Intervention de Emmanuel Macron

Séance en hémicycle du lundi 3 juillet 2017 à 15h00
Déclaration de m. le président de la république

Emmanuel Macron, Président de la République :

La France est un pays qui résiste aussi longtemps qu'il est possible de ne pas réformer, un pays qui se cabre quand on lui parle mal, quand on ne lui explique pas, quand on ne le respecte pas, quand on ne parle pas à sa dignité et à son intelligence. Mais c'est un pays qui, face à chacun des défis qui auraient dû l'abattre, s'est profondément transformé, a su trouver en lui-même ce sens de l'histoire de l'humanité qui l'a fait. Tel est aujourd'hui votre défi, notre défi.

Vous passerez, nous passerons sans doute des jours et des nuits sur des sujets qui touchent le quotidien de nos concitoyens et qui auront chacun leur importance. Ce sera néanmoins chaque fois ce cap, cet horizon que nous devrons avoir à l'esprit.

Redonner sa place à l'intelligence française, enfin, c'est comprendre que les Français sont, précisément, assez intelligents pour faire leur chemin tout seuls. Il faudrait désintoxiquer de l'interventionnisme public non pas les Français, mais l'État lui-même. Il faut évidemment protéger les plus faibles, en particulier dans le droit du travail. Il faut bien entendu reconnaître la part essentielle de nos services publics et de tous nos fonctionnaires qui, jour et nuit, sans ménager leur énergie, font justement la force de notre pays. Mais protéger les plus faibles, ce n'est pas les transformer en mineurs incapables, en assistés permanents de l'État, de ses mécanismes de vérification et de contrôle. C'est au contraire leur redonner les moyens de peser efficacement – et seuls – sur leur destin. Tout sera fait pour rendre aux Français cette autonomie qu'on leur a disputée puis confisquée. Redonner sa place à l'intelligence française, c'est permettre à chacun, à chaque territoire, de réussir, de s'engager.

J'en viens à présent au dernier principe de l'action que j'entends mener : construire la paix.

Nous le savons, ce monde dans lequel nous dessinons pour la France un chemin à la fois neuf et fidèle à sa vocation ancienne est un monde dangereux. Notre environnement, y compris notre environnement proche, se caractérise par l'accumulation des menaces. C'est bien l'ombre de la guerre qui, à chaque nouvelle crise, se profile.

La déflagration mondiale n'est plus le spectre que seuls les pessimistes brandissent : elle est pour les réalistes une hypothèse sérieuse. Les affirmations de puissance reviennent ou émergent. Les mouvements terroristes se développent dans de multiples régions, avec des moyens qui augmentent leur capacité de nuisance. Ils sont là, au sein même de nos sociétés. Les guerres régionales atteignent des degrés nouveaux de barbarie. Les alliances d'hier s'effritent, l'ordre multilatéral doute de lui-même, et les régimes autoritaires ou les démocraties illibérales fleurissent. L'espace cybernétique propage et amplifie les instruments de ces guerres du tout contre tous. La dérive du monde impose son rythme erratique, ses excès en tous genres, détruisant l'homme, le déracinant, effaçant sa mémoire, bousculant son imaginaire.

Tel est le monde dans lequel aujourd'hui nous vivons. Il ne s'agit pas de l'appréhender avec un pessimisme défait. Non, cet état nous impose plutôt des devoirs – les plus graves, sans doute, qu'une nation ait à assumer –, en particulier celui de maintenir ouverte partout la voie de la négociation, du dialogue et de la paix face aux entreprises les plus sinistres.

La vocation de la France, sa fidélité à son histoire, est de savoir construire la paix et promouvoir la dignité des personnes. C'est pourquoi, partout, nous devons agir d'abord pour protéger nos intérêts et, au premier chef, notre sécurité. C'est ce qui m'a conduit à réaffirmer notre engagement au Sahel comme au Levant, pour lutter contre le terrorisme et contre tous les fanatismes, dans notre intérêt comme dans celui des peuples concernés. Et je sais l'engagement de nos armées chaque jour depuis tant de mois.

