d'indisponibilité du corps humain. Le don du sang repose aussi sur ce principe. On pourrait vendre son sang pour faire face à des difficultés financières, ce qui – au-delà de la question éthique – poserait des problèmes de sécurité parce que les gens pourraient dissimuler des informations sur leurs pratiques sexuelles ou leur hygiène de vie.
Si je suis résolument favorable à ce que l'on maintienne la gratuité du don de sang, je voudrais que soit introduite une dérogation concernant le don de plasma. En tout cas, je livre cette éventualité à votre réflexion. Nous avons de plus en plus besoin de plasma. Or, le don de plasma est particulièrement contraignant. Sans entrer dans les détails, je dirais que c'est plus long et plus compliqué de donner du plasma que du sang. Je ne propose pas de tarification ou de rétribution directe, mais je me demande si l'on ne pourrait pas imaginer des formes de cadeaux qui rendraient ce don de plasma un peu plus attractif : un voyage qui permette au donneur de retrouver des proches éloignés, une journée de congés payés, une déduction fiscale, etc. Il faudrait imaginer des possibilités car, actuellement, nous sommes aux confins de l'hypocrisie : comme nous n'avons pas suffisamment de plasma, nous en achetons à des pays qui en ont en réserve, tout en condamnant leur manquement au principe d'indisponibilité. Cela étant, j'ai conscience qu'il est délicat de toucher à ce principe dans ces circonstances.