Intervention de Fabien Roussel

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabien Roussel, rapporteur de la mission flash sur le renouvellement du matériel roulant des lignes du réseau structurant TET-Intercités :

C'est un honneur pour moi d'inaugurer cette première mission « flash » de la commission des finances. C'est, en effet, la première fois que nous utilisons cet outil. Que ce soit un député communiste qui l'inaugure dans le cadre de la commission des finances ne peut que me réjouir !

Je remarque au préalable qu'il s'agit d'un moyen efficace d'étudier un sujet précis sur une courte période et que la formule a effectivement permis d'apporter un éclairage sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui.

Les travaux se sont déroulés ces trois dernières semaines, conjointement avec un représentant de chaque groupe politique et l'appui de notre rapporteur général, Joël Giraud. Nous vous avons remis un rapport d'une vingtaine de pages.

En 2011, l'État est devenu l'autorité organisatrice de l'ensemble des trains intercités, ces lignes intermédiaires entre les transports express régionaux (TER) et les liaisons grande vitesse (LGV). En 2015, suite aux travaux de la commission sur l'avenir des trains d'équilibre du territoire (TET), présidée par notre ancien collègue Philippe Duron, l'État a réorganisé l'offre globale de ces trains.

L'État a d'abord conservé des lignes d'aménagement du territoire, en particulier trois lignes de longue distance nationale : la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse ; la ligne Paris-Orléans-Clermont-Ferrand et la transversale sud Bordeaux-Toulouse-Marseille.

Pour renouveler le matériel roulant de ses lignes, l'État a fait le choix de lancer un appel d'offres fin 2016. L'État est également autorité organisatrice des trains de nuit, dont l'offre a été réduite sur deux lignes. Ces trains sont aujourd'hui en bout de course. Nous avons donc proposé d'y réfléchir.

Enfin, les régions sont devenues responsables des lignes TET, l'État s'étant engagé à renouveler le matériel roulant de ces lignes.

Les régions sont équipées de trains couverts par deux marchés-cadres préexistants, financés par l'État et conclus par la SNCF en 2009 et 2010 avec deux constructeurs distincts : Alstom, qui a conçu le Régiolis, un train à un niveau roulant à 160 kmh, et Bombardier pour le matériel de l'OMNEO-2N, un train à deux niveaux roulant jusqu'à 200 kmh.

Ces marchés continuent de courir et permettent de fournir dans des délais resserrés des rames de qualité, commandées par l'État pour équiper des régions et des grandes lignes comme Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon.

En premier lieu, la mission a fait le point sur les financements de l'État pour s'assurer que l'ensemble de ces programmes sont bien financés. La mission a également étudié les raisons pour lesquelles l'État a fait le choix de lancer un appel d'offres important, d'un montant d'un milliard d'euros, pour répondre aux besoins de trois lignes structurantes.

Nous avons auditionné, dans des délais très courts, les représentants du ministère, de la SNCF et plusieurs constructeurs de matériel roulant mais aussi l'Association des régions de France et les associations d'élus et d'entreprises concernées par les lignes Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, dite POLT, et la ligne Paris-Orléans-Clermont-Ferrand.

Les engagements déjà souscrits par l'État s'élèvent à 2,3 milliards d'euros. À ce jour, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) est engagée à hauteur de 1,85 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent 480 millions d'euros pour la région Centre-Val-de-Loire, qui figurent bien au budget 2018, ce qui permettra de signer prochainement la convention de financement.

Ces dépenses permettent de passer des commandes sur les deux marchés-cadres : Alstom et Bombardier. Le montant des commandes de l'État de rames Alstom s'élève à 870 millions d'euros. En outre 1,4 milliard d'euros pour les régions Normandie, Hauts-de-France et Centre-Val-de-Loire correspondent à la commande de trains à deux niveaux auprès de Bombardier.

L'augmentation du niveau des ressources de l'AFITF, inscrite dans la loi de finances pour 2018 ainsi que dans le projet de loi de finances pour 2019, permet à l'État d'honorer ses engagements. Près de la moitié des engagements déjà souscrits hors convention avec la région Centre Val-de-Loire sera payée à la fin de l'année 2018, 52 % restant à honorer entre 2019 et 2024. Ces informations sont importantes pour les régions concernées.