Une telle action ne peut cependant être efficace que si elle s'inscrit dans la durée, si elle vise, donc, à construire les solutions politiques permettant la sortie de crise. Cela suppose de savoir, dans toutes ces régions, parler avec toutes les puissances, y compris celles qui ne partagent pas nos buts ou nos valeurs, afin de trouver une issue et la construire. Je ne vous proposerai pas de nous substituer à d'autres peuples, au prétexte d'imposer ailleurs nos principes ou nos valeurs, car je ne veux pas qu'apparaissent de nouveaux États faillis.

Toujours la France doit respecter, en même temps qu'elle lutte contre le terrorisme et tous les excès, en même temps qu'elle protège sa propre sécurité et ses valeurs, la souveraineté des peuples. Mais partout où les libertés ne sont pas respectées nous oeuvrerons, à travers notre diplomatie et nos actions de développement, afin d'aider les minorités ; nous travaillerons au service des sociétés pour le respect des droits.

Cela suppose un travail exigeant, parfois long et ingrat, qui impose de replacer la France au coeur du dialogue entre les nations. C'est depuis plusieurs semaines ce que je m'emploie à faire, du Mali à l'Ukraine et à la Syrie, en passant par le Golfe, en échangeant en profondeur avec tous les dirigeants du monde. La France doit partout contribuer à bâtir ou rebâtir des équilibres multiples, même si parfois ils demeurent fragiles.

Notre outil militaire, dans ce contexte, revêt une importance majeure. J'ai déjà ordonné une revue stratégique de défense et de sécurité. Avec comme fils directeurs les principes d'indépendance et d'autonomie de décision, nos armées assureront les missions que je leur ai confiées : la dissuasion, clé de voûte de notre sécurité ; la protection de nos concitoyens et de nos intérêts ; l'intervention là où le respect du droit et la stabilité internationale sont menacés. La prévention des crises et leur résolution seront gérées de manière globale, en n'oubliant jamais que seuls la stabilisation et le développement permettent de créer les conditions d'une paix durable. Nos forces armées sont les conditions de cette capacité de dialogue, de cette crédibilité française et de cette capacité, partout, à construire la paix.

Cette indépendance que j'appelle de mes voeux ne veut pas dire pour autant solitude. La France sera fidèle à toutes ses alliances. Les prochaines années seront pour nos armées celles d'un renouvellement stratégique et tactique. Je sais qu'elles y sont prêtes car elles sont aux avant-postes du monde tel qu'il va, avec cette vigilance et cet engagement qui font honneur à notre pays.

Vous le voyez, les menaces n'ont jamais été si grandes, et l'ordre multilatéral est sans doute plus fragilisé qu'il ne l'a jamais été, divisé, bousculé, alors qu'il est plus que jamais nécessaire. Dans les années à venir, le rôle de la France sera de défendre la sécurité, l'égalité face aux excès, les libertés, la planète face au réchauffement climatique, tout ce qui constitue notre bien commun universel et qui aujourd'hui, dans trop d'endroits, est remis en cause.

Touchez du doigt le moment inédit que nous vivons. Nous nous sommes bâtis, depuis le XVIIIe siècle, sur un équilibre que nous pensions de toute éternité, entre des démocraties fondées sur des valeurs libérales, sur nos libertés, une économie de marché qui permettait le progrès des classes moyennes. Tout cela est aujourd'hui profondément bousculé, transformé, menacé. Des régimes autoritaires réussissent dans l'économie de marché, tandis que des démocraties, que nous croyions hier des alliées de toujours, menacent l'ordre international, se mettent à douter de leurs propres règles. Notre vocation, notre rôle aujourd'hui, c'est précisément, plus encore qu'hier, de les rappeler, de les porter, de les faire, de les tenir. Ce sera cela, mon cap, notre cap, et aucun autre.

