Intervention de Philippe Laville

Réunion du jeudi 13 septembre 2018 à 10h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Philippe Laville, membre du comité central de la Ligue des droits de l'homme et coresponsable du groupe de travail Santé-bioéthique :

Je traiterai de deux thèmes abordés au cours des États généraux de la bioéthique, et pour commencer de la protection des données personnelles de santé.

L'exigence du consentement, qui va de soi, a été réaffirmée dans le règlement général sur la protection des données européen récemment entré en vigueur, mais des éléments nouveaux peuvent provenir de dispositifs liés à la bioéthique. Il en est ainsi des données génétiques ou des greffes et dons, et des données génétiques recueillies à l'occasion de tests effectués à la demande des personnes, notamment pour la recherche de potentielles maladies à caractère génétique si un traitement est possible. Cela fait partie des questions en suspens dans l'évolution possible de la loi relative à la bioéthique. Le consentement doit s'appliquer en ces cas comme pour l'ensemble des possibilités de collecte et de conservation de données personnelles, en interdisant toutes demandes à finalité commerciale – faites par les assureurs et les banquiers par exemple – et aussi toutes demandes des employeurs ; il en va de l'application des grands principes rappelés par Françoise Dumont.

La Ligue considère que, comme le souligne le CCNE, il serait nécessaire de renforcer les droits d'accès, de rectification et de refus de communication des données personnelles à des tiers pour l'ensemble de des données de santé. C'est d'autant plus important que la France, s'étant dotée du système national d'information interrégimes d'assurance maladie (SNIIRAM), est le pays qui a sans doute l'une des plus grandes banques de données personnelles de santé, et que le développement de l'open data permet de plus en plus un accès libre à des données non identifiables ou, plus exactement, désidentifiées. Cela suppose une vigilance permanente pour éviter les risques de réidentification par croisements.

Un mot, aussi, du dossier médical partagé (DMP). Le projet est ancien puisque les premiers éléments de réflexion sont apparus en 1995 avant d'être précisés par la loi Douste-Blazy de 2004, qui n'a jamais abouti sous la forme du dossier public, vérifiable et contrôlable prévu au départ. En revanche, des dossiers médicaux informatisés ont été proposés par de multiples sociétés commerciales, si bien que des données personnelles peuvent désormais être partagées entre professionnels de santé sans que soit garantie l'absence de risques de croisements pouvant donner lieu à une réidentification, sans que le patient, même s'il a donné un accord initial, ait nécessairement donné son consentement à ce partage et sans qu'il sache rien de la conservation de ses données personnelles de santé. Le DMP peut être une protection pour le patient et un élément très utile pour les soins, mais il est nécessaire qu'à tous les niveaux les droit d'accès, de rectification et de refus de communication des données personnelles à des tiers soient possibles pour tous. Les inégalités sociales ne doivent pas avoir pour conséquence que certains n'aient pas ces droits.

La vérification de l'identité des personnes lors des soins doit être plus attentive que jamais car le traitement et le partage des données de santé recueillies sous forme numérique multiplient les risques d'erreurs d'attribution, notamment au sein des groupements hospitaliers de territoire. Et je me dois de souligner à nouveau le risque de dérives dans l'utilisation des données personnelles de santé – à des fins autres que celles du soin – dans la mesure où l'usage en est parfois incontrôlé, et au minimum moins contrôlé, lors des hospitalisations dans les établissements privés commerciaux.

La Ligue se préoccupe enfin d'un risque qui a d'ailleurs entraîné l'annulation d'un arrêté ministériel relatif à l'apnée du sommeil par le Conseil d'État en 2016 : le risque d'obligation d'observance, passant parfois par des tiers commerciaux. Une extrême vigilance s'impose au sujet des mesures de ce type et des conséquences qu'elles peuvent induire dans la réduction de la prise en charge des soins par le système de protection sociale. La même vigilance doit être de mise pour empêcher l'accès de l'employeur aux données personnelles de santé.

Je dirai aussi quelques mots du thème « Environnement et santé », une des dimensions nouvelles introduites par le CCNE lors des États généraux de la bioéthique. La Ligue attache une grande importance à une approche globale des questions environnementales par le biais des déterminants environnementaux de la santé tels que définis par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis plusieurs années. L'OMS intègre les considérants environnementaux simples relatifs à l'air, à l'eau et aux pollutions, mais elle considère que doivent aussi être prises en considération les conditions d'habitat, d'éducation, de revenus, de vie et de travail, tous éléments qui contribuent à des inégalités de santé assez importantes.

Enfin, on déplorera que le débat n'ait pas été plus fourni. De manière générale, ces questions demandent qu'un débat public soit organisé avec des supports médiatiques, ce qui a manqué lors des États généraux. Nous faisons face à l'explosion du nombre de cas de maladies chroniques : dix millions de personnes sont concernées en France – et encore s'agit-il uniquement du nombre de malades comptabilisés comme souffrant d'une affection de longue durée ouvrant un droit théorique à la prise en charge à cent pour cent, si bien que l'on peut considérer que le nombre de cas de maladies chroniques est plus important. Les travaux de recherche mettent de plus en plus en évidence que, pour une large part, les maladies chroniques relèvent de déterminants qui pourraient être maîtrisés : on parle beaucoup des molécules toxiques d'origine industrielle et des perturbateurs endocriniens mais d'autres éléments existent dont il faut se préoccuper. Ainsi, des études récentes classent la France parmi les pays où se manifeste le plus fort taux d'accroissement de cancers hormono-dépendants, particulièrement les cancers du sein et de la prostate. Cette augmentation n'est pas sans rapport avec l'utilisation de produits toxiques dans les traitements agricoles. On évoquera évidemment le chlordécone mais aussi de nombreux autres produits chimiques expérimentés aux Antilles, en particulier en Martinique, depuis plus de vingt-cinq ans.

La population devrait être mieux informée sur toutes ces questions, et les chercheurs devraient être encouragés à mieux cerner le rôle de certains produits chimiques dans la crise sanitaire liée à ces problèmes environnementaux, crise qui s'aggrave malheureusement à l'échelle mondiale. En France en particulier, la prévention à caractère social devrait être renforcée plutôt que de se limiter, comme on l'a longtemps fait, à une prévention à caractère individuel. Les choses évoluent avec la stratégie nationale de santé, mais l'approche a très longtemps été de type comportementaliste, l'accent étant davantage mis sur le comportement des individus que sur leur environnement.

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