J'aborde un sujet majeur pour nous, la codétermination, qui a fait l'objet de la proposition de loi que nous avions élaborée dès octobre 2017 et défendue en janvier 2018. Ce texte, vous l'avez non pas rejeté, comme cela a été dit tout à l'heure par erreur, mais renvoyé en commission.
Pour nous, du point de vue de la philosophie politique, la codétermination consiste à reconnaître que les salariés sont non pas une partie prenante comme les autres, mais partie constituante de l'entreprise. Il s'agit de mettre fin à la suprématie actionnariale, déformation de l'esprit de l'entreprise telle que nous l'envisageons au XXIe siècle. Les salariés, partie constituante, doivent codéterminer la marche de l'entreprise. Nous avions engagé des avancées très modestes durant la précédente législature. Vous proposez de faire un pas supplémentaire dans l'esprit du rapport Notat-Senard. Nous pensons qu'il faut aller beaucoup plus loin si nous voulons agir de manière significative en la matière. Pour cela, nous nous inspirons des écoles européennes, car la majorité des pays européens ont instauré une codétermination, qui peut certes prendre des formes très diverses mais va plus loin que ce que vous proposez avec l'article 62.
Il existe deux écoles. D'abord, l'école allemande est née dans l'après-guerre – notons que chaque pas en matière de codétermination a été accompli dans des contextes politiques où entrait une part de tragédie, afin de recréer une alliance au sein du monde de l'entreprise. L'école allemande des années 1950 a inspiré les pays d'Europe centrale à partir des années 1990, après la chute du mur de Berlin. Il y a ensuite une école nordique, née dans les années 1970, avec le cas particulier des Pays-Bas, que je n'ai pas le temps d'évoquer en détail ici. Dans tous les cas, l'idée est que les salariés prennent une part significative dans les conseils de surveillance, lesquels n'exercent pas les mêmes fonctions que les conseils exécutifs en France.
Pour notre part, nous avons opté pour une voie modérée, qui consiste à procéder par étapes. Nous avons aussi déposé des amendements de repli, que nous défendrons le moment venu.
Nous soutiendrons, bien sûr, toute mesure qui constituera une première marche vers la codétermination, mais nous défendons la thèse que, si nous ne prenons pas de mesures significatives, nous ne l'instaurerons pas vraiment. Nous proposons qu'il y ait un tiers d'administrateurs salariés dans les entreprises de plus de 1 000 salariés et une moitié d'administrateurs salariés dans les entreprises de plus de 5 000 salariés. Ce faisant, nous resterons en deçà des modèles les plus performants. En quoi la codétermination est-elle performante ? Elle contribue à l'enracinement de l'entreprise, permet de mener un dialogue social au meilleur niveau, favorise un meilleur partage de la valeur, donne une impulsion et une force à l'entreprise dans le contexte de la mondialisation et des mutations technoscientifiques qui sont devant nous. Les exemples européens nous invitent à l'audace en la matière.
Pour nous, les deux points capitaux sont la codétermination, que je viens d'évoquer, et le partage des revenus, à propos duquel je me permets de faire une digression. L'un et l'autre procèdent de la même logique. Nous pensons qu'il faut non seulement instaurer une transparence authentique des écarts de salaire – nous militerons en ce sens, comme nous l'avons fait lorsque nous avons présenté notre proposition de loi en janvier – , mais aussi assigner une limite décente à ces écarts de revenu. Il ne revient pas au contribuable de financer la déduction, de l'impôt sur les sociétés, des salaires qui dépasseraient un certain niveau.
Partout où la codétermination a été à l'oeuvre, ce type de New Deal portant sur les écarts de salaire, le partage des valeurs, la détermination de la part des dividendes et la fin des écarts de revenu indécents a été appliqué. Pour nous, il y a donc une logique et une grande cohérence entre les différentes mesures : l'entreprise au XXIe siècle, c'est non seulement la réforme du code civil, mais aussi la codétermination et un nouveau partage des valeurs ; c'est, bien sûr, la responsabilité sociale et environnementale partagée par toutes les parties constituantes de l'entreprise.