Ce cours du monde vient en quelque sorte éprouver notre résistance et notre cohérence. C'est, à titre d'exemple, ce que nous vivons avec les grandes crises migratoires qui traversent aujourd'hui l'Afrique, la Méditerranée, et à nouveau l'Europe. Les mois prochains, nous aurons des décisions difficiles à prendre. Nous devons mieux prévenir ces crises, par une politique de sécurité et de développement ambitieuse dans toutes les zones de fragilités et de conflits – nous devons réexpliquer et agir, dans toutes les régions que la guerre, mais aussi le réchauffement climatique déstabilisent –, mais nous devons aussi mieux endiguer ces grandes migrations par une politique de contrôle et de lutte contre les trafics de personnes. Il faut pour cela, de manière coordonnée en Europe, mener une action efficace et humaine qui nous permette d'accueillir les réfugiés politiques courant un risque réel – car ce sont là nos valeurs –, sans les confondre avec les migrants économiques et sans abandonner l'indispensable maîtrise de nos frontières.

Pour réussir à tenir ce cap, nous avons besoin d'une Europe plus forte et refondée. Plus que jamais nous avons besoin de l'Europe ; or, là aussi, plus que jamais, sans doute, elle est affaiblie par les divisions et par le doute qui s'est installé dans notre peuple. Pourtant, l'Europe est chez nous autant que nous sommes en Europe, parce qu'il est impossible de penser notre destinée continentale autrement qu'au travers du projet européen.

L'Europe, c'est nous ; c'est un projet de paix, de liberté, de progrès, qui a été pensé et mis en oeuvre avec courage par des générations qui nous ont précédés et ont vécu la guerre. Et nous voudrions aujourd'hui oublier tout cela, considérer que, face aux divisions, face au Brexit et à tant de soubresauts de l'histoire, la réponse résiderait dans une diminution encore plus grande, dans une forme d'abandon, dans un bégaiement de l'histoire. Négliger l'Europe, s'habituer à la conchier, à en faire le coupable de tous nos maux, c'est trahir ces générations qui nous ont précédés, c'est trahir ce qui fait qu'aujourd'hui, là où nous sommes, nous pouvons librement débattre de l'Europe, pour l'aimer ou pas. Mais négliger l'Europe, s'habituer à n'en faire qu'un objet de négociations techniques, c'est aussi, en quelque sorte, abdiquer notre histoire et diminuer la France. La construction européenne est aujourd'hui également – force est de le constater –, fragilisée par la prolifération bureaucratique, par le scepticisme croissant qui en découle. Je crois fermement à l'Europe, mais je ne trouve pas toujours ce scepticisme injustifié.

C'est pourquoi je vous propose de reprendre de la hauteur, de sortir de la tyrannie des agendas et des calendriers, des méandres de la technique. La décennie qui vient de s'achever a été pour l'Europe une décennie cruelle. Nous avons géré des crises mais nous avons perdu le cap. C'est pourquoi il revient à une génération nouvelle de dirigeants de reprendre l'idée européenne à son origine, qui est politique dans son essence : une association volontaire, réaliste et ambitieuse d'États décidés à faire prévaloir des politiques utiles en matière de circulation des personnes – s'agissant notamment de la jeunesse – et des biens, en matière de sécurité, en matière monétaire et fiscale mais aussi politique et culturelle. Les pays de l'Europe, pour lesquels celle-ci ne se réduit pas au marché mais dessine un espace où une certaine idée de la valeur de l'homme, de l'exigence de justice sociale, est reconnue comme prééminente, doivent se ressaisir d'un projet décisif et s'organiser en conséquence, fût-ce au prix d'un examen sans complaisance de notre fonctionnement actuel.

Nous avons une tâche au quotidien à mener, humblement – je l'ai commencée grâce au mandat du peuple : avoir une Europe qui protège davantage, procéder aux réformes indispensables, porter l'ambition européenne dans de nombreux domaines qui font notre quotidien. Mais cela ne suffira pas. Il revient à la France de prendre l'initiative. Je souhaite le faire dans les prochains mois, par le travail étroit que j'ai d'ores et déjà engagé, en particulier avec la Chancelière d'Allemagne. D'ici à la fin de l'année, sur ces bases, partout en Europe, nous lancerons des conventions démocratiques pour refonder l'Europe, précisément sur ce projet politique premier, sur cette ambition première, qui unit les hommes. Libre à chacun, ensuite, d'y souscrire ou non. Mais le temps n'est plus aux raccommodages.

