Je me réjouis de constater que nombreux sont ceux qui s'intéressent à la suppression des niches fiscales dommageables ; c'est très important. Si le Parlement ne peut pas augmenter la dépense publique, il a davantage de marge de manoeuvre, en revanche, pour la réduire.
Le MoDem s'est interrogé sur le calendrier et le plan. Nous avons deux ans pour agir concernant les dépenses dommageables pour la biodiversité. Comme cent cinquante autres pays, la France a en effet signé et ratifié en 2010 un engagement international qui prévoit la suppression ou la réforme de toutes les aides publiques dommageables pour la biodiversité d'ici à 2020. Il nous reste donc deux ans pour le respecter. La France, par la voix du Président de la République, veut être exemplaire en matière d'environnement ; pour ce faire, il va de soi qu'il faut respecter les engagements internationaux. Il s'agit en l'occurrence de l'objectif A3 d'Aichi, négocié lors de la Conférence mondiale sur la biodiversité à Nagoya, au Japon.
Je rapprocherai l'exemption de TICPE dans l'agriculture d'une autre annonce faite fin août, qui m'a quelque peu chagriné car nous peinons à appliquer le principe d'intégration de l'environnement aux autres politiques publiques. À la fin août, donc, il a été annoncé qu'il serait mis fin à l'exonération de cotisations sociales pour les travailleurs temporaires dans le secteur agricole. À titre personnel, j'aurais préféré que cette exonération soit maintenue et que l'exonération de TICPE diminue, car les secteurs agricoles les plus intensifs en main-d'oeuvre – l'agriculture biologique et l'agroécologie, par exemple – sont aussi les moins dommageables pour l'environnement. Quitte à diminuer les dépenses fiscales dans l'agriculture, mieux vaut diminuer celles qui sont dommageables pour l'environnement plutôt que celles qui sont favorables à l'emploi et à une agriculture plus respectueuse de l'environnement.
J'en viens à l'affectation, sur laquelle de nombreuses personnes s'interrogent, pour dire des choses qui ne seront peut-être pas agréables à entendre. Rappelons que nous avons plus de 2 000 milliards d'euros de dette et que cette dette augmente chaque année. Peut-on affecter une nouvelle recette croissante alors que le déficit public augmente ? J'ajoute qu'un point a complètement disparu du débat alors qu'il en était au coeur dans les années 1990 et 2000 : la théorie du double dividende qui, pour beaucoup d'économistes, justifiait la fiscalité écologique. Le premier dividende tient au fait que la pollution étant taxée, elle est censée diminuer et se traduire par une amélioration environnementale ; d'autre part, l'augmentation de la fiscalité écologique devait en théorie s'accompagner d'une baisse des cotisations sociales pour diminuer le coût du travail, réduire le chômage et augmenter l'emploi. Force est de constater que cela ne fonctionne pas : l'an dernier, le Gouvernement a augmenté en même temps la fiscalité écologique par la contribution carbone et la CSG, apportant une nouvelle preuve de l'absence de vases communicants de l'une à l'autre.
Concernant l'artificialisation, la question des obligations vertes – les green bonds – a été posée. Ces obligations vont financer une partie du Grand Paris, peut-être parce qu'il s'agit d'infrastructures collectives faiblement émettrices de CO2. Cela me semble étrange : certes, le Grand Paris comporte de nombreux projets très utiles, mais il entraînera aussi l'accélération de l'artificialisation.
Les énergies renouvelables, monsieur de Courson, sont un facteur d'artificialisation. Je ne suis guère favorable à l'instauration d'une taxe sur l'artificialisation mais si elle existait, elle devrait englober les énergies non renouvelables – ce qui serait paradoxal puisque ces énergies sont par ailleurs subventionnées.
