Permettez-moi d'abord de nous présenter tous les trois. Le Réseau Action Climat (RAC) est une association qui rassemble l'ensemble des organisations non gouvernementales (ONG) environnementales françaises ; elles se sont rassemblées, en amont de l'examen du projet de loi de finances, pour fournir un certain nombre de propositions. Nous sommes trois : Lorelei Limousin, du RAC, spécialiste des transports, Romain Riollet, spécialiste des questions de rénovation énergétique, et moi-même pour la Fondation pour la nature et l'homme, où je suis responsable des questions d'économie et de finances.
Nous rassemblons ainsi l'ensemble des grandes ONG, de Greenpeace à WWF en passant par Les Amis de la Terre. Nous avons essayé de faire un travail de coordination pour parvenir à des propositions communes. D'où l'importance de cette audition pour nous.
Hier, depuis New York, on nous a rappelé que nous étions en train de perdre collectivement la course contre la montre climatique. En même temps, on a le sentiment que le budget de la nation a tendance à être construit en dehors de cette réflexion et de cette urgence. Le rapport de Mme Peyrol et M. Bureau apporte des éléments très concrets en termes de gouvernance. Je les remercie pour la qualité des discussions que nous avons eues ces derniers mois. Je vous encourage tous à lire ce document et à vous emparer des recommandations formulées.
Concernant le PLF 2019, je vais commencer par les bonnes nouvelles. La première bonne nouvelle, c'est le compromis qui a été trouvé sur la TGAP « déchets enfouissement ». Peut-être y a-t-il là un vrai top départ donné à la mise en place d'une économie circulaire dans notre pays, avec l'idée que le recyclage doit être moins cher et plus évident à conduire que l'enfouissement et la mise en incinération.
Autre bonne nouvelle, le Gouvernement assume pleinement la poursuite de la trajectoire carbone. Cela permet de clore ce débat. La taxation du carbone est un élément important, car elle permet d'intégrer au prix des carburants, du gaz et du fioul le coût environnemental et climatique. Mais nous attirons votre attention sur les impacts de cette mesure, qui soulèvent des questions de justice.
La taxation du carbone peut ainsi être mise en difficulté sur deux points.
Premièrement, il reste des trous énormes dans la raquette : près de 40 % des émissions de CO2 ne sont pas encore couvertes par la taxation du carbone. Un premier pas a été proposé pour y remédier, à savoir la remise en cause du taux réduit de TICPE accordé à certaines professions – le BTP, la métallurgie. Mais il reste à ouvrir le chantier, qui promet d'être extrêmement difficile – je sais que les transporteurs routiers ont souhaité vous rencontrer –, de l'exemption des secteurs de transport par voie routière, par la mer ou de l'aviation, ces secteurs étant tout de même à l'origine de la poursuite de la hausse des émissions ces dernières années.
Second type de trous dans la raquette : des gaz à effet de serre ne sont pas intégrés. Le plan climat envisageait une taxation des hydrofluorocarbures (HFC), c'est-à-dire ces gaz fluorés qu'on retrouve dans les congélateurs, réfrigérateurs, climatiseurs... Leur consommation augmente de 10 % à 15 % par an, mais leur impact en termes d'effet de serre, est au moins deux à trois mille fois plus important que celui du CO2. C'est là un problème majeur, d'autant qu'à chaque fois que la chaleur augmente, on utilise davantage les climatiseurs. Vous voyez le cercle vicieux.
Le second point essentiel est que nous ne sommes pas tous égaux devant le paiement de la taxe carbone. Si je reprends les chiffres du dernier PLF, un foyer utilisant sa voiture pour aller travailler pourrait se retrouver à payer près de 300 euros de plus en 2022 qu'en 2017. Et, si ce même foyer se chauffe au fioul, il paiera autour de 538 euros de plus en 2022 qu'en 2017. Nous ne sommes donc pas tous égaux devant la taxation carbone. Quand on appartient aux classes populaires ou aux classes moyennes, et surtout quand on vit en zone périurbaine ou rurale, on va la sentir passer. Une compensation est donc indispensable. La fiscalité écologique doit marcher sur deux jambes : d'un côté l'incitation, et, de l'autre, l'accompagnement pour permettre à tout le monde de transformer l'incitation en un vrai changement de pratiques.
À cet égard, le PLF est, à notre sens, totalement insuffisant. Il « rate la marche » ! La hausse du chèque énergie est ainsi une hausse a minima. Alors qu'un doublement était envisagé dans les discussions entre le ministère de la transition écologique et solidaire et Bercy, on prévoit seulement une hausse de 50 euros par an... La prime à la conversion est un élément important, dont Lorelei Limousin vous parlera, mais elle ne suffit pas à régler les problèmes. En France, en effet, 4,5 millions de foyers se chauffent encore au fioul, et 15 millions de personnes vivent en zone périurbaine. Ce sujet est central. J'espère que la proposition gouvernementale est plutôt une base de discussion, car nous avons clairement besoin d'accélérer le mouvement.
Ce qui est en jeu, au fond, c'est une sorte de contrat politique entre le Gouvernement et le pays sur la question de la transition écologique. Si nous ne faisons que de la fiscalité incitative, sans y mettre les moyens en termes d'investissements et d'accompagnement, nous allons perdre une partie du pays dans cette transition, alors qu'il y a énormément de solutions.
Romain Riollet va évoquer certaines de nos propositions. Ce ne sont pas des dépenses inutiles : quand on investit dans la rénovation ou dans les transports, on structure des filières d'avenir, on crée des emplois, on recrée aussi des emplois et de l'avenir sur des territoires qui, qu'ils soient ruraux ou périurbains, semblent aujourd'hui un peu en dehors de l'histoire qu'on veut raconter.