Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Séance en hémicycle du jeudi 4 octobre 2018 à 9h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 51

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne :

Le désengagement de l'État dans La Française des jeux vient, en effet, porter un mauvais coup à la nécessaire régulation républicaine des jeux d'argent, car il ne prend que de faibles précautions face à l'amplification des conséquences pathologiques de l'addiction au jeu. Qui plus est, l'ouverture du capital de La Française des jeux se soldera par une diminution de 50 % de la participation de l'État, ce qui réduira d'autant les dividendes perçus – 90 millions d'euros par an, actuellement. Encore une fois, vous sacrifiez toute rationalité économique pour satisfaire votre dogmatisme, ce qui condamne l'intérêt général, au bénéfice d'opérateurs privés.

Passons ici sur les impasses intellectuelles inhérentes à la privatisation et qui ne semblent pas vous toucher – la privatisation d'ADP l'atteste – , et revenons sur la santé de nos concitoyens. La France n'a pas de politique bien claire en matière de jeux. Voilà, en substance, comment les magistrats de la Cour des comptes ont résumé leur rapport sur la régulation des jeux d'argent et de hasard, en octobre 2016. Parallèlement, dans des conclusions rendues en juillet 2018 à propos des jeux d'argent sur internet, l'Observatoire des jeux appelle à réfléchir à « la mise en place de stratégies de prévention du jeu problématique plus effectives et efficaces » pour les pratiques dans le champ régulé.

De tels constats obligent à la vigilance et devraient a minima interroger la puissance publique sur sa capacité à agir efficacement contre les dérives du jeu. À notre grand désarroi, il n'en est rien ici. Pire, le Gouvernement table sur le fait qu'un opérateur privé aura le souci de s'inquiéter de la santé des joueurs, quand bien même cette politique préventive viendrait réduire les profits.

Rappelons-nous du précédent du Rapido, jeu retiré de la commercialisation, car jugé trop addictif. Comment aurait agi un opérateur privé en pareille circonstance ? La réponse semble évidente.

En commission, M. le ministre s'est plu à citer Fédor Dostoïevski, oubliant de préciser que Dostoïevski lui-même était un joueur invétéré, dont les innombrables succès littéraires ont été assombris par des dettes de jeu colossales. Le jeu peut conduire à l'isolement et au désarroi le plus absolu. C'est une part de réalité trop souvent occultée dans les débats publics.

Selon la fédération Addiction, la dépendance au jeu, reconnue depuis 2014, doit être considérée au même titre que les autres formes de dépendance en raison de son coût social, proche de celui de l'alcool et des drogues illicites, et de ses importantes répercussions en termes de dommages sociaux, familiaux, économiques et professionnels. La fédération observe que de plus en plus de joueurs problématiques sont accompagnés en centres de soin, d'accompagnement et de prévention en addictologie.

Dès lors, comment ne pas considérer que le désengagement de l'État est une erreur, qui aura de graves conséquences en matière de santé publique ?

C'est pourquoi, en prévision des suites néfastes qui suivront indubitablement cette privatisation, nous demandons la suppression de cet article.

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