Je ne crois pas à la taxe sur l'artificialisation en débat parce qu'il existe déjà vingt-neuf taxes dans ce domaine et qu'aucune ne fonctionne. Le problème n'est pas là ; il tient davantage à la sous-rentabilité et à la surtaxation du foncier non bâti qui découlent en grande partie – ayons le courage de le dire – d'un statut du fermage que la France est la seule à appliquer en Europe avec la Belgique. De ce fait, les loyers de fermage sont les plus faibles d'Europe et le rendement après impôt est systématiquement négatif, d'où il résulte une perte de la valeur des actifs. Le prix moyen de l'hectare en France est d'environ 6 000 euros, soit un niveau inférieur à celui de 1970. En euros constants, il devrait aujourd'hui valoir 50 000 euros. Autrement dit, les propriétaires de foncier agricole ont perdu 84 % de la valeur de leur investissement, à quoi s'ajoute un rendement négatif tous les ans. De surcroît, ils ne peuvent rien faire sur leurs propres terres, puisque c'est le preneur qui détient tous les pouvoirs, y compris celui de chasser, même si son bailleur n'y est pas favorable.
En somme, le statut du fermage est problématique puisque les loyers administrés et fixés par l'État sont à un niveau inférieur de moitié à ce qu'ils devraient être alors que la fiscalité applicable, elle, est normale – un fermage est taxé de la même manière qu'une boutique installée sur l'avenue des Champs-Élysées, dont le loyer est libre. La sous-rentabilité procède d'un cadre institutionnel et fiscal et tant qu'il existera, les propriétaires de foncier en fermage n'auront qu'une seule issue pour rentabiliser leur bien : l'urbaniser – hélas. Il faut leur offrir une autre issue.
Il faut également, comme le disait M. Bureau, rendre rentable l'investissement dans la transition écologique, donc dans les puits à carbone. Rappelons que le plan climat contient un engagement en la matière : il vise à aider les propriétaires fonciers à améliorer l'état de leurs écosystèmes. Le plan national pour la biodiversité contient lui aussi des engagements en ce sens. Dans l'avis qu'il a rendu, le comité national de la biodiversité demande la baisse de 50 % la taxation du foncier non bâti dès le PLF 2019.
Dernier point : que faire de l'IFI ? Plusieurs solutions peuvent être envisagées. On pourrait par exemple sortir de l'assiette de cet impôt les logements ayant fait l'objet de rénovations thermiques extrêmement ambitieuses, de catégorie A et B uniquement, en excluant les rénovations de catégorie C, car le saut, dans le cas contraire, ne serait pas assez important. Le coût de cette mesure serait faible et l'incitation forte. Autre solution : permettre aux contribuables redevables de l'IFI d'en investir le montant dans la rénovation thermique d'un logement locatif. Cela permettrait le transfert de moyens financiers de personnes aisées à des personnes moins aisées ; en contrepartie, le loyer ne pourrait pas être augmenté. Les locataires moins aisés en bénéficieraient puisque leurs frais imposés diminueraient, d'où l'augmentation de leur pouvoir d'achat.
Dans le non-bâti, là aussi, plusieurs solutions sont possibles : l'exonération complète, tout d'abord. Lorsque cette idée a surgi pendant la campagne présidentielle, je pensais que le non-bâti ne serait pas concerné – il me semblait absurde qu'il le soit. Le coût est faible : le non-bâti représenterait environ 5 % à 10 % du produit de l'IFI. Autre solution : aligner cette taxation sur celle des forêts, qui sont imposées à hauteur de 25 % de leur valeur, tandis que les terres agricoles le sont à 50 % et les espaces naturels protégés les plus riches le sont à 100 % – ce sont notamment les zones humides, les étangs, les forêts non exploitées plus riches en biodiversité que les forêts exploitées, souvent monospécifiques. D'un point de vue écologique, c'est l'inverse qu'il faudrait faire. Une solution intellectuellement insatisfaisante mais qui améliorerait la situation consisterait à tout taxer sur la base d'un quart de la valeur en exonérant éventuellement les espaces protégés, dont on comprend mal pourquoi ils sont taxés puisque les servitudes d'environnement liées à l'imposition d'une protection réglementaire ou contractuelle à un espace naturel ne sont pas indemnisées. On fait donc miroiter une fiscalité favorable aux intéressés avant de la faire augmenter. À cet égard, la France sera bientôt saisie par Bruxelles et au titre d'autres conventions internationales pour expliquer pourquoi des espaces sous statut européen ou international de protection sont davantage taxés que des biens normaux ou polluants.