… du Président de la République, telle qu'il la conçoit et l'applique à tous les secteurs de l'économie avec les dégâts que l'on sait.
Le premier enjeu de la privatisation est symbolique. Je rappelle que La Française des jeux a été créée pour alimenter un fonds au profit des mutilés de guerre. Puisque vous affectionnez les comparaisons, dans la plupart des grands pays voisins, les loteries nationales sont restées entre les mains des États – pourquoi ferions-nous différemment ? Il ne s'agit plus, heureusement, aujourd'hui d'aider les mutilés de guerre, mais La Française des jeux, à l'instar de ses équivalents dans les pays voisins, conserve une action sociale, qui, en France, est plus particulièrement dirigée vers le sport – 230 millions d'euros sont ainsi alloués au CNDS. Monsieur le ministre, qu'en sera-t-il du soutien au sport lorsque La Française des jeux aura été privatisée ?
L'enjeu est ensuite systémique. Vous connaissez le Mikado, ce jeu dans lequel, en bougeant une pièce, on prend le risque de déstabiliser l'ensemble. Eh bien, c'est ce que vous êtes en train de faire. Le monde des jeux est d'une grande complexité – j'ai pu la mesurer en tant que rapporteur pour avis du projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne. Quelle garantie avez-vous que vous pourrez maintenir le monopole au regard du droit européen ? Un monopole est, par définition, contraire à la liberté d'établissement, à la libre prestation de services, au marché unique, voire au droit européen de la concurrence. Les États peuvent, à titre exceptionnel, maintenir des monopoles. La Commission et la Cour de justice de l'Union européenne ont reconnu que, s'agissant des jeux, les États disposaient d'une marge de manoeuvre, mais pas à n'importe quelle condition. Ils doivent notamment pouvoir justifier de raisons impérieuses d'intérêt général. Or quelles sont ces raisons dès lors que l'État s'est retiré de La Française des jeux ? En commission spéciale, j'avais appelé votre attention sur un arrêt de la Cour de justice du 28 février 2018 qui, me semble-t-il, fragilise votre opération – il laisse à penser que le monopole ne pourra pas perdurer dès lors que l'État se sera retiré de La Française des jeux. Avez-vous vérifié auprès de la Commission européenne, gardienne des traités, que votre opération est conforme au droit européen ? Si ce n'était pas le cas, nous irions au-devant d'une catastrophe : vous aurez cédé à une entreprise un monopole qu'elle ne pourra pas exercer.
À supposer que ce monopole demeure, on peut s'interroger sur ses limites : si le monopole sur les jeux à gratter est incontestable, La Française des jeux pourrait-elle demain installer des machines à sous, dans ses lieux de vente, au risque d'empiéter sur le monopole des casinos et de les déstabiliser ? Je rappelle que le monopole des casinos est lié au fait que ces jeux sont extrêmement dangereux, très addictifs, comme l'a dit Régis Juanico.
L'enjeu est également financier. Comme pour Aéroports de Paris, votre approche est court-termiste. Je cite la professeure Emmanuelle Auriol qui parle d'une opération guidée par le court terme et le besoin de cash ; en conséquence de quoi, les rentes n'iront plus dans la poche du contribuable. Les universitaires et les économistes s'accordent pour critiquer votre logique à courte vue. Les recettes additionnées de la privatisation d'Aéroports de Paris et de La Française des jeux permettront d'éviter que la dette n'atteigne la barre des 100 % du PIB. Je ne vois pas d'autre explication à ces opérations. Mais, ce faisant, l'État se prive des marges de progression que recèle encore La Française des jeux.
Enfin, le dernier enjeu concerne la santé publique – j'adhère entièrement aux propos de Régis Juanico qui a beaucoup travaillé sur ce sujet qu'il faut prendre très au sérieux. Les jeux sont un secteur d'activité à part. Vous ne pouvez pas les considérer comme une activité de service comme une autre, qui peut être livrée au marché. L'Union européenne le reconnaît puisqu'elle permet aux États de réglementer cette activité. Nous craignons que toutes les mesures mises en oeuvre pour lutter contre l'addiction soient remises en cause et que demain, des joueurs qui étaient jusque-là protégés ne le soient plus.
Pour terminer, nous avons besoin d'une autorité unique qui régule tous les jeux, pas seulement certains d'entre eux. Nous attendons de votre part des propositions fortes, pas des demi-mesures, en matière de régulation.
Ces enjeux sont majeurs. Il ne faut pas les sous-estimer. Sans réponse de votre part sur les différents points que j'ai soulevés, nous ne pourrons pas soutenir votre projet de privatiser La Française des jeux.