Je veux tout d'abord féliciter Bénédicte Peyrol de s'être investie dans ce chantier technique et complexe qu'est celui de la fiscalité écologique.
Deux mesures me paraissent très importantes. La première figure dans le PLF 2019, que je n'ai pas encore pu examiner en détail : il s'agit de la fin des avantages accordés au gazole non routier, qui me semble une très bonne chose. La seconde est l'annonce par le Gouvernement de la création d'une vignette poids lourds. Cette mesure doit absolument être soutenue, en dépit des protestations des professionnels du secteur. Je rappelle en effet que la fiscalité sur les camions a baissé, puisqu'une grande partie de la taxe à l'essieu, supprimée lors du Grenelle et dont vous savez qu'elle concerne les camions français, n'a jamais été rétablie.
Par ailleurs, je souhaiterais faire quelques remarques sur l'esprit de la fiscalité. Tout d'abord, il me semble que nous avons un peu trop mis l'accent sur la fiscalité écologique, au détriment de la fiscalité positive, bien plus développée dans les pays anglo-saxons, qui consiste à encourager les comportements vertueux pour l'environnement.
Ensuite, il me paraît plus efficace de « verdir » les taxes existantes, notamment les plus importantes d'entre elles, que de créer de petites écotaxes qui, souvent, n'ont pas le même impact. Ainsi, sous le quinquennat de M. Sarkozy, nombreux sont ceux qui se sont investis dans la création de la taxe carbone, laquelle s'est soldée par un échec. En revanche, personne ne s'est intéressé à un éventuel « verdissement » de la taxe professionnelle, qui a été supprimée au même moment. Pourtant, dans le premier cas, les recettes escomptées s'élevaient à 3 milliards d'euros alors que, dans le second cas, les recettes existantes atteignaient 30 milliards !
J'en viens à la réforme fiscale intervenue l'an dernier, qui est importante puisqu'elle concerne à la fois les revenus et le patrimoine. Hélas ! Elle est, me semble-t-il, négative pour l'environnement, car elle a eu pour conséquence – ce n'était pas intentionnel : il s'agit plutôt d'un effet pervers – une détaxation du patrimoine polluant et une surtaxation du patrimoine dépolluant et du patrimoine dépollué. En effet, d'un côté, les revenus issus des actions d'entreprises pétrolières, gazières et charbonnières ne sont plus taxés qu'à hauteur de 30 %, et les avions privés, les yachts à moteur, les automobiles et les motos sont exclus de l'assiette de l'imposition du patrimoine ; de l'autre, la fiscalité a été accrue sur les puits à carbone, puisque les écosystèmes naturels – les forêts, les zones humides, y compris les espaces protégés – sont taxés deux fois plus que les actions des sociétés pétrolières, ainsi que sur l'immobilier ayant fait l'objet d'une rénovation thermique. La transition écologique et solidaire supposerait, bien entendu, que l'on inverse la hiérarchie.
Pour comprendre comment nous en sommes arrivés à cette situation, il suffit de se pencher sur les études d'impact du projet de loi de finances initiale et du projet de loi de financement de la sécurité sociale qui, si elles ont le mérite d'exister, sont assez médiocres. Les conséquences économiques et sociales des trois articles concernés font bien l'objet d'un long développement. En revanche, il est indiqué, dans la rubrique « Environnement », que ces dispositions n'ont pas d'impact sur celui-ci et, dans la rubrique « Europe », qu'elles relèvent de la souveraineté nationale. Pourtant, elles affectent le réseau Natura 2000, qui a été créé par une directive européenne et qui concerne 12 % du territoire. Ainsi, un site Natura 2000 est actuellement davantage taxé que l'action d'une société pétrolière extra-européenne.
Qu'en est-il des conséquences sur le plan climat ? Le plan de rénovation énergétique des bâtiments, élaboré dans le cadre de ce plan, s'est fixé pour objectif 700 000 rénovations annuelles pour en finir, en dix ans, avec les 7 millions de passoires thermiques que compte notre pays. Actuellement, le nombre des rénovations lourdes est de 90 000 par an. Il faut donc multiplier le rythme par un peu moins de huit ! Or, nous savons d'ores et déjà que très peu d'opérations de ce type seront réalisées en 2018, puisque les travaux ne pourront pas être déduits des revenus fonciers du fait du prélèvement à la source, et en 2019, puisque la moitié seulement des travaux seront déductibles. Ainsi la rénovation thermique ne débutera véritablement qu'à partir de 2020 ou 2021, de sorte que l'objectif de 3,5 millions de rénovations en 2022 ne sera probablement pas atteint. Je le souligne, car il s'agit d'un des engagements chiffrés qu'a pris le Gouvernement.
