Intervention de Pierre Vatin

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 16h15
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Vatin, rapporteur :

La proposition de loi que j'ai l'honneur de défendre aujourd'hui devant vous vise à soulager les familles des difficultés administratives qui s'ajoutent aux difficultés liées aux maladies rares ou orphelines.

Selon la définition retenue par les institutions européennes, une maladie rare est une maladie chronique ou potentiellement mortelle dont la prévalence est inférieure à un cas pour 2 000 personnes, et qui nécessite un effort particulier pour développer un traitement. Une maladie orpheline est une pathologie rare ne bénéficiant pas de traitement efficace.

En France, elles représentent un enjeu majeur de santé publique car les 7 000 maladies rares identifiées à ce jour et répertoriées par l'équipe d'Orphanet – Orphanet est l'organisme, dépendant de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui répertorie et classifie les maladies rares et orphelines – atteignent plus de 3 millions de nos concitoyens, soit 4,5 % de la population. Elles concernent dans la moitié des cas des enfants de moins de 5 ans et sont responsables de 10 % des décès entre les âges d'un et de cinq ans. Quelque 80 % des maladies rares sont d'origine génétique. Le plus souvent, elles sont sévères, chroniques, d'évolution progressive et affectent considérablement la qualité de vie des personnes malades. Seule une personne atteinte d'une maladie rare sur deux dispose d'un diagnostic précis, qui met en moyenne cinq ans à être posé pour plus d'un quart des personnes. L'impasse diagnostique résulte de l'échec à définir la cause précise d'une maladie, après avoir mis en oeuvre l'ensemble des investigations disponibles. Les maladies rares entraînent un déficit moteur, sensoriel ou intellectuel dans 50 % des cas et une perte totale d'autonomie dans 9 % des cas.

Depuis une vingtaine d'années, la France a mis en place une politique cohérente et ambitieuse pour recenser et identifier les maladies rares et orphelines, et pour accompagner le diagnostic et la prise en charge des personnes atteintes.

Dès 1995, la ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville, Mme Simone Veil, a créé la mission des médicaments orphelins. En 2003, le programme a été poursuivi, et le premier plan national maladies rares (PNMR) a été mis en place. Le deuxième PNMR, couvrant la période 2011-2014, a amplifié les mesures adoptées en renforçant la qualité de la prise en charge des personnes malades, la recherche sur les maladies rares et la coopération européenne.

Grâce à ces plans, pour réduire l'errance et l'impasse diagnostique, 109 centres de référence multisites pour la prise en charge des maladies rares ont été labellisés. Pour développer la recherche et les traitements, vingt-trois filières de santé maladies rares sont également actives depuis 2015.

Le troisième plan national 2018-2022 est en cours. Son ambition est de « partager l'innovation – un diagnostic et un traitement pour chacun ».

Onze axes structurent ce troisième PNMR, dont les priorités portent sur la réduction de l'errance et de l'impasse diagnostiques ; la prévention élargie ; le rôle accru des filières de santé maladies rares ; un parcours plus lisible pour les personnes malades et leur entourage ; le partage des données pour renforcer la recherche et l'accès à l'innovation ; mais également l'accompagnement plus étroit des personnes atteintes de handicaps liés à une maladie rare et de leurs aidants. L'accompagnement dans les démarches administratives et la vie sociale reste cependant le parent pauvre de ce plan.

Si les maladies rares et orphelines sont un enjeu de prise en charge médicale, elles représentent en effet également un enjeu dans l'accueil et l'accompagnement des personnes atteintes.

C'est l'objet de cette proposition de loi : la création d'une base de données des maladies rares et des dérogations prévues par la réglementation ou pouvant être accordées par les administrations.

En effet, il reste impossible à une même personne de connaître, comprendre et prendre en compte les problèmes spécifiques des personnes atteintes par chacune des 7 000 maladies rares répertoriées.

