Intervention de Frédérique Dreifuss-Netter

Réunion du jeudi 13 septembre 2018 à 9h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Frédérique Dreifuss-Netter, conseillère à la chambre criminelle de la Cour de cassation :

Nous sommes de la même génération, monsieur le rapporteur, et j'ai suivi comme vous l'évolution des lois de bioéthique depuis le départ, alors que, jeune assistante à la faculté de droit de Strasbourg, j'ai eu la chance d'assister en 1985 au premier colloque « Génétique, procréation et droit ». Il est étonnant de constater que pratiquement aucune des questions qui se posaient à l'époque n'a été résolue.

Vous êtes un peu sévère en disant, comme le font certains auteurs, que l'anonymat du don de gamètes tenait uniquement à dissimuler la stérilité de l'homme. Cette donnée a effectivement été prise en compte, mais l'anonymat du don de sperme n'était d'abord que la déclinaison de l'anonymat général concernant tous les éléments et produits du corps humain, qui tendait à éviter les trafics liés à la non-patrimonialité du corps. Il avait aussi pour fonction de faciliter l'intégration de l'enfant dans sa famille juridique, sa seule famille puisque le donneur n'a jamais été considéré comme un père. Il était prudent de procéder ainsi à l'époque, alors que l'on se lançait dans une nouvelle forme de famille, inexistante jusqu'alors et assez mal vue par une partie de la société. Peut-être pourrait-on raisonner autrement aujourd'hui mais, comme je l'ai dit, la levée de l'anonymat résoudra le problème de certains mais en posera peut-être d'autres, notamment en termes d'intégration dans les familles si quelque chose ne se passe pas bien. Quand on fait un changement, on s'expose à des conséquences que l'on n'avait pas nécessairement envisagées – il en est ainsi pour chaque modification.

Je n'interviens pas devant vous au titre de la Cour de cassation, dont l'assemblée plénière décidera souverainement et collégialement, après délibération, de l'interprétation qu'elle fera de la jurisprudence de la CEDH. Cela étant précisé, je ne pense pas que l'on puisse affirmer de façon certaine, comme vous le faites, que pour la CEDH, il est évident que même la maternité doit être transcrite et la reconnaissance de la maternité établie à l'étranger immédiatement reconnue en droit français – ne serait-ce que parce que, depuis lors, la CEDH a rendu l'arrêt Paradiso, qui concerne l'Italie. Il s'agit d'un enfant conçu par GPA, sans lien biologique ni avec le père d'intention ni avec la mère d'intention ; la CEDH, loin de condamner l'Italie, a au contraire validé le fait que le juge italien n'avait pas reconnu cette filiation. Il faut donc ne pas s'avancer dans un sens ou dans l'autre, et attendre de prendre connaissance de l'interprétation de l'assemblée plénière de la Cour de cassation et voir si elle demande l'avis de la CEDH.

Sur le fait que certaines pratiques sont autorisées ailleurs en Europe et interdites en France, je pense comme vous que la liberté de circulation au sein de l'Union européenne fait que l'interdiction pénalement sanctionnée de recourir à des tests à l'étranger est dépassée et ridicule – en premier lieu parce qu'il ne faut pas maintenir un texte assorti de sanctions pénales quand on n'est pas capable de le faire respecter. En revanche, je ne crois pas que, au motif de l'hypocrisie, terme que vous avez souvent utilisé, on puisse s'aligner systématiquement sur le moins-disant, qu'il s'agisse des autres pays européens ou qu'il s'agisse des transgressions. Je ne suis absolument pas d'accord avec l'idée que le fait qu'une règle soit transgressée devrait systématiquement conduire le législateur à l'abandonner. Mais je reconnais que, comme vous le dites, un véritable problème se pose.

Enfin, je n'ai pas dit qu'il était illicite de se rendre à l'étranger pour recourir à une GPA, puisque ce ne l'est pas. Mais chacun comprendra que si l'on reconnaît en France les conséquences des GPA réalisées à l'étranger en les validant systématiquement, on fragilise la prohibition de la GPA dans notre pays.

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