J'ajoute que le parc locatif est particulièrement concerné. Or, c'est dans celui-ci que l'on rénove le moins : on y dénombre en effet 20 000 opérations annuelles, alors qu'il en faudrait 300 000, puisque le parc locatif comprend environ 3 millions de passoires thermiques. Cette situation est due, on le sait, à l'érosion du rendement locatif et à l'augmentation de la fiscalité.
En effet, en 2017, trois augmentations sont intervenues. La première concerne les plus-values immobilières. Les sociétés spécialisées dans la rénovation thermique font miroiter aux propriétaires la valorisation de leur logement, une fois celui-ci rénové. Or, dès lors que le taux de l'impôt sur la plus-value immobilière a été porté de 34,5 % à 36,2 %, la valeur verte apportée par la rénovation thermique est davantage taxée qu'auparavant.
De même, les contribuables assujettis à l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) n'ont aucun intérêt à rénover leur bien puisque celui-ci prendra de la valeur, de sorte que l'IFI augmentera. Quant aux propriétaires dont le patrimoine se situe juste en dessous du seuil d'imposition, ils ont intérêt à ne pas rénover leur bien, voire à le laisser se dégrader, car une rénovation pourrait leur faire franchir ce seuil.
Enfin, la taxation des revenus fonciers a augmenté de 1,7 % par tranche, si bien que le taux de la première tranche, qui est de 31,2 %, est supérieur au taux du prélèvement forfaitaire obligatoire.
En revanche, sur les biens polluants, deux de ces impôts ont baissé et le troisième a disparu. Et l'on annonce, en outre, une quatrième augmentation de la fiscalité de l'immobilier, celle des droits de mutation à titre onéreux.
Comme disait Dominique Bureau, tout à l'heure, en citant Jean Tirole, il faut absolument rendre rentable l'investissement vert. Hélas ! Par un effet pervers de ces réformes, c'est l'inverse qui s'est produit, l'an dernier.
Pour conclure, je vous soumets trois tableaux pour illustrer mon propos. Le premier permet de comparer la fiscalité applicable à l'action d'une entreprise pétrolière ou charbonnière, à un terrain agricole, à une forêt et à un espace naturel. On s'aperçoit qu'avant même les modifications intervenues en 2017, les espaces naturels étaient davantage taxés puisqu'ils étaient soumis à des impôts qui n'existent pas pour les actions : la taxe sur le foncier non bâti, la taxe pour les chambres d'agriculture et les droits de mutation à titre onéreux et droits annexes, qui étaient déjà très importants. Depuis 2017, on observe que la fiscalité sur les actions baisse nettement, puisqu'elle est fixée à 30 %, tandis que la taxe sur la plus-value des biens immobiliers, bâtis ou non bâtis, augmente. En outre, les actions, contrairement aux biens immobiliers, ne sont pas soumises à l'IFI. Auparavant, certains biens agricoles et certaines forêts étaient soumis à un taux d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) inférieur au taux normal. Mais l'ISF ayant été remplacé par l'IFI, ces biens se voient désormais appliquer un taux supérieur à celui qui est applicable aux autres biens.
Le deuxième tableau montre également que le propriétaire d'un patrimoine dépollué, qui a consenti l'effort de rénover thermiquement son bien, est également davantage taxé, de sorte que le temps du retour sur investissement est allongé.
Enfin, le dernier tableau permet de comparer l'application de l'IFI à trois types de biens : les actions d'entreprises pétrolières, les terrains agricoles, et les forêts et espaces naturels. On constate que le taux d'impôt chiffrable total est de 30,2 % pour les actions alors qu'il peut dépasser 100 % pour les espaces autres qu'agricoles et forestiers, puisqu'ils ne produisent pas de revenus. La forêt est moins mal lotie, mais la fiscalité des espaces agricoles peut également dépasser 100 %, la situation la plus pénalisante étant celle des personnes qui ont le moins de revenus.