Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du jeudi 4 octobre 2018 à 9h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 51

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Au-delà du légitime questionnement sur l'opportunité de placer à la tête de La Française des jeux des actionnaires qui auront à coeur de développer des machines à cash, je souhaiterais évoquer les enjeux sociaux, culturels, voire anthropologiques de la pratique du jeu.

Souvent, il s'agit de vendre du rêve, un rêve très discutable, un mauvais rêve, une illusion, qui s'accompagne parfois d'une plongée dans l'endettement pour une partie de ceux pour lesquels le jeu est le seul moyen d'espérer s'en sortir.

Le jeu exerce une fonction dans la société. La richesse relève plus souvent du hasard que du mérite, contrairement aux discours qui nous sont servis régulièrement – je suis très critique à l'égard de cette idéologie du mérite, vous le savez. Cela diffuse un modèle de réussite qui reposerait sur l'accumulation stérile, parfois nuisible, de richesses entre les mains de quelques-uns seulement ; cela véhicule le modèle libéral.

Je voudrais citer le chercheur britannique Richard Wilkinson selon lequel la rivalité de statuts joue un rôle crucial dans les modes de consommation – le fait de ne pas être à la traîne, de maintenir les apparences, d'avoir les bons vêtements, la bonne voiture, la maison, l'éducation, bref, de sortir gagnant de la comparaison avec les autres.

Les inégalités de revenu, qui sont importantes dans notre société, alimentent cette rivalité de statut et ce consumérisme, ce qui rend toujours plus difficile l'émergence de politiques de réduction des inégalités, mais aussi de lutte contre le réchauffement de la planète et de préservation des ressources naturelles. Le mode de vie et le train de vie des grands millionnaires pèsent, nous le savons, au regard d'un certain nombre d'enjeux importants, y compris environnementaux. Plus les inégalités s'accentuent, plus ces pressions sont exacerbées.

Les réflexions que je viens d'évoquer – de manière grossière, j'en conviens – ne sont pas dépourvues de lien avec le sujet qui nous occupe. Depuis 2004, les loteries britannique, espagnole et française se sont associées pour créer un jeu bien connu, l'Euro Millions, qui permet de réaliser des gains disproportionnés, propulsant de fait les gagnants parmi les plus grandes fortunes de leur pays, voire d'Europe. Ce jeu véhicule jusqu'à la caricature le modèle libéral d'accumulation stérile des profits. On voit donc bien que le jeu correspond à un modèle social, remplit une fonction sociale.

Si l'on envisageait les choses autrement, on pourrait concevoir d'autres modèles de jeu, par exemple des jeux de loterie offrant des gains plus raisonnables et répartis entre un nombre plus important de joueurs. Une telle option serait beaucoup plus saine du point de vue social, mais ce n'est guère ce qui est en train de se développer avec l'amplification des logiques de jeu que Régis Juanico a décrites.

Si nous voulons continuer à réfléchir sur ces enjeux et à peser, il nous semble tout à fait nécessaire de conserver la maîtrise dont nous disposons actuellement sur La Française des jeux. Au-delà de toutes les autres problématiques qui ont été soulevées, c'est là un motif supplémentaire et, à mon sens, décisif de refuser la privatisation de La Française des jeux. Monsieur le ministre, vous jouez avec le jeu, vous jouez avec le feu.

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