La mission a ensuite examiné les choix concernant le matériel roulant des lignes structurantes et pour lequel la dépense envisagée est d'environ un milliard d'euros.

Dans ces régions du centre de la France, la desserte en trains est essentielle pour les habitants mais aussi pour attirer des cadres et des investisseurs. L'État a ainsi réalisé une étude, une expression fonctionnelle du besoin, à la suite d'une concertation menée au cours du second trimestre 2016 par les préfets des six régions concernées.

Les associations d'élus, d'usagers et les acteurs économiques ont mis en avant le besoin de qualité et de confort des trains, la nécessité de la vitesse pour réduire les temps de trajet ainsi que le besoin de rénover les infrastructures.

SNCF Mobilités a été chargée, à la suite de cette étude, d'établir le cahier des charges et de conduire la consultation des entreprises. Nous avons regretté que, dans le cadre de cette audition, la SNCF n'ait pas pu nous communiquer le cahier des charges et le cahier des clauses techniques particulières. Mais nous avons pu examiner le règlement de la consultation et en examiner les critères. Le marché comprend : une tranche ferme de 28 rames automotrices pour accueillir un minimum de 420 passagers par rame sur les lignes Paris-Clermont et Paris-Limoges-Toulouse, dont le budget prévisionnel s'établit à 800 millions d'euros, en incluant les centres de maintenance ; une tranche optionnelle pouvant aller jusqu'à 75 rames, dont environ 15 rames équiperaient ultérieurement la transversale sud Bordeaux-Marseille, pour un montant de 400 millions d'euros.

Dans l'appel d'offres, un prix plafond était fixé à 23 millions d'euros par rame, dont le coût à la place est nettement plus élevé que celui des rames fournies par les marchés-cadres.

L'État et la SNCF, que nous avons interrogés, ont bel et bien cherché en première approche à utiliser les marchés-cadres existants avec Alstom et Bombardier, en imaginant améliorer et adapter les trains qui existent aujourd'hui, mais la vitesse du Régiolis d'Alstom, limitée à 160 kmh, ne répondait pas aux attentes de ces deux lignes ; qui plus est, commander sur ce marché des rames plus rapides ou plus longues aurait constitué un délit de favoritisme.

En revanche, le train Bombardier ne posait pas de risque juridique ; il roulait en outre bien à 200 kmh, mais ses rames sur deux niveaux ne pouvaient pas assurer le passage des tunnels au sud de Limoges, ce qui posait un problème d'utilisation de ces trains. Il a donc fallu chercher des scénarios alternatifs tels que l'utilisation d'une rame à un niveau de marque Alstom pour une partie du trajet et une rame deux niveaux Bombardier pour une autre partie du trajet. Mais un tel scénario revêtait des coûts élevés et se révélait peu pratique pour les usagers.

Cela nous a bien été expliqué durant cette mission ; nous en avons conclu que le recours à un nouveau matériel paraissait adapté aux besoins de ces régions pour améliorer le confort global de la ligne et réussir à séduire de nouveaux usagers.

Nous avons également établi une comparaison entre plusieurs scénarios en retenant les différents facteurs de coût. Nous en concluons que le recours à un nouveau matériel n'est pas plus coûteux que les solutions alternatives proposées : utiliser deux types de trains sur une même ligne nécessitant des centres de maintenance dédiés engendrerait des coûts élevés.

C'est la raison pour laquelle la mission recommande de maintenir l'appel d'offres qui est actuellement lancé ; elle regrette néanmoins que la définition du besoin figurant dans le cahier des charges ait manqué d'ambition. En effet, la demande des élus locaux que nous avons reçus, des usagers et des acteurs économiques portait sur le confort et des gains de temps de parcours, notamment avec un train pouvant rouler à 220 kmh, voire à 250 kmh.

Or, avec l'appel d'offres et le cahier des charges en cours, sur un trajet Paris-Clermont-Ferrand, le nouveau train ne permettra que de gagner 26 minutes en moyenne, s'il n'y a pas d'incident de parcours ; cela permettra simplement de revenir au temps de parcours d'il y a vingt-cinq ans. Il est dommage d'avoir manqué d'ambition dans cet appel d'offres, car, au surplus, nous manquons en France d'un train intermédiaire entre le TGV et le TER qui puisse rouler au-delà des 200 kmh, comme il en existe partout ailleurs en Europe.

