Intervention de Didier Martin

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Martin, rapporteur pour avis :

Monsieur le président, mes chers collègues, avant toute chose, je souhaiterais insister sur l'importance de cette saisine tant les mesures fiscales en question sont étroitement liées à des dispositions du projet de loi PACTE, examiné par une commission spéciale à laquelle vous étiez nombreux à participer.

L'article 16 porte sur la transmission des entreprises. Plus précisément, il procède à une adaptation du pacte Dutreil.

Instauré par la loi de 2003 pour l'initiative économique, le pacte Dutreil vise à préserver la pérennité des entreprises au moment de leur transmission. Il permet une exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit – droits d'enregistrement des donations et succession – à hauteur de 75 %. La taxation de la transmission est alors limitée à 25 % de la valeur de l'entreprise. Seules les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale – donc une société « opérationnelle » – peuvent bénéficier de cette exonération partielle. Le bénéfice du dispositif Dutreil est également subordonné au respect de trois principales conditions : un engagement collectif de conservation des parts ou actions de deux ans minimum ; un engagement individuel de conservation des parts ou actions de quatre ans à compter de l'expiration de l'engagement collectif ; l'obligation pour l'une des personnes engagées d'exercer une fonction de direction au sein de la société durant la phase d'engagement collectif et pendant trois ans à compter de la transmission. L'engagement collectif doit porter sur au moins 20 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par une société cotée ou, pour les sociétés non cotées, sur au moins 34 % des parts ou actions de la société.

Tous les acteurs que j'ai pu rencontrer ou auditionner sont unanimes : ils considèrent le pacte Dutreil comme un outil indispensable à la transmission de nos entreprises mais encore trop complexe. La rigidité des conditions imposées peut, en effet, parfois limiter son efficacité. Les conditions pouvant rendre caduc l'engagement, et donc l'exonération, sont très nombreuses. La mise en oeuvre du dispositif requiert de nombreux experts, c'est assez compliqué et cela peut représenter un coût rédhibitoire pour les entreprises. C'est ce qui explique que ce dispositif n'est pas toujours utilisé par les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), alors qu'il pourrait l'être.

Pourtant, son intérêt est indéniable, à la fois pour les chefs d'entreprise qui souhaitent transmettre et, plus généralement, pour notre tissu économique. Au cours des dix prochaines années, plus de 600 000 entreprises seront transmises à des repreneurs. La transmission d'entreprises constitue un enjeu important en matière d'aménagement et d'équilibre des territoires. Il faut garder à l'esprit que le pacte Dutreil bénéficie en grande partie aux ETI, seule catégorie d'entreprises à avoir créé des emplois en France entre 2009 et 2015, période de crise. Le pacte Dutreil profite, également, aux entreprises familiales. Or, on le sait, la transmission familiale est à la fois utile et efficace pour l'économie française. Elle est utile car elle permet de préserver l'industrie et de contribuer à l'équilibre des territoires. La transmission familiale est plus répandue dans les territoires où les alternatives de reprise mais aussi les perspectives d'implantation nouvelles sont faibles. Et elle est efficace car le taux de survie à trois ans des PME et ETI est toujours supérieur dans le cas de transmissions familiales.

L'article 16 du PLF a donc pour objectif d'assouplir le pacte Dutreil. Ses dispositions font consensus parmi les acteurs que nous avons pu rencontrer. Les neuf premiers alinéas apportent une clarification juridique bienvenue. Les alinéas 10 à 13 suppriment l'obligation déclarative annuelle, ce qui permet de réduire le formalisme attaché au pacte Dutreil et de sécuriser l'octroi de l'exonération. En effet, aujourd'hui, la société doit adresser, chaque année, une attestation certifiant que les conditions relatives aux différents engagements sont respectées. Si elle oublie de le faire, l'intégralité du bénéfice du dispositif peut être remise en cause, ce qui semble tout à fait excessif. Les alinéas 14 et 15 prévoient que, si, pendant l'engagement collectif, le donataire ou l'héritier effectue une cession ou une donation à un autre associé de l'engagement, l'exonération partielle n'est remise en cause pour le cédant ou le donateur qu'à hauteur des seules parts ou actions cédées ou données. C'est un progrès considérable car jusqu'à présent, de telles cessions ou donations provoquaient ipso facto la rupture du pacte Dutreil. Je me félicite également de l'assouplissement des conditions d'apport de titres à une holding prévu aux alinéas 16 à 22. C'est assez technique, mais l'apport de titres à une holding est particulièrement intéressant pour aider l'enfant repreneur à verser une soulte à ses frères et soeurs qui ne souhaitent pas reprendre l'entreprise. L'impossibilité, dans le droit existant, de réaliser un tel apport immédiatement après la donation, et pendant l'engagement collectif, avait pour conséquence de fragiliser l'opération de transmission dans son ensemble.

Cet assouplissement du pacte Dutreil facilitera encore davantage nos transmissions d'entreprises.

