Je vous remercie, madame, pour cet exposé très clair. Vous ne siégiez pas au CCNE quand ont été élaborées les premières lois de bioéthique, mais vous avez sûrement pris connaissance de la transcription des débats de l'époque ; pouvez-vous relater comment a été perçue la nécessité de développer des lois garantissant qu'au moins dans notre pays il n'y aurait pas de transgressions ? Le CCNE a été créé en 1983 et les premières lois de bioéthique ont été votées onze ans plus tard seulement. Certains professionnels étaient réticents à l'idée de légiférer sur ces questions ; ils préféraient garder une certaine latitude d'actions ; d'autres, comme moi, ont au contraire souligné dès les années 1980 la nécessité d'un encadrement légal pour éviter certains risques.
Vous avez plusieurs fois évoqué les principes. Nous serons tous d'accord pour dire que ces principes peuvent être utiles, mais qu'ils sont moins importants que les valeurs. Il faut d'ailleurs distinguer les principes internationaux et constitutionnels, qui ont une force particulière, des principes nationaux qui sont, eux, sujets à révision. Les deux principes qui ont sous-tendu les premières lois étaient l'anonymat et la gratuité du don. Ils semblaient de bon sens, mais l'évolution a fait que l'un et l'autre sont en partie bafoués. Il faut dire que le véritable objectif de l'anonymat, en matière de procréation, était en réalité de dissimuler la stérilité du père légal. Malheureusement, on s'est rendu compte que l'anonymat du don de sperme a été à l'origine d'énormes frustrations chez les enfants nés avec le concours d'un tiers donneur, ce qui nous oblige à reconsidérer la question afin de rendre possible l'accès aux origines pour tous ceux qui sont nés au terme d'une AMP avec tiers donneur.
Pour les transplantations d'organes, l'anonymat n'existe pas pour le donneur vivant : donneur et receveur se connaissent, et contrairement aux craintes qui avaient été exprimées, l'absence d'anonymat n'a généré ni trafic ni rémunération illicite.
Le principe de la gratuité du don est largement transgressé. Certes, le don de sang est gratuit en France, et les transfusions ont lieu dans notre pays grâce à des donneurs qui reçoivent une compensation mais qui ne sont pas payés ; mais tous les dérivés sanguins –immunoglobuline, plasma… – que nous achetons à l'étranger sont produits par des firmes étrangères qui rétribuent les donneurs. C'est une forme d'hypocrisie.
J'exprimerai sur la question de la filiation un point de vue légèrement différent du vôtre. J'espère pour ma part que, le 21 septembre, la Cour de cassation aura la sagesse d'entendre davantage la CEDH. Je trouve plutôt humiliant que l'on veuille se dresser contre la CEDH qui, à mon sens, a raison de considérer que cela n'a pas de sens de demander à une mère – mère à tous les sens du terme et reconnue comme telle dans le pays où elle a eu un enfant après que ses ovocytes ont été fécondés dans son utérus ou dans celui d'une autre femme, qu'importe – d'abdiquer sa situation de mère reconnue dans tous les autres pays pour, ensuite, adopter son enfant. Il me paraît insensé que, pour pouvoir adopter en France, une mère doive commencer par récuser sa propre maternité. Cette anomalie doit être rapidement corrigée et je ne pense pas qu'il faille s'arc-bouter sur une erreur commise dans le passé. Mieux vaut progresser.
Vous vous élevez contre le fait que l'intérêt de l'enfant conduirait à consacrer une solution illicite, mais il n'est pas illicite pour un couple français d'aller faire une GPA à l'étranger ; ce qui l'est, c'est d'en faire une en France. On ne peut donc dire que l'intérêt de l'enfant est en conflit avec la loi puisque nulle loi française n'interdit à un couple d'aller faire une GPA ailleurs. Ensuite, on considère évidemment l'intérêt de l'enfant, qui est d'avoir deux parents qui l'élèvent, l'aiment et pourvoient à son éducation.
Pour ce qui est de l'extension de l'AMP, il est important que les règles soient identiques pour les enfants nés de couples homosexuels et de couples hétérosexuels. L'avis du Conseil d'État, qui propose un système différent pour ces deux situations, pourrait générer à l'avenir des frustrations chez certains enfants ; il serait préférable d'instituer un système identique pour tous les enfants, qui ne sont pas responsables des conditions de leur procréation et qui doivent avoir la plénitude de leurs droits. Quelles que soient les conditions dans lesquelles ils ont été conçus et sur lesquelles on peut avoir des avis différents, les enfants n'ont pas à en porter la responsabilité.
Enfin, vous avez, à raison, mentionné plusieurs fois les différences entre la France et l'étranger. C'est un sujet de préoccupation réel de constater que, dans presque tous les domaines couverts par la loi de bioéthique, des Français se rendent à l'étranger : pour des tests génétiques, puisqu'en France on n'a pas le droit d'en réaliser hors indication rédigée par un médecin ; pour la procréation ; pour la fin de vie ; pour des transplantations, ce qui est très triste parce qu'elles confortent souvent des trafics d'organes. Ils allaient aussi à l'étranger pour se procurer des lignées de cellules souches. C'est moins le cas maintenant, puisqu'il est enfin possible de développer des lignées de cellules souches embryonnaires mais, jusqu'à une date récente, il était interdit en France de faire de la recherche sur les cellules souches et de développer des lignées – mais tous les chercheurs avaient le droit d'acheter les lignées de cellules souches fabriquées en Suède, en Angleterre ou ailleurs, ce qui était une autre forme d'hypocrisie. J'aimerais connaître votre avis, madame, sur la manière de traiter une disparité aussi considérable entre les règles de bioéthique en vigueur dans des pays européens dont la culture est assez voisine de la nôtre et celles qui valent en France, disparité qui amène de nombreux Français à se rendre à l'étranger faire ce qu'ils ne peuvent faire dans leur pays. Ne vous méprenez pas ; je n'encourage quiconque, en aucune façon, à se rendre à l'étranger pour résoudre les problèmes que nous n'avons pas résolu en France mais, je constate le développement objectif de ce phénomène.