Intervention de Pierre le Coz

Réunion du jeudi 6 septembre 2018 à 9h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Pierre le Coz, Professeur de philosophie à la faculté de médecine de Marseille, président du comité de déontologie de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) :

Je saisis l'occasion de rappeler que, dans le domaine de l'éthique, on ne peut jamais prouver qu'on a raison. Nous sommes tous confrontés à une inquiétude, à un malaise ; c'est pourquoi j'ai coutume de dire que l'éthique, c'est la science du malaise. Je ne nie pas que des valeurs soient en conflit, et que ce soit un peu la mort dans l'âme que l'on se résout à les hiérarchiser, jusqu'à parfois en sacrifier une afin d'en concrétiser une autre.

Dans le domaine de l'éthique, les solutions sont toujours quelque peu frustrantes : on est toujours insatisfait, car tout n'est pas possible pour tout le monde en même temps. C'est cela qui est tragique.

Par ailleurs, je suis résolument favorable à ce que des couples, homosexuels ou hétérosexuels, et même des personnes seules, puissent adopter un enfant. Car l'urgence première des intéressés est d'avoir un lien parental, un foyer, etc. Ce n'est toutefois pas la même chose que créer un enfant de toutes pièces et de le livrer à des risques, car si certains enfants parviendront à s'adapter à de nouvelles situations, pour d'autres cela sera dur, voire très dur.

Dans la mesure où, comme je l'ai indiqué, les pères s'investissent beaucoup, les enfants ne manqueront pas d'établir des comparaisons. Et pour un enfant, voir que tel père amène un petit camarade assister à un match de foot, ou va applaudir la fillette à son spectacle de danse – tous ces petits détails du quotidien – risque de réactiver une amertume, une grande tristesse ainsi qu'une colère. C'est une chose à laquelle il faut s'attendre.

De son côté, la science ne peut pas vraiment apporter de réponses à nos questions éthiques. En effet, comment évaluer ce qui est qualitatif ? Comment savoir si un enfant va bien ou non ?

Imaginons deux enfants dont les parents sont deux femmes. Demandons à l'un s'il souffre de l'absence de père ; l'enfant répond que tout va très bien. Posons la même question à l'autre ; il répond qu'il est en colère, qu'il n'a pas de père, que c'est une injustice, qu'il est seul le jour de la fête des pères ; il est furieux. Quel est celui des deux qui se trouve dans le meilleur état de santé psychique ? Nous ne le savons pas. Car celui qui a extériorisé sa colère sera peut-être plus apte que l'autre à se confronter à son contexte de vie : il aura pu le dire et n'aura pas à sauver les apparences afin de ne pas susciter la déception de ses parents.

N'oublions pas que les études sont toujours financées par quelqu'un et que ces sujets impliquent beaucoup d'idéologie ; il est très difficile de trouver des psychologues ou des sociologues n'ayant pas déjà un avis sur la question. Ainsi des conflits d'intérêts se manifestent-ils à l'occasion des études purement scientifiques, biologiques ou physiques ; a fortiori lorsqu'il s'agit de l'humain.

S'agissant de la levée de l'anonymat, j'ai pour ma part toujours été attaché à une vision de la famille comme constituant essentiellement une réalité sociale instituée : le père est celui qui éduque et qui aime, il n'est pas nécessairement le géniteur. Mais, comme vous, je suis troublé de constater cette effervescence mondiale que nous montre la presse, car les gens veulent savoir, par la pratique de tests génétiques, d'où ils viennent et d'où ils sont. On ne pourra pas écarter d'un revers de main cette aspiration de plus en plus largement répandue à connaître son génome ; cela me semble ingérable. Aussi, bon gré mal gré, faudra-t-il peut-être s'y résoudre, étant entendu que nous créerons par-là de nouveaux problèmes.

Il me semble par ailleurs que les enfants issus de la GPA devraient pouvoir être reconnus, car ils n'ont pas décidé de naître et ne sont pour rien dans la situation qui est la leur. D'ailleurs, comme je l'ai déjà dit, la loi protège le plus faible : assurons d'abord l'intérêt de l'enfant et discutons du reste ensuite. Je suis parfois étonné de constater que la société condamne la GPA en la considérant comme immorale, alors que la PMA pour toutes serait morale.

De façon fictive, mettons-nous à la place d'un enfant qui va naître. Il se dit qu'il a le choix entre venir au monde dans un foyer au sein duquel il sera élevé par une femme seule, mais qui l'aura porté, et naître dans un foyer où ses deux parents sont présents, qui plus est sont ses géniteurs, mais après avoir été porté pendant neuf mois par une mère porteuse. Quel est le choix le plus rationnel ? Il me semble que c'est celui où les deux parents sont présents ; cela pour les raisons affectives que j'ai précédemment évoquées.

Ainsi, la moralité ou l'immoralité de la GPA ne dépend que du point de vue que l'on adopte. Du point de vue de l'intérêt de l'enfant, elle peut être moins immorale ; la dichotomie morale ne va donc pas de soi.

S'agissant des organes, la loi dispose que leur répartition est commandée par le principe d'équité. Or on constate que les établissements qui prélèvent ces organes confisquent un rein dans 50 % des cas et ne livrent donc au pot commun qu'un rein sur deux. Je m'étonne de cette pratique, car, dans ces conditions, les critères de priorité fondés sur l'ancienneté sur la liste d'attente et la gravité de la pathologie sont bafoués : un organe est conservé à l'échelon local pour le donner à quelqu'un qui ne relève pas nécessairement d'une situation prioritaire. C'est pourquoi la loi gagnerait à préciser que l'équité doit être appliquée à l'échelle nationale.

Enfin, le Comité consultatif national d'éthique et l'Agence de la biomédecine sont des institutions ayant une histoire, mais qui n'ont pas été beaucoup réformées dans leur composition et leur organisation. Il serait peut-être opportun de s'interroger sur la façon de les mettre plus en accord avec la démocratie sanitaire et la participation des patients. À cet égard, treize ans après sa création, l'Agence de la biomédecine me semble prise dans une certaine routine administrative ; et l'on y voit très peu les patients.

Vous avez rappelé, monsieur le président, que je suis président du comité de déontologie de l'ANSES, qui est plus récente que l'Agence de la biomédecine et me paraît être plus à l'écoute de la société civile. Elle a ainsi mis en place des comités de dialogue au sein desquels les experts interagissent avec des patients ; pourquoi ne pas faire de même à l'Agence de biomédecine ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.