Intervention de Daniel Fasquelle

Séance en hémicycle du vendredi 5 octobre 2018 à 9h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 61

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle :

Je me suis déjà largement exprimé hier soir sur ce sujet, qui pose de nombreuses questions. Vous demandez à l'entreprise d'aller au-delà de ce que lui impose la loi, notamment en matière de droit de l'environnement et de droit du travail. Quelles obligations créez-vous concrètement, en plus de celles que la loi impose déjà aux entreprises ? On peut considérer que l'entreprise aura une obligation de résultat, mais comment mesurer concrètement sa prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux ?

Nous manquons d'exemples concrets, car vous vous en tenez, depuis le début, à des propos très théoriques. Pourriez-vous nous donner des exemples concrets de la prise en compte de ces enjeux sociaux et environnementaux par l'entreprise, au-delà de ce que la loi lui impose aujourd'hui ?

Par ailleurs, si l'entreprise ne prend pas en compte, ou en considération, ces enjeux sociaux et environnementaux, comment sera-t-elle sanctionnée ? Qui, dans l'entreprise, le sera ? Qui va trancher ? Enfin, qui pourra agir, à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise ? Ce sont des questions importantes et, comme je vous l'ai dit hier soir, vous êtes en train de créer, avec ces nouvelles dispositions ajoutées au code civil, un nid à contentieux. On peut partager votre objectif et ne pas approuver votre méthode. Je soutiens totalement votre projet d'étendre la définition de l'objet social de l'entreprise : cela s'est fait dans de très nombreux pays et il est normal que la France se mette au niveau. En revanche, il me semble maladroit, et même un peu absurde, d'imposer à toutes les sociétés, y compris à celles qui n'ont pas d'activité économique, comme les sociétés civiles immobilières, la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, de la manière dont vous l'inscrivez dans le code civil.

M. le ministre le ministre de l'économie et des finances m'a répondu hier qu'on faisait de la politique. Excusez-moi, chers collègues, mais on ne fait pas seulement de la politique : on fait aussi du droit, on écrit la loi. Des chefs d'entreprise, des juristes, des magistrats auront ensuite à mettre en oeuvre les textes que nous avons votés. Or, en votant des textes flous, imprécis et mal écrits, on se dépossède, comme législateur, du pouvoir que le peuple nous a donné car, au bout du compte, c'est le juge qui s'en empare et qui fait, sinon la loi, du moins le droit, à la place du législateur. Le droit, ce n'est pas seulement la loi, et quand la loi est imprécise, vague et mal écrite, d'autres s'en emparent et on n'a plus prise sur la réalité.

Ne contraignez pas toutes les entreprises à prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Nous avons d'autres moyens, en tant que législateur, de les obliger à le faire. À cet égard, les propos tenus par M. le ministre hier soir m'ont paru très éclairants : il a énuméré plusieurs textes de loi que vous avez fait voter depuis un an et demi pour inciter les entreprises à mieux prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Il a notamment évoqué la question de l'alimentation saine, qui est au coeur de la loi pour l'équilibre dans le secteur agricole et alimentaire. Si nous voulons contraindre les entreprises à prendre en compte ces enjeux, nous pouvons le faire par la loi. Si quelques entreprises souhaitent aller plus loin, parce qu'elles sont dans un domaine d'activité particulier, parce qu'elles sont particulièrement motivées ou que cela relève d'un projet d'entreprise, rien ne les empêche de le faire. Il faut donner la possibilité aux entreprises qui le souhaitent d'ajouter de telles dispositions dans leurs statuts, mais il faut que cela reste facultatif. Cela doit, en tout cas, relever de l'objet social de l'entreprise, et non de sa « raison d'être » – un concept qui ne veut rien dire et qui n'a absolument aucune valeur juridique.

Il ne faut pas non plus toucher à l'« intérêt social », qui a été créé par le juge pour sanctionner les dirigeants en cas d'abus de majorité ou d'abus de minorité. Il faut le faire au niveau de l'objet social : sur ce point aussi vous faites une erreur. Cette partie du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises – dit « PACTE » – me semble extrêmement dangereuse et elle mériterait d'être complètement réécrite.

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