Par cet amendement, nous souhaitons supprimer l'article 51, qui prévoit le transfert à une personne morale unique, pour une durée maximale de vingt-cinq ans, du droit d'exploiter le marché des loteries et pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution et habilite le Gouvernement à prendre une ordonnance précisant les conditions de ce transfert. En clair, il s'agit d'une privatisation de La Française des jeux, actuellement détenue à 72 % par l'État.
Cette privatisation nous semble tout d'abord dangereuse : il importe que La Française des jeux reste publique pour préserver le contrôle des addictions. En 2014, par exemple, La Française des jeux a volontairement arrêté la commercialisation du Rapido, un de ses jeux les plus rentables, mais aussi les plus addictifs. Aurait-elle arbitré de la même façon si les investisseurs privés avaient été maîtres à bord ?
En outre, le contrôle du blanchiment d'argent est primordial s'agissant d'une entreprise dont les ventes se sont élevées à 15,1 milliards d'euros en 2017. Là encore, nous faisons davantage confiance à la puissance publique qu'à un groupe privé, qui aura intérêt à vendre, quelle que soit la provenance de l'argent.
Le Gouvernement, qui reconnaît ces risques, promet de mettre en place une autorité de contrôle indépendante. Toutefois, la méthode de l'ordonnance pose problème, car les modalités de ce contrôle ne sont pas définies précisément à ce stade. Nous pouvons donc nous interroger sur l'efficacité du contrôle qui sera opéré par l'autorité indépendante qui sera créée.
Par ailleurs, de même que pour Aéroports de Paris, nous pouvons sérieusement nous interroger sur l'opportunité, du point de vue financier, de vendre une entreprise aussi rentable. La Française des jeux, qui est en situation de monopole – ce monopole sera conservé après la privatisation – , a versé 89 millions d'euros de dividendes à l'État en 2017. Pourquoi vouloir privatiser ces profits ?
Plus inquiétant, le nouveau régime fiscal des jeux et paris sera précisé dans le projet de loi de finances pour 2019 ; nous ne connaîtrons donc pas forcément le détail de ce régime au moment du vote de l'article 51. La Française des jeux verse un montant de l'ordre de 3,5 milliards à l'État chaque année, hors dividendes. Le Gouvernement assure que l'acteur privé continuera à verser cette somme à l'État. Nous serons très vigilants sur ce point.
Parce que les grandes phrases sont toujours plus explicites avec un exemple – je sais que vous adorez nos exemples ! – , je vais vous parler de mon buraliste, Éric, qui est aussi vendeur pour La Française des jeux. En parlant avec lui, je me suis rendu compte que, malgré leur faible revenu, les buralistes étaient formés à la vente de ces produits – il faut que tout le monde en prenne bien conscience. Ils sont à l'écoute ; leur rôle est aussi de faire attention, de dire éventuellement aux clients qu'ils jouent beaucoup.
Pour avoir le droit de vendre ces produits, les buralistes acceptent d'être surveillés par des inspecteurs, qui se déplacent souvent et s'assurent notamment que les jeux ne sont pas vendus aux mineurs. Que se passera-t-il si l'on permet à tout le monde de vendre ces produits ? La priorité d'une entreprise privée ne sera pas de tripler le nombre d'inspecteurs !
Nos buralistes sont déjà accablés ; ils ont vraiment du mal à vivre de leur commerce. Si l'on permet à n'importe qui de vendre ces produits, cela va encore amoindrir leur activité.
Enfin, je rappelle qu'un vrai travail de fond est accompli actuellement pour les personnes qui réalisent un gain très important. Elles sont accompagnées, notamment par des psychologues, qui les aident à gérer leur argent. Je ne suis vraiment pas sûre qu'une entreprise privée perdra du temps à aider ces personnes à acquérir leur nouveau statut.