Intervention de Pierre le Coz

Réunion du jeudi 6 septembre 2018 à 9h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Pierre le Coz, Professeur de philosophie à la faculté de médecine de Marseille, président du comité de déontologie de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) :

J'ai déjà indiqué que je ne souhaitais pas priver d'enfant les couples de femmes ; d'ailleurs, si la société n'était pas mise à contribution, le problème n'existerait pas. C'est la demande de mise à disposition de ressources biotechnologiques qui pose un problème au contribuable. Si un couple de femmes trouve un donneur qui accepte d'être connu de l'enfant, je pense que la situation serait acceptable.

Lorsque le père n'est pas le géniteur, l'enfant peut développer une quête d'identité déstabilisante en souhaitant mettre un visage sur son géniteur, celui qui a concouru à 50 % de son patrimoine génétique – autant, donc, que la femme, ce qui n'est pas rien. Dans le schéma de l'insémination artificielle avec donneur (IAD) classique, il y a quand même un père susceptible de remplacer plus ou moins ce géniteur, alors que là, il n'y a pas de père. L'enfant va d'autant plus se focaliser sur ce géniteur qui est son seul père.

C'est un risque que nous encourons, qui ne fait pas l'objet de statistiques, mais dont nous sommes mis au fait par des articles de presse, des jeunes qui s'expriment à travers des associations qui se créent, et en bioéthique, par l'empathie, la capacité à se mettre à la place de l'autre et à imaginer ce que l'on pourrait vivre à sa place.

Vous m'avez également interrogé sur la nécessité d'inciter les couples à dire la vérité à l'enfant. Nous avons réfléchi à cette question dans le cadre du groupe de travail du Conseil d'État et considéré collectivement que cela constituerait une intrusion excessive dans l'intimité des personnes. On ne peut même pas prouver que le dire à l'enfant soit ce qu'il faut faire. Il est très possible que des parents ne disent rien, et que leur enfant n'en sache jamais rien. Pourquoi pas ? Cela peut arriver. Il se peut que ne rien dire soit parfois la meilleure solution, mais il n'est pas possible de le savoir a priori. C'est pourquoi l'incitation à cette révélation ne me paraît pas être une bonne idée.

Vous avez par ailleurs évoqué la prédiction. Il est vrai que l'on parle beaucoup actuellement de tests prédictifs ; le groupe de travail du Conseil d'État n'a pas jugé inconstitutionnel de permettre à des couples de savoir s'ils ne sont pas l'un ou l'autre porteurs de mutations, afin d'éviter à un enfant d'être, par exemple, atteint de mucoviscidose. Cependant, la société ne peut pas contribuer économiquement à la prise en charge de ces tests préconceptionnels, à raison d'un principe de proportionnalité et de justice distributive. Il faut choisir parmi les priorités, et il ne serait pas raisonnable de prendre en charge ces tests.

J'ajoute qu'il pourrait y avoir là un risque d'eugénisme, car on prendrait mille précautions avant de faire un enfant en procédant à des tests génétiques.

Mme Poletti a posé la question de la GPA pratiquée à l'étranger. À cet égard, je veux rappeler que l'une des valeurs fondamentales de l'hôpital est l'hospitalité, qui est inconditionnelle. Lorsque quelqu'un revient de l'étranger, qu'il y a subi une greffe d'organe, qu'il a ainsi transgressé nos règles en ne s'inscrivant pas sur nos listes d'attente et en allant acheter un organe dans un pays sous-développé, que faisons-nous ? Allons-nous lui dire que sa conduite est immorale et que nous ne le prenons pas en charge ? Non.

Le même principe me semble s'appliquer à la GPA : nous avons nos lois et nos règles, mais nous prenons quand même en charge ceux qui reviennent sur notre territoire après les avoir bafouées. Nous le faisons au titre du principe d'hospitalité inconditionnelle.

Je crains par ailleurs que la PMA pour toutes ne constitue un mauvais signal donné à des groupes parfois réactionnaires ou intégristes, qui verraient dans cette dérégulation une perte des repères, une pathologie, et que nous ne clivions davantage la société. Cela risquerait d'achever de convaincre certains individus que notre société est en déclin voire en décadence, ce qui ferait le jeu des mouvements extrémistes et réactionnaires. C'est la raison pour laquelle je plaide en faveur d'un humanisme libéral régulé ; il s'agit presque là d'une réflexion de stratégie politique.

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