Il faut reprendre l'Europe à son début, si je puis dire à son origine même, et faire par là revivre le désir d'Europe, en ne laissant pas le monopole du peuple et des idées aux démagogues ou aux extrémistes, en ne faisant pas non plus de l'Europe un syndic de gestion de crise, qui cherche chaque jour à allonger son règlement intérieur parce que les voisins ne se font plus confiance. Nous devons retrouver le souffle premier de l'engagement européen, cette certitude où furent les visionnaires des siècles passés et les pères fondateurs de l'Europe que la plus belle part de nos histoires, de nos cultures s'exprimerait non dans la rivalité, encore moins dans la guerre, mais dans l'union des forces ; non dans l'hégémonie de l'un ou l'autre, mais dans un équilibre respectueux qui nous fera tous et toutes réussir. C'est de cette union que notre temps a besoin, parce que c'est seulement elle qui permettra de relever les défis de la modernité, parce que c'est bien dans cette Europe que nous partageons une vision commune du monde et de l'homme, une vision trempée aux mêmes sources, forgée par les mêmes épreuves de l'histoire.

Ces défis, ce sont la transition écologique, qui refonde le rapport de l'homme et de la nature ; la transition numérique, qui réécrit les règles sociales et nous oblige à réinventer ce droit continental dans lequel, depuis tant de siècles, nous avons voulu que la norme respecte l'homme ; c'est, enfin, le défi de l'humanisme contemporain, face aux dangers du fanatisme, du terrorisme, de la guerre, auquel nous répondrons par une défense plus européenne en cours d'édification, mais aussi par une Europe de la culture et de l'innovation.

4 commentaires :

Le 05/07/2017 à 12:16, Laïc1 a dit :

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" Mais c'est un pays qui, face à chacun des défis qui auraient dû l'abattre, s'est profondément transformé, a su trouver en lui-même ce sens de l'histoire de l'humanité qui l'a fait."

M. veut transformer la France sans la réformer, ça va être difficile.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 05/07/2017 à 12:24, Laïc1 a dit :

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"Redonner sa place à l'intelligence française, enfin, c'est comprendre que les Français sont, précisément, assez intelligents pour faire leur chemin tout seuls."

M. Macron devrait relire Aristote : " « La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et (...) l'homme est par nature un animal politique. Et celui qui est sans cité,..., est ou un être dégradé ou au-dessus de l'humanité."

Ainsi, ce qui distingue l'homme de l'animal est d'être politiquement lié aux autres, c'est-à-dire que l'obliger à faire son chemin tout seul est voué à l'échec, c'est vouloir le ramener au rang de l'animal, et encore les animaux ne vivent que rarement seuls, c'est donc surtout vouloir le dégrader. C'est la pire erreur politique que de vouloir enfermer l'homme dans une solitude destructrice; le couper de la vie de la cité, faire une séparation affreuse entre le pouvoir et le citoyen, c'est vouloir détruire le citoyen.

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Le 05/07/2017 à 13:54, Laïc1 a dit :

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"Vous passerez, nous passerons sans doute des jours et des nuits sur des sujets qui touchent le quotidien de nos concitoyens et qui auront chacun leur importance."

Demandez-leur plutôt directement leur avis, vous gagnerez en temps et en efficacité.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 05/07/2017 à 14:42, Laïc1 a dit :

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" Des régimes autoritaires réussissent dans l'économie de marché"

Ce n'est pas trop difficile : mise en semi esclavage des travailleurs, donc des coûts de production très bas , et donc des prix également très bas défiant toute concurrence, et voilà comment des régimes totalitaires deviennent les fers de lance de l'économie de marché. L’Angleterre du 19ème siècle, la soit-disant patrie des libertés politiques, ne faisait pas autre chose.

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