L'eussions-nous conçu, un tel train aurait pu intéresser des régions sur des lignes interrégionales et même se vendre à l'étranger, ce qui aurait permis d'utiliser pleinement les tranches optionnelles et de réduire les coûts fixes de l'État. L'emploi des deniers publics aurait été optimisé.

La mission alerte également les parlementaires concernés et les élus locaux sur les besoins de financement des infrastructures pour les années à venir. Le temps de parcours, même avec un train roulant à 200 kmh, sera toujours tributaire des niveaux de maintenance et de rénovation des infrastructures d'ici à 2023 et 2025. Sans ces investissements, les nouveaux trains n'apporteront ni le confort ni la vitesse attendus. Cela nous a été bien rappelé par l'association Objectif Capitales.

Les montants des investissements en jeu sont élevés. Pour la ligne POLT, par exemple, le Conseil d'orientation des infrastructures les a évalués, pour la période 2015-2025, à un milliard d'euros, hors segments franciliens. Il s'agit du double des montants investis durant la décennie précédente.

À ce jour, ces financements ne sont pas garantis. C'est la raison pour laquelle la mission recommande que le volet programmation de la future loi d'orientation des mobilités qui viendra prochainement en discussion intègre ces investissements, sans lesquels les nouveaux trains ne répondraient pas aux attentes des territoires.

Enfin, la mission a examiné la situation du matériel roulant des lignes de nuit, qui intéresse beaucoup notre rapporteur général ! Alors que le parc exploitable de nuit atteignait 298 voitures en 2014, sa taille est désormais limitée à 66 voitures, dont 54 en roulement et 12 en maintenance. En outre, 27 voitures ont été conservées en prévision d'une industrialisation de la rénovation et ne sont pas exploitées commercialement. Ces deux lignes sont une misère ! Ce que nous avons entendu sur les conditions de voyage est scandaleux et n'est pas à l'image de notre pays.

Certains types de voitures ont déjà dépassé leur potentiel temps et sont exploités de façon dérogatoire. Le potentiel technique des autres voitures permettra d'aller jusqu'en mai 2023, mais leur date de fin de vie devrait intervenir à peu près en même temps, sur une seule année et à un rythme soutenu.

Mme la ministre des transports, peut-être grâce à notre mission, a récemment annoncé que la convention avec SNCF Mobilités sur les trains de nuit serait renouvelée à compter de 2020. L'État financerait une rénovation des matériels roulants existants à hauteur de 30 millions d'euros, mais je ne peux m'empêcher de faire remarquer que cette solution est de court terme et ne fera que repousser la nécessité d'acquérir du matériel neuf. À titre de comparaison, notre collègue rapporteur général Joël Giraud, qui a poussé loin l'enquête, s'est entretenu avec le responsable de l'opérateur ferroviaire public autrichien spécialisé dans les trains de nuit. Ce dernier a acquis des rames pour un coût unitaire de 17 millions d'euros la rame alors que nous allons investir 30 millions d'euros pour rénover les trains.

Pour conclure en une phrase : ne faisons pas attendre plus longtemps les usagers de ces lignes, poursuivons l'appel d'offres lancé pour les lignes structurantes et rénovons les trains de nuit. Cependant, nous alertons sur le fait que les temps de parcours ne seront pas au rendez-vous si l'ensemble des investissements de rénovation et d'entretien des voies ne sont pas réalisés. La mobilisation des associations, des parlementaires, des élus sera déterminante pour la suite et ne doit pas faiblir.

À l'avenir, la SNCF et l'État devraient être beaucoup plus ambitieux pour nos régions et pour les usagers. Il ne faut pas avoir peur d'établir des cahiers des charges plus élevés, plus ambitieux pour nous permettre d'accomplir de grands bonds en avant et rentabiliser nos investissements.

Tels sont, mes chers collègues, les conclusions de mes travaux. J'espère que ceux qui ont participé s'y retrouvent.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.