Le second objet de notre saisine est l'article 29, au champ extrêmement large, plus large que le champ de compétences de notre commission. Il a pour objet de faire contribuer les organismes financés par de la fiscalité affectée à la réduction du poids de la dépense publique dans la richesse nationale. Je me suis concentré, dans mon rapport, sur les taxes affectées aux chambres de commerce et d'industrie (CCI). Les CCI ont, en effet, récemment fait l'objet d'un rapport d'information de Mmes Oppelt et Dupont dont nous avons discuté en commission. Je souhaite d'ailleurs remercier ses auteures, qui m'ont accompagné dans les auditions préparatoires et dont je salue l'important travail de fond réalisé, depuis quelque temps maintenant, sur le sujet des CCI.

Pour rappel, les ressources fiscales des CCI, procurées par la taxe pour frais de chambre (TFC), ont été considérablement réduites dans un passé récent. Le problème est que la baisse de la ressource fiscale n'a pas été compensée par une hausse du chiffre d'affaires des CCI. Cela s'explique notamment par le fait que les CCI font face à une contestation de leur légitimité à exercer des activités du champ concurrentiel, notamment de la part d'opérateurs privés.

Un consensus relativement large s'est donc dégagé pour remédier à cette situation et moderniser le financement du réseau des CCI. L'idée est double : d'une part, limiter le périmètre des missions financées par la TFC à ce qui constitue le coeur de métier du réseau et demander aux CCI un effort important d'économies de 400 millions d'euros d'ici à 2022 ; d'autre part, permettre aux CCI, grâce à la loi PACTE, de se projeter dans l'avenir.

Le projet de loi PACTE permet bien une refonte du modèle des chambres de commerce et d'industrie. L'article 13 les autorise explicitement à exercer des activités de nature concurrentielle afin de leur permettre de se développer dans ce secteur. L'article 13 ter confie l'affectation de la TFC à CCI France pour assurer une péréquation sur l'ensemble du territoire. En séance publique, un amendement a été récemment adopté pour rendre obligatoire le recrutement de personnels de droit privé dans les établissements du réseau des CCI pour l'exercice de leurs missions.

Quant à l'article 29 du PLF, il prévoit, en 2019, un plafonnement à 449 millions d'euros du produit d'une des taxes affectées aux CCI, soit une diminution de 100 millions d'euros par rapport à 2018. Il indique également que la baisse du plafonnement sera de 200 millions d'euros en 2020.

L'objectif de réduction de 400 millions d'euros d'ici à 2022 de la taxe pour frais de chambre est partagé par les différents acteurs, tous conscients de la nécessaire transformation du modèle de financement des CCI. Néanmoins, il semble difficile pour les chambres d'absorber une baisse de 100 millions d'euros dès l'année 2019, alors même qu'elles n'ont pas encore les outils prévus par le projet de loi PACTE pour engager leur transformation. La loi PACTE ne sera en effet probablement promulguée qu'en milieu d'année prochaine, ce qui signifie que les mesures d'accompagnement ne seront pas pleinement mises en oeuvre en 2019, alors que les chambres auront à faire face, cette même année, à une réduction très importante de leurs moyens.

La diminution de la masse salariale est aujourd'hui la principale variable d'ajustement à la baisse des budgets des chambres. Or ces licenciements, au-delà de leur coût social très important, représentent un coût financier non négligeable – en moyenne 100 000 euros, hors allocation-chômage, d'après l'Inspection générale des finances. À ces difficultés financières et économiques s'ajoutent deux nouvelles incertitudes récentes : d'une part, le report à 2023, au lieu de 2021, de la suppression des centres de formalités des entreprises (CFE) actuels ; d'autre part, la modification en profondeur du rôle des CCI en matière de formation continue et d'apprentissage.

Les CCI, que nous avons rencontrées, aimeraient un moratoire d'un an, c'est-à-dire le maintien du plafond actuel en 2019 ou, à défaut, une forte réduction de la diminution du plafonnement prévue par le PLF.

Je suis convaincu de la nécessité de lisser la trajectoire de baisse des ressources affectées aux CCI. J'estime néanmoins nécessaire d'envoyer à l'ensemble du réseau un signal fort, dès 2019, afin d'inciter l'ensemble des acteurs à poursuivre sa modernisation, sa rationalisation et tous les efforts de mutualisation déjà engagés. Je défendrai donc tout à l'heure un amendement dont l'objet est de limiter la diminution des ressources affectées aux CCI à 80 millions d'euros, contre 100 millions d'euros aux termes du texte dont nous sommes saisis. Cela me semble à même d'inciter à la poursuite des efforts de modernisation sans pour autant obérer les moyens d'action des chambres, notamment les plus fragiles, qui sont souvent des CCI rurales.

J'ai également déposé un amendement pour rehausser le plafonnement des contributions formation des chefs d'entreprise immatriculés au répertoire des métiers, collectées par les chambres de métiers et de l'artisanat, et affectées aux conseils de la formation. Il s'agit, étrangement, du seul fonds de formation faisant l'objet d'un plafonnement. En 2018, près de 5 millions d'euros ont ainsi été écrêtés et reversés au budget de l'État. Il est, selon moi, nécessaire de sanctuariser l'intégralité de l'effort contributif des artisans à leur formation et d'assurer la pérennité de la ressource qui finance les droits des artisans. Le fonds des conseils de la formation représente un enjeu stratégique pour la survie et le développement de l'outil de travail des artisans.

Si certains amendements sont adoptés aujourd'hui, je les défendrai en commission des finances la semaine prochaine.

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