Je vous remercie pour votre invitation, qui nous donne donc l'occasion de présenter ce rapport du Comité pour l'économie verte, disponible en intégralité sur le site du ministère. Je rappelle que ce comité, ancien Comité pour la fiscalité écologique, est un lieu de dialogue destiné à construire, avec les parties prenantes, une vision partagée de la fiscalité écologique. Cette instance, qui associe les ministères de l'économie et de l'écologie, avait reçu pour commande en début d'année de revisiter la fiscalité écologique dans son ensemble, c'est-à-dire dans tous les domaines, au-delà des décisions prises en loi de finances initiale sur la trajectoire de la composante carbone. Le travail a été réalisé dans le cadre d'un groupe de travail coprésidé par Bénédicte Peyrol, qui en présentera les principaux constats et recommandations.
Auparavant, je vais vous livrer quelques éléments de cadrage, pour répondre à vos propos introductifs. Tout d'abord, je crois qu'il faut souligner que la fiscalité écologique est, d'ailleurs pas seulement en France, un sujet d'actualité pour tous ceux qui s'intéressent aux politiques environnementales. Les travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais aussi le rapport Stiglitz-Stern dont j'ai repris des éléments, dans la présentation que vous voyez, constatent que, nulle part, la tarification des nuisances environnementales n'avance assez vite.
Ce rapport souligne également qu'il ne s'agit pas seulement de réorienter les usages, mais aussi de rendre rentables les investissements verts, dont le taux de retour dépend des anticipations qui sont faites sur la taxation future des émissions. À ce titre, notre rapport insiste sur le besoin de transparence, de lisibilité et de prévisibilité en ce domaine.
Évidemment, l'objectif est de modifier la structure et le contenu de la croissance, en découplant la croissance de l'évolution des émissions. Mais il ne s'agit pas de bloquer la croissance, bien au contraire. L'objectif n'est pas non plus d'accroître les prélèvements obligatoires. Pour ce qui concerne la fiscalité incitative, la démonstration suédoise qui est rappelée dans les graphiques que vous voyez est éclatante, tant sur le fait qu'on peut découpler croissance et émissions polluantes que sur celui qu'on peut organiser un basculement de la fiscalité tout en réduisant les prélèvements obligatoires.
La citation de Jean Tirole que vous voyez témoigne aussi du fait que – une fois n'est pas coutume – la nécessité de tarifer les nuisances fait consensus chez les économistes. J'ajouterai cependant qu'il n'y a pas que le carbone qui soit concerné, comme dans la citation, et que la fiscalité devrait constituer l'épine dorsale des politiques de prévention qui sont visées par l'article 3 de la Charte de l'environnement et donc concerner non seulement le carbone mais aussi les pollutions locales qui ont des enjeux sanitaires, la biodiversité, etc.
L'enjeu est donc de réintroduire les coûts sociaux dans les arbitrages privés, pour responsabiliser tous les agents économiques à l'origine des pollutions. Ce faisant – et c'est ce que suggérait la citation de Jean Tirole –, on atteint les objectifs environnementaux au moindre coût pour l'économie, ce qui est évidemment d'importance pour tous ceux qui veulent concilier économie et écologie. L'exemple fictif qui suit illustre aussi cette idée. Il est clair, par exemple, que c'est parce que les émissions du charbon n'étaient pas tarifiées à un niveau suffisamment élevé au niveau européen qu'Engie avait mis sous cloche certaines de ses centrales à gaz au début de la dernière décennie, alors qu'elles étaient, sur le plan technique, les plus modernes.
C'est aussi pour cela que le recyclage ne prendra pas son essor si les nuisances des décharges ne sont pas correctement taxées. Cependant, l'exemple ne cache pas qu'introduire la tarification des nuisances va renchérir le prix de certains produits polluants. C'est bien l'objectif, mais cela peut conduire à des effets sur le pouvoir d'achat ou la compétitivité, si la tarification ne s'applique pas de manière homogène aux différents concurrents. Cela mérite l'attention.
Comme nous le rappelle la citation de Jean Tirole, ce n'est pas, dans ce cas-là, le principe de la tarification qui est remis en cause. En revanche, il peut être nécessaire d'utiliser le produit de la taxe pour corriger d'éventuels effets indésirables. Cela explique par exemple que l'utilisation de la recette, quand on regarde les différents pays qui s'y sont essayés, relève de choix au cas par cas, entre baisse d'autres impôts sur les ménages ou sur les entreprises, compensation forfaitisée, et mesures d'accompagnement tendant à permettre aux agents de changer leur mode de production ou de consommation et de réaliser ainsi la transition.
Je terminerai par deux points.
D'abord, par rapport à ce que l'on considère habituellement quand on fait des réformes fiscales, ces impacts peuvent être très focalisés sur des populations particulières. Si on prend le carbone par exemple, les personnes en situation précaire, ou encore le monde rural, sont concernés au premier chef, ce qui justifie éventuellement des mesures bien ciblées d'accompagnement.
Ensuite, la démonstration a réellement été faite que, notamment pour les oxydes d'azote en Suède, l'on peut effectivement combiner l'instauration d'écotaxe à un niveau incitatif et préserver la compétitivité en utilisant la recette correspondante de manière appropriée. Où en est-on en France dans les différents domaines ? Que reste-t-il à faire ? Quelles sont les priorités ? Je passe pour cela maintenant la parole à Bénédicte Peyrol.