Aussi, les administrations, qu'elles soient d'État, parapubliques ou locales, peinent à accorder les droits et dérogations, pourtant prévues par les lois et règlements, au profit de ces très rares cas.

Trop souvent, les personnes atteintes qui demandent l'application d'une réglementation prévue pour quelques dizaines de malades se retrouvent confrontées à un parcours du combattant : il faut prouver l'existence de la dérogation, le diagnostic médical, la nécessité d'avoir recours à cette règle dérogatoire.

Cette proposition de loi vise à simplifier la vie des personnes atteintes de maladies rares ou orphelines, mais aussi des administrations auxquelles elles doivent s'adresser, en mettant en place un répertoire des maladies rares et orphelines à destination des organismes publics et parapublics.

Le répertoire énumérerait pour chaque maladie rare les dérogations à la réglementation du fait des effets de ces affections. Ce recensement pourrait utiliser la nomenclature mise en place par Orphanet pour répertorier et classifier les maladies rares.

Le traitement automatisé ne recenserait que des pathologies et des références juridiques, à l'exclusion de toute donnée à caractère personnel.

La base de données serait à la disposition de l'ensemble des administrations publiques, qui pourront s'y référer lorsqu'une personne atteinte d'une maladie rare souhaiterait faire valoir une dérogation prévue spécifiquement pour les personnes ayant sa pathologie. En application de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, les données de cette base seront librement accessibles, communicables et réutilisables par le public.

Le dispositif pourrait également être enrichi par l'expérimentation d'un droit à l'adaptation des normes. Après avoir auditionné les représentants des associations de personnes atteintes de maladies rares, j'ai constaté que de nombreuses normes réglementaires ou formalités administratives aboutissaient à des conséquences disproportionnées pour les quelques personnes atteintes d'une certaine maladie rare.

Il est également illusoire d'espérer que le pouvoir réglementaire puisse, de sa propre initiative, prendre en compte 7 000 maladies rares différentes, qui concernent néanmoins près de 3 millions de Français.

Ainsi, comme me le confiait la présidente de l'Association des sclérodermiques de France, les malades atteints de cette maladie auto-immune ont parfois d'autres affections rendant la luminosité insupportable et provoquant une sécheresse oculaire, et pourtant leur pathologie n'est pas prévue par l'arrêté permettant d'installer des vitres surteintées dans un véhicule, pris en complément de l'interdiction générale des vitres surteintées. Faire reconnaître la nécessité d'une adaptation de la norme leur est encore plus compliqué.

Je vous propose donc de mettre en place, à titre expérimental, pour une durée de cinq ans, un dispositif encadré permettant de créer les dérogations nécessaires lorsque l'application d'une norme réglementaire aurait des effets disproportionnés et contraires à la volonté du législateur ou du pouvoir réglementaire.

Cette proposition s'inspire du décret du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale, pour mettre en place un dispositif encadré d'adaptation des normes réglementaires et des démarches administratives.

La personne concernée pourrait saisir une commission nationale, regroupant représentants du corps médical, des personnes atteintes et de l'administration, qui serait chargée de proposer des adaptations de la réglementation applicable au ministre en charge, sans qu'il y ait besoin que celle-ci le prévoie expressément.

Le ministre chargé de l'application de cette norme réglementaire pourrait approuver par arrêté cette dérogation, applicable à la personne, aux personnes atteintes de la même maladie ou de maladies rares semblables.

À l'issue du délai de cinq ans et après évaluation de l'application de ce dispositif, il pourrait être élargi à d'autres catégories de personnes.

En conclusion, cette proposition de loi a bien une vocation sociale, celle de soulager les familles des difficultés administratives qui s'ajoutent aux difficultés liées à la maladie rare ou orpheline dans leur vie quotidienne.

Elle permettrait également de sensibiliser les auteurs de réglementations à la nécessité de prévoir ces dérogations.

C'est pourquoi je vous propose de faire un premier pas et un premier geste, pour faciliter la vie quotidienne des personnes atteintes de maladies rares ou orphelines.

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